Le témoignage de Margot Heumann
Âgée actuellement de 80 ans, Margot Heumann a complété le récit du Pasteur Erich Viering par le témoignage suivant (extraits) :
Margot, l’aînée de deux filles, est née de parents juifs vivant à Hellenthal, un village proche de la frontière belge. Les Heumann ont vécu au-dessus de leur magasin de quicaillerie, vis-à-vis du grand-père de Margot, qui gardait des chevaux et des vaches dans sa grande grange. Quand Margot avait 4 ans, sa famille a déménagé dans la ville de Lippstadt où elle a appris à nager dans la rivière Lippe, qui coulait derrière leur jardin.
«… À mes 9 ans, ma famille est venue s’établir dans la grande ville de Bielefeld où je fréquentais une école primaire publique. Un an plus tard, Lore, ma petite sœur, et moi, avons été renvoyées de l’école. Très subitement, nous avons dû quitter notre classe, sans comprendre pourquoi, et c’est en pleurs que nous nous sommes retrouvées dans la rue pour rentrer à la maison.
Nos parents nous envoyèrent alors dans une école juive provisoire où enseignaient des instituteurs qui, eux aussi avaient été chassés de leurs écoles par les Nazis.
Nuit de Cristal
… Je me souviens de la « Nuit de Cristal » (9 et 10 novembre 1938) où notre Synagogue a été incendiée, de la déportation de nombreux hommes à Buchenwald, de l’obligation de porter l’étoile juive et de l’interdiction de fréquenter la piscine (ce que j’ai néanmoins fait !).
Je me rappelle encore que mes parents ont cherché désespérément à sortir de l’Allemagne. Quand, en 1943, nous avons été déportés vers Theresienstadt, j’étais finalement heureuse de partir, car nous étions une des seules familles juives qui restaient encore à Bielefeld ».
Vitrines de magasins appartenant à des Juifs brisées au lendemain de la ‘Nuit de Cristal’. Verlin, Allemagne, 10 novembre 1938. Photo BPK Berlin/RMN © Karl Paulmann
Theresienstadt
Au ghetto de Theresienstadt, Margot et sa sœur vivaient dans un internat, avec beaucoup d’autres enfants juifs. Le soir, ils pouvaient être avec leurs parents qui devaient travailler très durement pendant la journée. Ce camp était surpeuplé, les conditions sanitaires y étaient très mauvaises et l’alimentation tout à fait insuffisante. Beaucoup de prisonniers mouraient de faim ou de maladies. Continuellement des personnes étaient déportées vers les camps d’extermination en Pologne.
Auschwitz
C’est ce qui arriva aussi à la famille Heumann qui fut transportée en mai 1944 vers Auschwitz-Birkenau. Margot écrit :
« J’avais 16 ans lorsque nous arrivâmes à la « station terminale » d’Auschwitz. Un jour, on m’a affectée à un groupe de travail forcé et je savais que ce sera un départ sans retour. On laissa le choix à ma mère de partir avec moi ou de rester avec ma petite sœur. Ma mère sentait que ma sœur avait davantage besoin d’elle que moi et décida donc de rester.
Je me souviens de l’intensité de l’étreinte de ma mère quand elle me fit ses adieux. Elle avait toujours été une forte femme, mais maintenant, elle n’avait plus que la peau et les os. En mangeant la soupe qu’elle insistait que je prenne, je ne m’étais pas rendue compte que c’était sa seule ration journalière de nourriture que je mangeais...).
Hambourg
Margot n’a plus jamais revu ses parents et sa sœur. En juillet 1944 elle fut transportée à Hambourg dans un camp d’où elle devait aller travailler durement dans une usine ou faire des travaux de déblaiement dans les ruines causées par les bombardements aériens. Un soldat de garde lui donnait heureusement une partie de son repas de midi.
En mars 1945, l’armée britannique avançait vers Hambourg ; Margot fut alors obligée de participer à une de ces terribles « marches de la mort ». À pied, et presque sans alimentation, il fallait avancer vers le camp de Bergen-Belsen. Arrivée là-bas, elle fut enfermée dans une baraque surpeuplée, sans rien à manger ni à boire. Beaucoup de prisonniers et prisonnières, comme Anne Frank, ne purent pas survivre. Margot n’a jamais pu oublier la vue terrible des montagnes de cadavres… Elle n’a qu’un mot pour cela : «… L’Enfer ! »
Rapatriement en Suède
Le 15 avril, elle fut libérée par l’armée britannique. Elle écrit :
« Totalement épuisée et malade, je fus envoyée par la Croix Rouge suédoise, en Suède où j’ai vécu plusieurs années auprès d’une femme merveilleuse, directrice d’école. À ce moment, je ne savais pas encore que toute ma grande famille avait été exterminée et que j’étais la seule survivante.
En 1949 je suis partie pour les États-Unis, ma patrie actuelle… »
Reconnaissance
Les 9 et 10 novembre 2008, Margot Heumann a dévoilé dans sa ville natale de Hellenthal un monument dédié au souvenir des enfants et adultes juifs victimes des persécutions nazies. Elle l’a fait en présence du maire et d’une nombreuse assemblée.
Ce fut pour elle aussi l’occasion de remercier publiquement le Pasteur Viering qui était présent et son père qui avaient pris le risque de « nager contre le courant et d’apporter leur soutien à ceux qui étaient exclus, humiliés et exterminés, tout simplement parce qu’ils étaient nés juifs ».
(Traduit par Daniel Husser)