Méditation

Noël "coincé"

Alors que les pères Noël de tout poil battent la campagne à la recherche de clients, que la frénésie de la consommation atteint son paroxysme, que les odeurs de l'apéritif au dessert envahissent nos cuisines, une lointaine question, celle des mages venus de l'Orient, retentit à nos oreilles : " Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? ".
Question pertinente et toujours d'actualité pour notre fin de siècle. " Où est Jésus, le Messie ? ".
Où est-il passé dans tout ce fatras ? Eh, bien, devinez où je l'ai trouvé ! sur un stand de charcuterie !
Dans un centre commercial, véritable caverne d'Ali baba en cette période de fêtes, j'ai été interpellé par la vision d'une crèche coincée entre les rayons boucherie et charcuterie.
Choqué, je l'ai été ! Vous rendez-vous compte ? Le " Petit Jésus " pris en sandwich entre le jambon et la côte de boeuf ! Cela manque vraiment de dignité. J'étais outré ! Où va-t-on ? Jusques à quand tolérerons-nous de voir ainsi notre Seigneur bafoué ? Et j'avais envie, à l'image de Jésus, de prendre le fouet et de chasser ceux qui avaient annexé le Christ et sa naissance pour en faire une source de profit. Le temps d'un éclair, je me voyais libérer la fête sacrée de tous ses artifices ; monté sur mes grands chevaux, revêtu de ma cotte de mailles et de mon casque de l'intransigeance, tout en brandissant l'épée à deux tranchants.
Comme moi, beaucoup ont envie de partir en croisade contre ce Noël défiguré. Nous avons du mal à nous retenir pour ne pas hurler notre sentiment. Noble réaction, me direz-vous ? Peut-être. Mais tout aussi déplacée que celle de Jean qui voulait faire descendre la foudre sur les Samaritains récalcitrants.
Mais Jésus, lui, ne s'est laissé arrêter ni par les fausses idées que l'on se faisait sur sa personne, ni par le cadre dans lequel on le rangeait. Le plan de Dieu n'est-il pas d'ouvrir une brèche dans un monde chaotique où règne le mal et si peu de place pour l'amour véritable ? Combien de fois, Jésus s'est-il retrouvé pris en sandwich, mais à chaque fois il a su exploiter ces situations au profit des " affaires de son Père " : que ce soit lorsqu'il s'est retrouvé à la croix "coincé entre les deux brigands, ou emmailloté, à Bethlehem, entre le boeuf et l'âne.

Déjà à 12 ans, Jésus au temple se fait coincer par ses parents qui ne le comprennent pas ; plus tard Jésus se retrouve coincé entre ses disciples qui se disputent pour savoir qui est le plus grand ; puis, il est coincé encore entre l'admiration curieuse des foules qui veulent voir des miracles et l'aveuglement de ses auditeurs, serré de toute part par les malades qui aspirent à une guérison et ceux qui réclament du pain, coincé encore entre ceux qui voient en lui le chef révolutionnaire délivrant Israël du joug romain et les responsables religieux juifs qui ruminent contre lui leur projet de meurtre, coincé parfois entre des docteurs scrupuleux de la Loi et une femme pécheresse, coincé un jour entre Judas qui le trahit et Pierre son disciple qui le renie, coincé aussi lors de son arrestation entre Hanne - ancien grand-prêtre - et Caïphe son gendre et nouveau grand-prêtre, puis ballotté entre Pilate et Hérode qui se le renvoient, Jésus, Dieu incarné, coincé dans ce corps mortel et cette angoisse de la mort qui le saisit à Gethsémané, Jésus finalement crucifié, brisé à cause de nos fautes et coincé entre deux brigands, mais Jésus ressuscité d'entre les morts.
Et la question des mages venus d'Orient résonne encore : " Où est le roi des Juifs, qui est né il y a près de 2000 ans ? " Cette question personnelle retentit pour chacun de nous ! Où est Jésus-Christ aujourd'hui, dans notre coeur, notre compréhension, notre vécu ? Est-il simplement un santon de mauvais goût assaisonnant le stand de marchandises ? Est-il resté ce bambin coincé entre le boeuf et l'âne gris ? Est-il ce penseur rangé parmi les maîtres spirituels que l'on peut consulter entre Bouddha et Mahomet dans la dernière encyclopédie de science religieuse ? Est-il resté un simple personnage figé dans un conte de Noël et une légende poussiéreuse, vestige d'un lointain catéchisme ? Où bien est-il ce Dieu d'amour acceptant d'être condamné à ta place pour libérer ton corps de la mort et ton âme de la perdition ?
Dans notre vécu personnel, dans notre propre histoire, où est ce roi des Juifs ? Dans quel case l'avons-nous coincé ? Dans quel compartiment l'avons-nous enfermé ? Où est donc Jésus-Christ, Dieu fait homme, dans notre vie ? Lui qui veut faire de notre vie le temple de son Esprit ? Ou est-il, lui qui veut libérer chaque recoin de notre vie du péché, briser les liens qui nous enchaînent, pour nous faire partager sa félicité ? Où est Jésus-Christ, aujourd'hui ? S'il n'est pas dans ton coeur, dans ton menu de fête, il t'appelle toi qui t'apprête à réveillonner. 
Il appelle, tous ceux qui se pressent autour des gondoles de marchandises, à croire en lui par ces paroles : " Vous tous, qui avez soif, venez aux eaux, même celui qui n'a pas d'argent ! Venez, achetez et mangez, Venez, achetez du vin et du lait, sans argent, sans rien payer ! " (Es 55.1). J'ajouterai : " venez et achetez du jambon ou de la côte de boeuf sans rien payer ! ".
Et pour vous, qu'est ce que se sera ? ", demande la vendeuse. " Donnez-moi quatre tranches de Jésus ", répondit aussitôt la cliente devant moi. Je pensais avoir déjà vu le pire, c'est alors que je découvris le " Jésus de Morteau ", gros saucisson court fabriqué aussi en Alsace ! Décidément notre monde se trompe de fête, il n'y comprend rien. C'est pourquoi Jésus appelle : " Je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n'aura jamais faim, et celui qui croit en moi n'aura jamais soif " (Jn 6.35). Dieu ajoute par l'intermédiaire de son prophète : " Pourquoi pesez-vous de l'argent pour ce qui ne nourrit pas ? Pourquoi travaillez-vous pour ce qui ne rassasie pas ? Écoutez-moi donc, et vous mangerez ce qui est bon, et votre âme se délectera de mets succulents. " (Es 55.2).
Alors, de quels mets succulents Noël sera-t-il comblé ? Laissons-nous donc interpeller par cette crèche coincée et ce Jésus tranché, qui nous rappellent que Noël, après 2000 ans, est encore ce temps du salut, ce temps de la grâce.
Quant à moi, devant le Noël défiguré, et indigeste qui s'étale à mes yeux, il est bon de me remémorer la prière de Jésus, victime, dans cette crèche coincée : "Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font!".
Mais nous, aujourd'hui, nous savons. Nous savons que nous ne pouvons séparer la naissance de Jésus de notre nouvelle naissance. 
Et moi, qui ai reçu sa lumière, je n'ai aucune excuse pour défigurer Noël. Certes, je ne parle pas du " Petit Jésus "... mais que de fois ne l'ai-je pas réduit par mon autosuffisance, ma volonté de m'en sortir tout seul. 
Que de fois ne l'ai-je pas " coincé " entre mon orgueil et mon égoïsme, qui n'ont rien de plus glorieux que le jambon et la côte de boeuf du supermarché. Il me faut donc descendre de mes grands chevaux, rendre au père fouettard ce qui lui appartient, pour enfourcher l'humilité. Que j'échange le casque de l'intransigeance contre celui de la patience ! Et surtout que je me souvienne que l'épée à deux tranchants est d'abord une " arme " pour sonder mon propre être. Oui, le temps des croisades est bien fini. Voici venu le temps de Noël, temps d'humilité et de patience.

Daniel FISCHBACH