Page
d'accueil
N°10
Juin
2005
Editorial
Sommaire
Droit d'asile, droit bafoué ?
Etude biblique
L'accueil du réfugié
Emmanuel Briglia
Pasteur
Droit d'asile, droit bafoué ?
Du répressif au respect
L’immigration face à
la loi en France - Entretien avec Michel Weckel, (Cimade —
Alsace)
La parole à
Vivian
Bénézet,
pasteur et responsable de l’Antenne de la Cimade dans les
Landes
De l’épreuve de
l’exil,
Témoignage d’Edgar Zimambu
De coeur à coeur par Senadeta
Kulovac
Etre immigré en
Algérie par Rose-May
Privet pasteure
La loi a
changé -
« Repères
statistiques » pour la France - Immigration en
général - Demande d’asile - Approche
sécuritaire et répressive - Des
« faux
déboutés » du droit
d’asile - Les
églises, sanctuaires des déboutés du
droit
d’asile - France - Canada - Grande Bretagne - Pour
aller
plus loin
Genève - En Souvenir de....
Munster - Que du bonheur sur cette
route
Le billet de notre évêque
- Mère et
fille en
dialogue
Le billet des jeunes - Bouge-toi pour
Douala !!!
Agenda
Vie de nos Eglises Echos du camp KT
(catéchumènes) 2005
Nouvelles de Kabylie
Communauté des sœurs de
Béthesda
Eglise de St Jean de
Valériscle
A vos Bibles - Mots croisés
Parabole - Entrée «
belle place» /
Entrée
« petite porte »
contact
|
N°10
Juin 2005
Bulletin
d'information francophone
de
l'Eglise
Evangélique Méthodiste
(EEM)
United Methodist Church (UMC)
|
Droit
d'asile, droit bafoué?
De l'épreuve de l'exil
Témoignage d'Edgar Zimambu
réfugié
propos recueillis par jp.w
Edgar Zimambu et
son épouse Odilia, de nationalité angolaise, et leurs six
enfants (dont trois sont encore en Afrique) viennent d’obtenir de
haute lutte le statut de réfugiés. Ils nous racontent
leur histoire mouvementée.
Edgar et Odilia Zimambu
Réfugié
Par bonheur, notre Etat leur reconnaît maintenant le statut de
réfugiés. Les dangers encourus par le passé
étaient réels, comme en témoigne Edgar :
« j’étais inquiété,
arrêté à la maison, humilié devant les
enfants, devant ma femme. Heureusement que des gens m’ont
aidé à m’évader, je ne pouvais plus rentrer
et j’ai été obligé de partir. J’ai
été alors séparé de la famille. Mon
épouse, ma famille ont même pensé que j’avais
été éliminé physiquement ». Leur
retour au pays aurait été un voyage sans retour. Ils
n'ont pas eu d'autre issue que de fuir à l'étranger dans
un pays sûr.
Sous la bonne garde de
Dieu
Dans des conditions rocambolesques et miraculeuses, Dieu a
veillé sur les pérégrinations de chacun et a enfin
permis aux époux de se retrouver dans un foyer PRECADA en
France. La famille souffrira néanmoins de l'éloignement
de trois enfants ; de toute évidence, le regroupement
familial demandera du temps, à l'exception de la benjamine dont
la venue est annoncée pour bientôt. « Cette
situation n’est pas facile à digérer,
jusqu’à aujourd’hui, parce que le contact avec nos
trois enfants restés en Afrique demeure limité à
quelques coups de téléphone », atteste Edgar.
Pour faire reconnaître le bien-fondé de son
témoignage, Edgar s'est battu contre le scepticisme de ses
interlocuteurs officiels : « on raconte son histoire
à des gens qui sont censés vous aider mais qui ne vous
croient pas. C’est donc encore une autre humiliation, une autre
torture qu’on subit ». Malgré cela, Edgar
a persévéré dans ses démarches et
réussi à étayer son récit de
témoignages probants. Résultat, l’OFPRA
considère dorénavant la famille comme des
réfugiés à part entière. Pour cette
reconnaissance, Edgar remercie le Seigneur en premier :
« J’ai vécu tout ça dans la foi.
J’ai remis ça dans les mains du Seigneur. ... Le Seigneur
a exaucé ma prière ». Il leur reste à
trouver un logement et du travail.
Invitation à
l'accueil chaleureux
Edgar encourage tous les chrétiens et les lecteurs d’En
Route à poursuivre leurs efforts vis-à-vis des demandeurs
d'asile comme eux : « Soyez accueillants
vis-à-vis de ces gens qui ont
fui leur pays parce qu’ils y avaient des problèmes. Et
puis vous pouvez aussi donner aux demandeurs d’asile ne
fût-ce que d'un peu de votre temps pour les écouter. Ils
n’ont pas toujours besoin d’une aide financière mais
ils ont d’abord besoin de votre temps. Vous ne pouvez pas savoir
le bien que j’ai ressenti quand certains sont venus me trouver
pour m’écouter. Le fait de parler avec eux, de raconter ce
que j’ai vécu, ça m’a soulagé quelque
part ».
Donner ne fût-ce que de votre temps à ces gens pour les
écouter, je vous assure, cela leur fera du bien.
Edgar nous suggère d'appliquer la même écoute et le
même accompagnement à tous les gens en détresse qui
se présentent sur notre route : « Nous avons
remarqué que beaucoup de gens ont des problèmes. Beaucoup
de gens n’apparaissent pas heureux et très souvent, on les
oublie, ces gens-là, mais il faut aussi aller vers ces gens, les
écouter, les aider ». Avoir l’œil ouvert
et un cœur ouvert, c'est-à-dire, porté à la
compassion. Merci aux Zimambu pour cette leçon de vie et
d’amour.
L’interview en
intégr@lité à la suite de la page
En Route (ER) :
Comment devient-on réfugié ? Comment en arrive-t-on
à quitter son pays en catastrophe à la recherche
d’une terre d’accueil ? Quel est le genre
d’événements qui peuvent motiver ce genre
d’expédition difficile et incertaine ?
Edgard Zimambu (EZ) : C’est souvent la recherche d’une
nation, d’un pays qui peut vous accueillir, qui peut vous offrir
la paix, beaucoup plus la sécurité, car souvent quand les
gens quittent leur pays pour venir se réfugier dans
d’autres pays, c’est parce qu’ils fuient un danger.
Alors quand on quitte son pays et que l’on demande l’asile,
c’est souvent parce qu’on est à la recherche de
cette paix et de cette sécurité.
ER : Cela veut dire
au départ que votre pays d’origine connaît tout sauf
la sécurité et qu’il est en gros en état de
guerre et que vous, ressortissants de ce pays, vous craignez pour votre
vie, la vie de vos enfants, la vie de votre famille.
EZ : Exactement, parce que, quand je prends mon pays pour exemple,
qui est l’Angola, c’est un pays potentiellement riche,
dit-on, on a toutes les richesses, le pétrole, les diamants et
la pêche et tout… -, mais les gens quittent en masse
l’Angola pour demander l’asile ailleurs. Cela montre que
ça ne va pas et que les choses ne vont pas comme on le dit. Nous
avons un parti au pouvoir depuis 1975 et depuis cette date il n’y
a jamais eu d’élection démocratique et c’est
délibéré de la part des autorités. Personne
ne peut s’opposer à ce parti. Donc l’opposition
n’existe pas. On peut citer quelques partis qui sont dans
l’opposition, mais cette opposition est purement formelle. La
réalité est autre. Ces partis ont été
créés par le parti au pouvoir pour donner cette illusion
démocratique… Et tous ces gens-là ont le pouvoir,
l’argent et ils ont presque tout ce qu’on peut avoir. Quant
au peuple, il n’a rien du tout. Alors pour être bien dans
ces pays, il faut faire partie de cette minorité au pouvoir.
Tous ceux qui osent parler et manifester contre le pouvoir en place
sont arrêtés et persécutés, torturés
et même tués. La liberté d’expression fait
défaut : vous ne pouvez rien dire, vous ne pouvez pas vous
opposer. Voilà pourquoi tous ces gens préfèrent
s’exiler ailleurs plutôt que rester sur place. On prend
généralement la décision de sortir du pays une
fois qu’on est inquiété. Dans mon cas par exemple,
j’étais inquiété, arrêté
à la maison, humilié devant les enfants, devant ma femme.
Heureusement, des gens m’ont aidé à
m’évader, je ne pouvais plus rentrer et j’ai
été obligé de partir.
ER : Vous avez
été séparés par la force des choses pendant
un temps infini, indéfiniment long, trop long ?
EZ : Oui, exactement, séparé de la famille. Mon
épouse, ma famille ont même pensé que j’ai
été éliminé physiquement, parce qu’on
a l’habitude chez moi d’arrêter les gens pour aller
les tuer, les enfermer quelque part, ce qui fait qu’on ne les
voit plus. Il est des moments où l’on retrouve des corps
de gens arrêtés dans des rivières… Donc dans
mon cas par exemple, tout le monde pensait que j’étais
mort, ma femme la première pensait pendant un an que j’ai
été tué. On s’est retrouvé par la
suite.
ER : En Afrique
déjà ou en Europe ?
EZ : On s’est retrouvé ici en Europe…
ER : Oui, parce
qu’il faut dire que, sans vous concerter, vous avez visé
l’un et l’autre le même pays d’accueil sans le
savoir à défaut de pouvoir vous joindre sur place en
Afrique.
EZ : Non, nous n’avons pas visé le même pays,
mais je vous explique mon itinéraire. Je ne pouvais pas quitter
l’Angola par les airs, vu que j’étais fiché
par les autorités. Alors avec l’aide d’un passeur,
j’ai rejoint à pied la République
Démocratique du Congo (RDC). Arrivé à Kinshasa,
j’y rencontre ma belle-sœur qui me prévient de la
présence de ma femme en France. J’apprends alors que ma
femme et mes enfants, mais pas tous, se trouvaient ici en France. Muni
d’un visa belge, je me suis rendu en France.
ER : Mais vous
n’avez pas encore retrouvé votre épouse ?
EZ : Non, je n’avais pas encore contact avec mon
épouse. Je ne savais pas comment les choses marchaient. Ensuite,
à peine arrivé en France, j’éprouve des
difficultés. Alors que je demande l’asile, on
m’arrête à l’aéroport même.
C’était déjà très compliqué
pour moi. J’ai fait trois jours dans la zone d’attente
à l’aéroport et de là j’ai vu des
choses atroces : des gens qui ont demandé l’asile
être arrêtées et menottées, ligotées,
frappées, des gens qui ont fui la torture chez eux viennent ici
en France pour demander l’asile et on continue à les
torturer, à les maltraiter. On les mettait dans des avions, les
tabassait à mort avant de les renvoyer dans leur pays.
Moi-même, j’ai risqué d’être
renvoyé. Heureusement qu’on m’avait dit que ma femme
et mes enfants étaient ici et qu’ils étaient
demandeurs d’asile. Aussi ne pouvaient-ils plus me renvoyer au
nom du principe de regroupement familial.
ER : Une partie de
la famille était en France. Vous saviez déjà que
trois de vos autres enfants étaient restés sur le
continent africain ?
EZ : Oui, je l’ai appris précédemment et
voilà dans quelles circonstances : avant de quitter mon
pays, l’Angola, nous vivions dans la capitale. Je suis parti
ensuite seul dans la province, pratiquement dans la forêt et
j’y suis resté sans le moindre contact avec ma famille,
parce que là où j’étais le
téléphone n’était pas accessible, sinon le
téléphone public, mais dans ce cas les communications ne
sont pas secrètes : pour se faire entendre, il faut crier
fort. Impossible donc pour moi qui cherche à me cacher de
communiquer de cette façon-là. Les services du
renseignement, qui sont partout, m’auraient vite
repéré. En plus, tout le monde est membre des services de
renseignements, tout le monde informe tout le monde, en sorte que je ne
pouvais pas me hasarder à téléphoner dans ces
conditions. Un proverbe de chez moi dit ceci :
« quelqu’un qui se cache ne siffle
pas ! » Je ne pouvais pas crier à la ronde, je
suis ici… Je n’avais aucun contact avec ma famille. Aussi
quand je suis arrivé au Congo, ma belle-sœur m’a
dit : « Ta femme et deux de tes enfants sont en
France », quand on m’a arrêté, je savais
aussi qu'elle attendait un enfant. Je me disais qu’elle l'a
déjà mis au monde ici en France. Je me l’imaginais,
mais je n’avais pas de certitude. C’est quand je suis
arrivé ici, dans la zone d’attente, c’est là
que j’ai demandé l’asile et précisé
à un inspecteur que ma femme était ici. Un assistant
social m’a alors aidé à retrouver la trace de ma
famille. Il a pris contact avec tous les CADA et PRECADA (centres
d’hébergement pour demandeurs d’asile) du pays un
à un, jusqu’à tomber sur le bon, là
où ma famille se trouvait. Quelle émotion pour moi quand
j’ai pu appeler pour la première fois mon
épouse ! Les travailleurs sociaux m’ont alors
aidé à constituer mon dossier par voie de
conséquence.
ER : Quasiment,
vous avez été sauvé de l’expulsion et avez
démarré une nouvelle page de votre vie et pourtant ce
n’était pas la fin des ennuis, d’abord la
difficulté de se retrouver loin de trois membres de la famille
restés en Afrique, c’était un
crève-cœur ?
EZ : Oui, c’était vraiment très
difficile ; déjà le fait d’apprendre que ma
famille était divisée. Ce sont des situations que nous
vivons chez nous, mais quand même… Ma famille a
été divisée pendant la guerre ainsi de mes enfants
sont restés en Afrique, d’autres sont partis avec leur
mère. Cette situation n’était pas facile à
digérer, jusqu’à aujourd’hui, parce que le
contact avec trois de nos enfants restés en Afrique demeure
limité à quelques coups de téléphone.
ER : Donc, pour
résumer, qui dit demandeur d’asile, dit départ
forcé de son pays et parfois éloignement des siens et un
combat fastidieux et incessant pour se voir reconnaître sa
dignité, son droit à l’expression, son droit au
libre déplacement…
EZ : Oui, exactement, c’est vraiment un combat : on
raconte son histoire à des gens qui sont censés vous
aider mais qui ne vous croient pas. C’est donc encore une autre
humiliation, une autre torture qu’on subit. Je suis allé
à l’OFPRA, qui est l’Office Français pour les
réfugiés. J’ai raconté mon histoire et
l’officier de l’OFPRA qui en face de moi
m’écoutait, prétendait que j’affabulais, "je
raconte des histoires", alors qu’il savait très bien ce
qui se passait en Angola. Pour moi, c’était une autre
forme de torture et de persécution.
ER : Cette
réaction de fonctionnaire a-t-elle entamé votre moral et
quelle a été la suite ? Avez-vous
persévéré dans ce combat ou avez-vous
été tenté de laisser tomber ?
EZ : Oh, je ne pouvais pas laisser tomber. J’ai
persévéré car j’avais encore une chance, une
deuxième chance. J’ai fait appel de la décision
prise par l’OFPRA en première instance. J’ai fait un
recours pour expliquer encore une deuxième fois.
ER : Entre-temps,
vous avez aussi recueilli le maximum de preuves pour étayer vos
propos.
EZ : C’est vrai. La longueur du processus m’a
aidé à rassembler des éléments, des
pièces à l’appui de mes allégations. Car
quand vous allez devant la commission de l’OFPRA, c’est une
instance juridique, ce n’est pas seulement votre parole qui
compte, il faut aussi des documents et des pièces pour prouver
l’exactitude de votre témoignage. C’est ainsi que
j’ai obtenu le statut de réfugié.
ER :
C’était une épreuve de foi terrible, parce
qu’à vues humaines vous n’étiez pas certains
que vos interlocuteurs vous prendraient cette fois au sérieux et
vous écouteraient, or, c’est ce qui s’est
passé à votre grande surprise.
EZ : Oui, c’est véritablement une épreuve de
foi, parce que j’ai vécu tout ça dans la foi.
J’ai remis ça dans les mains du Seigneur. Je disais :
« C’est toi qui m’as sorti des griffes de
Babylone, je suis sûr que tu ne vas pas m’abandonner,
même si l’OFPRA prétend que je dis des histoires,
toi, tu connais la vérité, tu sais que ce que je suis en
train de dire est vrai ». J’ai demandé au
Seigneur « de confondre l’ennemi »,
c’est une expression de foi. Alors heureusement le Seigneur a
exaucé ma prière
ER : Et
aujourd’hui vous avez ce fameux statut et c’est la porte
ouverte à l’insertion en France, la liberté de
reprendre du travail, c’est à la fois un soulagement et en
même temps une nouvelle page. Elle n’est pas non plus si
simple à tourner.
EZ : Oui, c’est un soulagement, ce sont des ouvertures, une
nouvelle page. Mais ce n’est pas non plus facile, comme on le
croit. C’est encore une autre vie, un autre combat qui commence.
Je citerai un seul exemple pour illustrer ces propos : on nous dit
que pour commencer à travailler en France il faut avoir de
l’expérience, il faut déjà avoir
travaillé quelque part, mais la question que je me pose :
comment avoir de l’expérience quand on ne me donne pas
cette chance de commencer ? Je ne commence pas encore, mais on me
dit qu’il faut avoir de l’expérience. Franchement,
je n’y comprends rien.
ER : Mais sur votre
route de demandeurs d’asile, vous avez aussi trouvé des
oreilles attentives dans le milieu associatif, dans les églises.
Quelle part joue cet accompagnement, cette amitié, ou ces
amitiés, ce réseau d’entraide ?
EZ : Je répondrai en tant qu’homme de foi. Je dis que
c’est Dieu, c’est la main de Dieu, c’est Lui qui a
mis tous ces gens-là à côté de moi pour
m’aider, parce que c’est vrai que j’ai souffert pour
obtenir ce statut, mais je n’ai pas autant souffert que
d’autres : je connais des gens qui ont demandé le
statut de réfugié et qui sont à ce jour dans la
rue. Ils dorment dans des parcs. Ils n’ont personne pour les
aider.
ER : En France, en 2005.
EZ : En France, en 2005, aujourd’hui même, il y en
a. Quand vous demandez l’asile, en principe on vous donne de
l’argent, des ASSEDIC, comme on dit, pendant une année et
comme les dossiers traînent au-delà d’une
année ils vous coupent les vivres. Personne ne se demande
comment vont vivre ces gens après cette année-là.
Des gens sont dans la rue sans rien avoir à manger ni personne
pour suivre leur dossier et les aider de leurs conseils. Moi j’ai
eu cette chance-là d’avoir des gens à mes
côtés qui m’ont aidé spirituellement,
moralement, financièrement, sur tous les plans.
C’était vraiment la main de Dieu.
ER : En Route,
c’est un journal d’Eglise, un journal de croyants. Que
diriez-vous à ses lecteurs concernant l’aide que les uns
et les autres peuvent apporter ; Faut-il être
particulièrement compétent, formé,
diplômé pour être utile auprès d’un
demandeur d’asile ou d’un réfugié en
quête d’insertion ?
EZ : Je ne pense pas qu’il faut être compétent,
avoir des diplômes pour aider des demandeurs d’asile. Non,
je crois que tout le monde peut aider les demandeurs d’asile, ne
fût-ce que les rassurer qu’ils sont dans un pays
démocratique, une terre d’asile comme on dit,
malgré toutes les observations qu’ils peuvent faire
couramment : l’agressivité de certains, les insultes.
Je voudrais donc demander à tout le monde, aux gens d’ici
d’être accueillants, beaucoup plus accueillants
vis-à-vis de ces gens-là, qui sont des gens qui ont fui
leur pays parce qu’ils avaient des problèmes. Certains ont
même abandonné des biens de famille dans un souci de paix
et de sécurité. Aussi souvent quand ils viennent ici, ils
ne sont pas toujours bien accueillis. Vous pouvez faire attention
à ces gens-là.
Et puis vous pouvez aussi donner aux demandeurs d’asile, ne
fût-ce que votre temps pour les écouter. Ils n’ont
pas toujours besoin d’une aide financière mais aussi de
votre temps. Vous ne pouvez pas savoir le bien que j’ai ressenti
parce que certains sont venus me trouver pour m’écouter.
Le fait de parler avec eux, de raconter ce que j’ai vécu,
ça m’a soulagé quelque part. Vous savez, dans notre
culture, en Afrique, nous ne sommes pas habitués à voir
des psychologues. Cette notion n’existe pas chez nous.
C’est la famille, les amis et les voisins qui viennent et quand
vous appelez, vous racontez ce que vous avez vécu, c’est
comme ça qu’on se soulage et qu’on se sent bien.
Donner ne fût-ce que votre temps à ces gens, les
écouter, je vous assure, cela leur fera du bien.
ER : L’avenir
appartient à Dieu, je suppose, comme Napoléon l’a
dit, et d’un point de vue pratique, est-ce qu’un
réfugié peut faire des plans qui tiennent la route ?
EZ : Je ne sais pas. Ce n’est pas une question facile
(éclats de rire). On ne sait pas, c’est difficile de faire
des projets et des plans, quand on voit ce que d’autres
réfugiés vivent ici. Ce n’est pas toujours
rassurant. Nous autres, nous avons étudié, nous avons des
diplômes, mais comment faire des projets et des plans ? Nous
avons des aînés qui sont venus avant nous, ils ont leurs
diplômes, mais cela ne leur sert absolument à rien. Donc
c’est très, très difficile de faire des projets
dans ces conditions-là.
ER : Concernant les
enfants, eux s’adaptent ; Vous constatez qu’ils ont
une capacité d’adaptation importante : à
nouveau pays, nouvelle situation, nouvel entourage ?
EZ : Oui, les enfants s’adaptent très, très
bien. Sur ce point, je n’ai pas d’inquiétude. Je
vais vous raconter une histoire. Quand j’ai eu la réponse
négative de l’OFPRA, j’ai été
tellement affecté que je me suis enfermé dans ma chambre
et mon fils Joël est venu me voir et m’a dit : "mais
papa, pourquoi tu es inquiet ? Et pourquoi tu
pleures ? » Je lui ai dit : « On a fui
de chez nous, on est venu ici, mais la France ne veut pas de nous. Et
si la commission de recours nous refuse, nous serons obligés de
rentrer chez nous. Donc, vous allez rentrer au pays, mais moi, je serai
obligé de rester un éternel errant, parce que je ne peux
pas rentrer. Je sais, parce que je connais les gens, dès que je
rentre au pays, on m’arrête, on me torture et on me tue. Je
serai obligé d’errer dans la nature tandis que vous, vous
serez obligé de rentrer au pays ». Mais mon fils
Joël me répond sur le champ : « Non, papa,
je ne peux pas rentrer en Angola, ». « Mais
pourquoi donc ? » Mon enfant qui n’avait que 7
ans à l’époque explique : « Les
militaires sont méchants, mais ici ils sont gentils, les
policiers sont gentils ». Et c’est tout ce qu’il
m’a donné comme réponse, parce que tout ce
qu’il avait vécu, toutes les violences subies à la
maison, il l’avait retenu dans sa tête. Mes enfants
s’adaptent très bien. Et surtout qu’ils parlent bien
le français. Je ne sais pas si c’est une erreur, mais ils
ne parlent pas ma langue maternelle, ils ne parlent plus le portugais,
ils ne parlent plus que le français. Je lui ai demandé la
langue qu’il parlerait le jour où il rentrerait en Angola.
Question ?…. Il ne parle que français et de plus
très bien. Des gens disent qu’il a même
l’accent alsacien… Pour eux, ça va, ils ont des
amis, des copains et à l’école ils travaillent
très bien. Joël est parmi les premiers de sa classe et donc
je suis très content. Je reçois aussi les
félicitations du directeur, bref, pour les enfants, il n’y
a pas de problème. Pour moi et mon épouse, il n’y a
pas de problème non plus, à ceci près que nos
trois enfants restés en Afrique nous manquent beaucoup,
beaucoup… Nous aimerions qu’ils viennent vivre ici avec
nous.
ER : C’est
donc pour demain le regroupement familial, si Dieu le veut ?
EZ : Si Dieu le veut, oui
ER : Les
autorités ?
EZ : Ça aussi.
ER : On termine
avec une référence ; Finalement dans votre parcours
peut-on reconnaître trace du Christ, le premier qui avec ses
parents humains, Joseph et Marie, a dû prendre le chemin de
l’exil, du moins temporairement à cause de
persécutions éminemment politiques ?
EZ : Ah oui exactement, c’est cela.
ER : Vous vous
sentez moins seul ?
EZ : Oui ! On se sent moins seul. On se dit qu’il y a
eu des gens qui sont passés par là et même la
sainte famille comme on dit est passée par là et moi
aussi je passe par là avec ma famille ; Donc quelque part,
je sens qu’il y a un soutien.
ER : Oui,
après un séjour en "Egypte", il y a un avenir ?
EZ : Exactement
ER : Un dernier
message à nos lecteurs ?
EZ : J’aimerais parler aux gens qui m’ont aidé
et qui aident des demandeurs d’asile, ces gens qui viennent
d’ailleurs et qui ont besoin d’aide et il y a des gens qui
sont toujours prêts à aider. Nous les remercions beaucoup,
mais nous voulons aussi dire autre chose : en France, parmi vos
frères français, il y a aussi des gens qu’on peut
appeler demandeurs d’asile, c.-à-d., des gens qui sont
aussi dans le besoin ; ce n’est pas seulement un besoin
financier, physique. Nous avons remarqué que beaucoup de gens
ont des problèmes.
ER : Vous habitez
maintenant dans une cité éminemment populaire, où
toutes les nations ou presque se trouvent représentées et
cela vous amène à cette réflexion ?
EZ : Oui, mais c’était déjà le cas
quand nous étions à Munster, nous avons remarqué
que beaucoup de gens n’apparaissent pas heureux, des gens qui ont
des problèmes et très souvent on oublie ces
gens-là. On pense que du moment où ils disposent de biens
matériels et d’un travail et d’une maison…
ils n’ont pas de problèmes. La réalité est
autre. Trop souvent, on ne fait pas attention à ces gens et il
faut aussi aller vers ces gens, les écouter, les aider aussi.
Ils ont vraiment besoin de soutien, surtout d’un soutien moral.
Voilà ce que je voulais ajouter.
ER : Avoir
l’œil ouvert et un cœur ouvert, c.-à-d.,
porté à la compassion
EZ : Exactement…
Journal EN ROUTE est
accessible sur un simple clic sous la forme d'un fichier .pdf
(à lire avec le logiciel gratuit ACROBAT READER, voir le
site d'Adobe)
PAGE 4-8 Dossier droit d'asile (537 ko)
Haut
de
Page
Toute remarque et
tout courrier à propos d'EN ROUTE sont à adresser
à : En Route
Tous droits réservés © EEM juin 2005
|