Gouverner, c’est...
Daniel Goldschmidt
De l’Église mennonite d’Altkirch, médecin du travail
Dans cette chronique commune aux mensuels Christ Seul et En route, Daniel Goldschmidt montre l’inspiration monastique et… évangélique de la démocratie comme de la politique comprise en terme de service : l’approche est révolutionnaire !
Source d’inspiration
Alors que les médias bruissent des échos de l’après campagne française, mon attention est attirée par le titre d’un ouvrage de parution récente « Gouverner c’est servir ». Le commentateur de France Culture fait écho à la thèse de l’auteur Jacques Dalarun : l’exercice du pouvoir dans certains ordres monastiques au Moyen Âge représente un contre-exemple qui a inspiré la démocratie. Les jeunes d’un camp Proclam à Lurs que j’avais invités à rencontrer la communauté bénédictine l’ont découvert en même temps que moi : assis dans la salle du chapitre de Ganagobie, le Père Michel nous explique comment les moines se choisissent un père supérieur et l’exercice de l’autorité qu’elle attend de lui, toute dans le service. « C’est dans les monastères qu’a été inventée la démocratie », affirme-t-il à nos oreilles incrédules. Cela suffit pour que, quelques mois plus tard, je me précipite en librairie et lise l’ouvrage cité ci-dessus : il fait revivre une tradition contestataire judéo-chrétienne différente du monde gréco-romain, une « puissance de la faiblesse » (selon la page 4 de couverture), inspirée de l’exemple de Christ serviteur.
La normalité du pouvoir ?
Mon intérêt émoustillé par cette lecture, je remarque que l’allusion au service n’est pas rare dans la bouche des politiciens et notamment de ceux les plus en vue : le président sortant en tirant sa révérence parlera de l’énergie qu’il a mise au service de son pays ; celui qui le suit met un point d’honneur à se montrer proche du peuple qu’il sert. La critique du président normal à l’hyper président n’a-t-elle pas quelque chose à voir avec le sens donné au mot « service » ? Au-delà des premières décisions symboliques (limiter les salaires des ministres et des présidents des grands groupes industriels de l’État), il faudra que durent ces options pour qu’elles convainquent le peuple de la sincérité de leur auteur. Dans ces mêmes colonnes, Jean-Philippe Waechter livrait une réflexion sur le mensonge en politique, chose la mieux partagée entre les partis…
Entre servir et asservir
Gouverner, c’est… Choisir. Telle est la version apparemment originale de la formule qui a fait florès et a beaucoup été imitée : Gouverner, c’est prévoir, légiférer, mais aussi faire croire, diviser, dominer,…. Et j’en passe, plus cyniques les unes que les autres. L’actualité politique mondiale fournit plus d’illustrations de ces formes de gouvernement au service de sa famille, de son clan que de son peuple. Les 10 ans que Amid Karzaï fêtait en juin à la tête de l’Afghanistan relèvent plus de ce genre de « gouvernement féodal » que de régime démocratique, rappelle le spécialiste interviewé lors des « Enjeux internationaux » de Thierry Garcin (à 6 h 45 sur France Culture toujours). Les chefs de guerre afghans qui l’achètent à grand coup de trafic de drogue n’ont visiblement pas de référence évangélique même lointaine à invoquer. À quelques encablures ou plutôt journées de chameau de là, le président syrien défraie la chronique par la répression brutale qu’il mène contre une partie de son peuple. Là non plus, pas d’inspiration évangélique.
Valeurs chrétiennes
Ainsi donc la référence aux valeurs chrétiennes de l’Europe trouverait dans cette conception du service un fondement justifié. Pourtant, j’ai rarement entendu qu’on mette l’abnégation et l’humilité en exergue pour juger du respect des dites « valeurs chrétiennes ». Cela serait pour les politiciens se soumettre à la plus radicale des autocritiques. Les politiques d’exclusion, la prévarication, l’abus de pouvoir n’y survivraient pas. L’exemple de Christ est un horizon souvent trop lointain pour nos démocraties. Pourvu que des communautés et des chrétiens inspirés l’y maintiennent et si possible le rapprochent !