Tendre l’autre joue
L’auteur, sociologue et chrétien engagé dans son église (mennonite) explique comment agir de manière non-violente dans un conflit.
de Frédéric de Coninck
Éditions Farel — 168 pages — Prix : 15,00 €
La non-violence n’est pas une attitude passive
« Tendre l’autre joue ? Cette expression a le don de mettre mal à l’aise. Trop difficile, trop passive, trop extrême, elle est peut-être un idéal à atteindre mais, pense-t-on, surtout pas à mettre en pratique au quotidien. « S’il s’agit de se laisser faire en toutes circonstances, ce n’est plus une vie ! ».
Et si réagir de manière non-violente ne signifiait pas ne rien faire ? L’auteur montre dans ce livre qu’il s’agit plutôt de chercher à agir de façon positive, à mener un « bon combat », afin que le mal et l’injustice soient dénoncés tout en trouvant d’autres voies que la violence pour affronter son ennemi. Rappelant dans un premier temps ce qui favorise la violence, il explore les différentes approches non-violentes, avec des pistes très pratiques, dans les conflits de personnes, dans l’église, chez les enfants, dans la société, pour cheminer vers la réconciliation. Grâce aux questions en fin de chapitre, il permet en outre au lecteur de se remettre en question de manière très personnelle et de progresser dans le domaine de la gestion des conflits.
Il m’arrive assez souvent de faire, dans des rencontres d’Église, dans des cercles chrétiens divers, des conférences sur la violence et sur la non-violence. On me demande, vu que je suis sociologue, de mesurer l’ampleur de la violence ou d’en expliquer les causes. Ensuite, vu que je suis membre d’une église qui affiche la non-violence parmi ses principes fondamentaux (une église mennonite) on m’interroge sur la juste attitude du chrétien dans ces situations et je me heurte, alors, régulièrement, aux mêmes questions. Si je suis face à un public d’ores et déjà convaincu de l’importance de la démarche non-violente, et qui la pratique, les choses ont l’air d’aller de soi. Mais, sinon, un indescriptible malaise se fait jour. Qui se sent capable de « tendre l’autre joue » en toutes circonstances ? (C’est l’expression qui revient en premier). Les uns pensent que c’est lâche, les autres, à l’inverse, considèrent que c’est une forme d’héroïsme qui est hors de leur portée. D’autres pensent à leurs enfants qui reviennent de l’école après avoir assisté à une bagarre. Doivent-ils leur conseiller de « tendre l’autre joue » ? Les chrétiens culpabilisent, parce que Jésus l’a dit, mais qu’ils ne s’en sentent pas capables.
Alors, sur le fond de cette culpabilité, d’autres objections surgissent. Les uns disent : « trop difficile », puis de « trop difficile » on saute à « impossible », puis « d’impossible » à « inefficace », « d’inefficace » à « inutile » et, finalement, « d’inutile » à « malsain ». La vie serait faite, en son cœur, d’agressivité et il serait dangereux de brider cette agressivité. « Tendre l’autre joue » reviendrait, sous-entend-on alors, à transformer les gens en légumes. Et ensuite le défilé des scènes bibliques commence : les guerres et les meurtres sacrés dans l’Ancien Testament, les vendeurs chassés du temple par Jésus, les scènes barbares de l’Apocalypse de Jean, etc. Je peux réciter ces arguments pratiquement par cœur, tant ils défilent en boucle.
Mais il y a quelque chose de vrai dans ces objections, qui critiquent, en fait, une mauvaise conception de la non-violence. Ce qui gêne, au fond, est que la non-violence est perçue comme une attitude passive. S’il s’agit simplement de se laisser faire en toutes circonstances, ce n’est plus une vie, j’en suis bien d’accord. La non-violence n’a de sens que si elle est active. Elle ne prend tout son relief que dans le cadre d’une confrontation voulue et assumée. La confrontation violente est un naufrage. Mais la non-violence sans confrontation est une démission.
Et si réagir de manière non-violente ne signifiait pas ne rien faire ? Frédéric de Coninck explore les différentes approches non-violentes, avec des pistes très pratiques, dans les conflits de personnes, dans l’église, chez les enfants, dans la société, pour cheminer vers la réconciliation. L’auteur avance quatre conseils pour une résolution non-violente des conflits interpersonnels :
1. Ne pas « perdre les pédales »
C’est peut-être là le plus difficile. Tout le monde est mal à l’aise en situation de conflit. Même ceux qui semblent aimer le conflit, ou en avoir fait un mode de vie, en souffrent. La confrontation n’est pas, en soi, une partie de plaisir, lorsqu’elle donne lieu à d’importantes tensions. Lorsque l’on a beaucoup retardé le moment de la confrontation, par crainte des mauvais moments que l’on va vivre, l’explosion peut être brutale et nous prendre par surprise. […]
2. Ne pas juger
La frontière entre oser dire à l’autre notre désaccord et le juger est ténue. Mais il importe de rester du bon côté de cette frontière.
En fait, les jugements de valeur à l’emporte-pièce ne font jamais avancer la situation, dans un conflit interpersonnel où il est rare que le « mal » soit tout entier d’un seul côté. […]
3. Écouter l’autre, tenir compte de ses arguments et lui signifier qu’on l’a entendu
De nombreuses personnes sont paniquées à l’idée qu’on ne les entende pas. Elles n’ont pas toujours tort. L’écoute attentive est une qualité plutôt rare. Lorsqu’une discussion devient tendue, vous observerez que, parfois, un des interlocuteurs répète inlassablement le même argument, éventuellement sous des formes variées, mais pas toujours. Et plus il le répète, plus il s’échauffe. Tant que la personne qu’il a en face de lui ne lui a pas signifié qu’elle l’a entendu, il continuera. […]
4. Formuler nos attentes d’une manière claire et limitée
Ce dernier grand principe n’est pas, lui non plus, si facile à mettre en œuvre. Tout conflit ravive, en effet, des attentes sous-jacentes infinies du genre : « j’ai envie d’être aimé ». Tout le monde a ce genre d’attentes. […] Mais il faut être capable de mettre entre parenthèses ce genre d’attente. On l’a dit, il est bien meilleur de limiter la discussion à la situation présente, au point qui nous pose problème et lorsque l’autre nous demande ce que nous voulons, il est préférable, également, de le formuler d’une manière claire, en posant un objectif accessible.
(Extraits du chapitre 5)