« Afin que le monde connaisse Jésus-Christ » (1)
Sète 2006
La mission de l'Eglise aujourd'hui - Interview de Patrick Streiff, évêque de la Conférence Centrale du Centre et du Sud de l’Europe recueillie par JP Waechter
Du 10 au 16 janvier 2006 se tenait au centre du Lazaret le Séminaire d’évangélisation francophone organisé par les soins de l’Institut Méthodiste Mondial d’Evangélisation, une instance liée au Conseil Méthodiste Mondial. Toutes les sensibilités méthodistes francophones en Europe étaient représentées comme diverses nationalités. La thématique tournait autour du mandat missionnaire confié par Jésus à l’ÉÉglise « Faire connaître Jésus-Christ ». En route consacrera plusieurs numéros à cet événement et réunira diverses contributions. Pour l’heure, nous donnons la parole à Patrick Streiff, évêque de la Conférence Centrale du Centre et du Sud de l’Europe, un des orateurs de ce séminaire, pour qu’il nous indique les lignes directrices de la mission en notre époque postmoderne. Parallèlement à cette interview, divers participants nous font part de leurs premières impressions à chaud après quelques jours de présence et de partage intensif à Sète. JPW
JPW — Le Congrès pour l’évangélisation rassemble une centaine de participants d’horizons méthodistes très différents. L’évêque nouvellement nommé réagit comment, et l’historien devant cette pépinière de pousses vivantes, de pierres vivantes qu’est l’église ?
PS — Pour moi, c’est très important et je suis très heureux d’être ici et d’avoir ces contacts avec des méthodistes de différentes branches. Je suis particulièrement heureux que les pasteurs ne soient pas les seuls présents, mais aussi des membres d’église, pace que, si l’on regarde dans l’histoire, ce sont très fortement les laïques qui ont porté la Bonne Nouvelle vers d’autres et qui ont ainsi influencé la mission de l’église en commençant par exemple l’œuvre à un nouvel endroit suite à une migration pour raison économique (travail, etc.).
JPW — On peut penser aux fameux pêcheurs méthodistes les premiers à avoir touché les îles anglo-normandes…
PS — Oui les îles de Jersey : des pêcheurs ont rencontré des méthodistes à la Terre-Neuve avant de rentrer partager leur découverte ou prenant l’exemple de ce commerçant anglais qui va en Normandie pour le commerce, va à l’église, partage son témoignage de la foi avec quelques femmes âgées et voit la situation pitoyable de l’église réformée à l’époque et se dit : il faudrait envoyer des méthodistes pour essayer de réanimer et reconstruire cette église en Normandie. Ainsi, c’était très souvent des laïques qui ont porté le message plus loin et influencé la mission de Dieu.
JPW — Le Congrès rassemble non seulement des laïques et des pasteurs de différentes sensibilités méthodistes, mais aussi différentes nationalités. Nous vivons à l’heure de la mondialisation ; une partie des participants vient des États Unis. Elle est intéressante, l’interaction entre frères d’Amérique et chrétiens francophones d’Europe et d’Afrique.PS — Oui, certainement ; Sébastien Fath, dans son dernier livre, dit qu’il y a actuellement 750 missionnaires américains travaillant dans des églises évangéliques en France. Et il y a en Amérique énormément de bonnes volontés pour venir évangéliser la France, mais quelque chose se répète assez régulièrement : des évangélistes et missionnaires viennent souvent avec énormément de bonne volonté et beaucoup d’enthousiasme, mais ne voient pas assez les particularités de la situation en France et souvent désespèrent très vite par le peu de succès qu’ils rencontrent.
JPW — L’enthousiasme a vite fait de tomber, parce que la réalité du terrain est méconnue, l’arrière-plan historique, philosophique et religieux.
PS — Oui, la France est en quelque sorte dans une situation particulière. Hier, une participante américaine m’a dit qu’il ressort de ses lectures que les Français ont en général une notion assez négative de l’église et de la foi chrétienne, en raison des mauvaises choses que l’église avait faites au cours de son histoire et sont ainsi un peu blessés et fermés envers l’Évangile. Je lui ai dit que c’est dans un sens une blessure intellectuelle au niveau de la raison, des arguments contre l’église et ainsi c’est aussi une manière de garder distance face à l’Évangile, mais d’un autre côté il y a ce que j’appellerais une blessure émotionnelle. J’étais frappé, et ceci en tant que pasteur d’une petite paroisse à Neuchâtel du nombre de personnes qui ont fréquenté un groupe de jeunes dans les milieux évangéliques, un certain laps de temps, et qui, par la suite, soit parce que c’était trop rigide, trop légaliste ou parce qu’ils n’avaient pas trouvé de réponses à leurs questions de foi qu’ils avaient, n’ont finalement pas poursuivi leur cheminement spirituel ou parfois étaient mal vus dans ces cercles ou même expulsés et cela laisse des blessures au niveau émotionnel. J'étais étonné de ces personnes que je rencontrais ; elles avaient une certaine soif de la présence de Dieu, elles avaient en même temps peur de se rapprocher trop des églises chrétiennes, parce qu’elles étaient blessées. J’avais là des collègues évangéliques qui disaient : il y avait énormément d’esprits mauvais à chasser par la prière pour dégager le terrain. Parfois je leur disais : je pense que ces esprits sont des esprits fabriqués par les chrétiens eux-mêmes parce que nous ne cheminons pas assez avec ceux qui ont des questions et des doutes.
JPW — Une des clés dans l’évangélisation de nos compatriotes consiste à être prêt à les accompagner, à créer un climat de confiance, à contrebalancer les influences du doute et de défiance vis-à-vis de la foi chrétienne, par exemple ?
PS — Oui et je dirai aussi un amour désintéressé. L’amour des chrétiens est trop souvent un amour intéressé seulement envers l’autre comme sujet de conversion ou comme sujet de futur membre de l’église. Et il faut un amour désintéressé qui continue à vivre le même amour même là où l’autre a des doutes ou qu’il aimerait se retirer.
JPW — Sujet de conversion certainement, mais d’abord assurément sujet de conversation…
PS — Oui, c’est bien d’avoir ce souci de conversion de l’autre, mais l’amour doit être un amour désintéressé à l’image de ce que Jésus avait vécu et des paraboles qu’il avait racontées.
JPW — Si je cite un saint qui n’est pas du calendrier ni un saint biblique, Saint Exupéry, « il faut apprivoiser le prochain », il s'agit de le gagner de proche en proche par l’amitié.
PS — Autre difficulté dans l’évangélisation à mon sens, aujourd’hui, dans l’ère postmoderne : il y a un individualisme très, très fort. Au niveau de la religiosité, chacun essaie de chercher sa propre voie, d’avoir son expérience personnelle de Dieu, mais un peu en privé, pour soi-même. C’est d’un côté quelque chose de culturel, — nous faisons partie d’un vaste mouvement dans la société -, mais en même temps, je dis parfois, c’est aussi un problème du message évangélique. Le message évangélique est souvent beaucoup trop individualiste et laisse de côté la notion ecclésiale qui fait pourtant partie de l’Évangile.
JPW — L’aspect communautaire
PS — Oui, l’aspect ecclésial, dans le sens qu’on ne peut pas avoir le Christ sans son corps réel, qui est l’église ici-bas et là ça devient parfois exigeant, parfois difficile comme la vie de couple, comme la vie de famille, là où l’on est beaucoup plus proche les uns des autres. Mais ça fait partie de la vie de l’église, corps du Christ.
JPW — à nos églises francophones qui nous lisent, tu dirais : accompagnez gratuitement les personnes de notre entourage et développez cette dimension communautaire.
PS — Oui, certainement, ce sont des axes très importants et j’ajouterai encore la dimension de la fidélité et de continuer quelque chose avec une vue à long terme. Aujourd’hui, il y a tant de demandes de succès à court terme : on doit tout de suite le voir ou alors on abandonne à nouveau. Travaillons à l’image de cet amour de Dieu, qui est un amour fidèle et qui a un long souffle.
JPW — L’Église gagnera en stabilité.
PS — Oui, et d’un autre côté on doit aussi dire merci à tous ceux qui ont continué à porter jusqu’ici ces églises locales et qui ont été fidèles dans les difficultés qu’elles ont traversées.
JPW — Que l’Église telle un voilier aille de l’avant sous le souffle du vent de Dieu, et donc bon vent !
PS — Bon vent, et soyons ouverts à ce que l’Esprit du Christ nous montre.