Gardien de mon frère

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Entre mes deux paradis - Et si je me permettais un rêve ?

Freddy Nzambe, pasteur

Le pasteur Freddy Nzambe en fonction à Tunis (Tunisie) réfléchit ici sur les immigrations vers un « eldorado » dans ce monde (l'immigration pour rejoindre DAESH et l'immigration pour rejoindre l’occident).

Les illustrations sont tirées du site de F Piobbichi, av.ec l’accord de l’auteur.


La question de ma fille cadette (Sarah), tout à l’heure, me pousse à rêver: « Papa, n’as-tu pas peur de rester en Tunisie malgré les attentats?».

Je réponds simplement : « Ma chérie, les attentats on peut les trouver partout… De Paris à Niamey, de Bagdad à Washington, de Tunis à Londres, etc. ».

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Comment ta vocation pastorale s'est-elle confirmée pendant le temps d'accompagnement ?

Dans ma relation avec les personnes que je rencontre j'éprouve de plus en plus du plaisir d'être au service de l'autre, dans un accompagnement pastoral.

Dans quels domaines se trouvent tes points forts ?

Dans l'accueil, l'organisation et aussi l'enseignement.

Comment et où est-ce que tu penses pouvoir t'impliquer en France et dans la communauté de service de l'EEM avec tes dons ?

Dans un ministère du type pastoral, dans l'accompagnement spirituel de personnes, la prière, la prédication, etc.

Quels enjeux et défis te travaillent dans la perspective de l'Église en général et de ton église locale en particulier ?

Ces derniers temps je réfléchis beaucoup sur les immigrations vers un « eldorado » dans ce monde (l'immigration pour rejoindre DAESH et l'immigration pour rejoindre l'occident) et quelle parole (et/ou action) prophétique l'Église doit-elle être porteuse ?

Pourquoi le bonheur des uns se trouve-t-il dans le malheur des autres ? Mais, pourquoi ce monde n’est-il pas un Paradis ?

Inquiétude sommaire dans mon paradis

Petit garçon, dans mon Congo natal, sachant que les grandes vacances étaient pour bientôt, je fabriquais mes propres jouets avec mes amis.

Durant les mois de mai et de juin, l’après-classe était davantage réservée à fabriquer de jouets qu’à faire les devoirs. En effet, les grandes vacances, quelle que soit l’année, débutaient le 2 juillet ! Les cerfs-volants, bateaux et voitures à base de cartons, les trains fabriqués avec les boîtes de conserve rythmaient nos conversations.

Les pneus usés de voitures que nous cachions dans les maisons inachevées du quartier pour faire des culbutes loin du regard des parents… Rien qu’en évoquant tout cela, les prénoms de mes amis me reviennent à l’esprit, je me revois rire aux éclats, chanter, oublier que c’est l’heure du repas ! Était-ce un paradis ? Oui, c’était un paradis où l’inquiétude n’était que sommaire.

L’ordre et l’autorité dans mon paradis

Dans ce paradis-là, si nous faisions une bêtise, il suffisait qu’un adulte (ou même quelqu’un de 3 ans notre aîné) nous dise : « Arrêtez ! » pour que nous soyons tous à l’écoute et aux ordres de cette voix ! Était-ce un Paradis ? Oui, c’était un Paradis où l’ordre et l’autorité étaient reconnus.

Les histoires racontées renforcent l’identité dans mon paradis

Dans ce paradis-là, le soir à la maison, nous attendions impatiemment le journal de 20 heures pour savoir ce que le président de la république avait réalisé comme projets ; nous entendions que l’Éthiopie et la Somalie vivaient une famine sans précédent ; que Valérie Giscard d’Estaing allait visiter notre pays, Jean Paul II venait d’être nommé pape, etc.

Nous écoutions grand-père nous raconter les histoires des colons belges et de l’indépendance du Congo ; de sa fierté à avoir appris auprès des Belges comment manger avec une fourchette !

Grand-mère nous expliquait l’importance de se marier avec une femme sachant faire la cuisine et tenir sa maison ! Car, nous disait-elle, celles qui sont trop maquillées ne savent pas toujours cuisiner !

Papa nous racontait comment il s’est marié, à 22 ans avec une fille de 15 ans (ma mère), - un mariage arrangé entre leurs familles - sans vraiment se fréquenter avant le mariage…

Était-ce un paradis ? Oui, c’était un paradis où les histoires sont racontées pour renforcer l’identité de celui qui les écoute.

Partage de connaissances dans mon paradis

Dans ce paradis-là, aller à l’école était un honneur ! Quel plaisir de pouvoir enfin s’instruire, rêver de devenir un jour celui qui racontera des histoires et qui renforcera l’identité des siens.

Quel plaisir d’apprendre la conjugaison en Lingala et ses règles de grammaire ! Les trois premières années d’école, nous apprenions le contour du Lingala car, nous disait-on : « Si vous ne maîtrisez pas le Lingala, il vous est impossible d’apprendre une autre langue et ses règles ».

Était-ce un paradis ? Oui, c’était un paradis où l’envie d’apprendre était motivée par le désir de transmettre son savoir à d’autres !

Le monde est mon pays, dans mon paradis.

Dans ce paradis-là, l’enseignant nous apprenait des chants et des récitations. Je me souviens de l’admiration que nous avions en lisant Aimée Césaire ou Léopold Sédar Senghor sur la « Négritude » ! Nous étions fiers de posséder un exemplaire du roman « L’enfant noir » de Camara Laye, allant jusqu’à faire le concours de celui qui aurait mémorisé le plus de paragraphes.

Était-ce un paradis ? Oui, c’était un paradis où être Africain comptait plus qu’être Congolais !

Dans ce paradis-là, les héros noirs transcendaient les continents ! Nous en étions fiers, je ne cite ici que trois noms :

  • Félix Éboué, gouverneur du Tchad, l’un de premiers résistants qui ait répondu à l'appel du général de Gaulle ;
  • Martin Luther King qui va pousser tout un pays à changer les lois civiles pour l’égalité ;
  • Gaston Monnerville, deuxième personnage de la République française, pendant plus de 20 ans, et président du Sénat français.

Était-ce un Paradis ? Oui, c’était un paradis où l’on pouvait servir partout dans le monde et influencer positivement notre entourage, peu importe son pays de résidence.

C’est vrai, en y réfléchissant, dans ce paradis-là, le migrant était une richesse. Oui, j’ai bien dit « une richesse », car nous pouvions apprendre de lui, et lui de nous.

Que dis-je donc ? Le monde est-il un enfer maintenant ? Loin de là. Ce sera à ma fille de raconter dans quelques années l’histoire de son paradis…

Malgré mon paradis perdu, dont je vous parle dans ces quelques lignes, je crois à un paradis qui dépasse celui de mon enfance ou de mes rêves.

Serait-ce un paradis ? Oui, car ce paradis-là est une réalité. Je ne vis que dans cette attente : -).