Golgota Picnic, la pièce à scandale
En décembre 2011 éclatait le scandale de cette pièce Golgota Picnic sur Toulouse et Paris qui présentait une figure du Christ et de sa Passion totalement détournée de leur sens initial. Levée de boucliers et manifestations de tous genres, parfois à la limite de l’extrême, d’autres plus dignes. Que faut-il en penser ? Avis contrastés et complémentaires dans ce numéro de Grégory Luna et du pasteur JP Waechter pour étayer notre réflexion.
Pièce scandaleuse et agitée
JP Waechter
Que se passe-t-il dans cette pièce sulfureuse qui choque à l’excès ? Quelle réponse semble la plus indiquée aux chrétiens ? Autant de questions auxquelles nous tenterons d’apporter des réponses.
Le théâtre de Rodrigo Garcia est coutumier de l’excès et du fatras, de la bassesse et de la violence, de la piaillerie et de l’embrouillamini. Cet Argentin défraye régulièrement la chronique par ses spectacles délibérément provocateurs. Redouté comme blasphématoire et sacrilège, le spectacle Golgota Picnic n’a pas dérogé à la règle. Il recourt pour la forme à la scatologie, à la grossièreté, à la provocation (selon les dires de Michel Onfray).
Crucifixion tragique et trash
Sur la scène, une bande d’amis se réunit pour un pique-nique… C’est Golgota Picnic. Partout sur le sol jonchent des hamburgers. Jésus vient de multiplier les pains. Jésus qui « a multiplié la nourriture pour le peuple au lieu de travailler avec lui » est devenu la cible à abattre. On l’accuse de vouloir mener la « guerre contre tous ». Il est comme l’étincelle qui est à la source de toutes les souffrances de l’humanité […] ; aussi faut-il incendier les musées parce qu’ils comportent des tableaux représentant le Christ en souffrance !
Ton antichrétien et blasphématoire
Son message est sans ambiguïté : « Fuyez-vous les uns les autres ». On le qualifie de pyromane, misanthrope contre l’Homme, croyant, menteur, névrosé, 'Messie du Sida' et 'Pute du Diable' ! Rodrigo Garcia fait du Christ un fainéant, un démagogue, un vaniteux, un jaloux, un envieux, un fou, un sadique, une personne dont le magistère a généré les crimes, les viols pédophiles, les meurtres, les mangeurs de MacDo et les buveurs de coca… Le dernier repas du Christ puis sa crucifixion sont associés à la terreur et la barbarie. Sa plaie ultime de crucifié sera remplie de billets de banque. Toutes ces horreurs sont débitées sous couvert de dénonciation de la marchandisation, du matérialisme, de la course à l’argent et de la consommation.
À mort la société de consommation
Machine de guerre lancée contre un monde d’hyperconsommation, ladite performance est accompagnée d’images vidéo ou de séquences « trash » conçues délibérément pour heurter, choquer : des sandwichs farcis de gros vers, du hachis vomi d’un hachoir, — quel gâchis — et étalé ensuite sur le visage d’un homme crucifié qui meurt étouffé sous des kilos de viande, dénonciation brutale des méfaits de la malbouffe et de la surconsommation modernes. Les comédiens se dénudent, les corps aspergés, enduits de peinture, se vautrent dans des postures lascives pour souligner le chaos et l’absurdité de notre monde, la cruauté et la violence de notre société : notre monde incapable de mâter la violence suffoque de surconsommation en pleine pauvreté et précarité.
Gare à l’opportunisme
Une séquence choc constitue une sacrée interpellation du spectateur (rapportée par A. Nouis, Réforme) à propos de la descente de la croix : « On descend un corps mort de la croix, on abat la statue de Lénine, de Franco, de Saddam Hussein, et tout le monde est partant, tous deviennent chroniqueurs, tous veulent peindre le tableau ou faire la photo, maintenant qu’il n’y a plus de danger, une fois que tout a été fait. Une foule est là pour peindre le tableau… ceux qui n’ont pas bougé le petit doigt, les opportunistes qui sont au pied de la croix, ou perchés sur les arbres du Golgotha pour prendre un cliché sur leur Nikon. »
Nihilisme et déconstruction
La pièce provocatrice et irrévérencieuse ne laisse personne de marbre, elle exprime à fleur la peau de véritables angoisses existentielles, mais frise et frôle aussi sans conteste le nihilisme et la déconstruction, un monde désespéré et acculé au chaos.
Paix et apaisement
La dernière séquence inventée par Rodrigo Garcia procure pourtant un début de paix et d’apaisement par la musique : le chef d’orchestre italien Marino Formenti interprète dans son plus simple appareil la partition intégrale pour piano des Sept Dernières Paroles du Christ sur la croix de Joseph Haydn. Dans les dernières images, il y a en prime l’idée d’un retour du crucifié sur la terre…
Le scandale de la croix
Le scandale éclate ! Rodrigo Garcia a réussi son coup : provoquer la gent établie. Les croyants crient au scandale et se déclarent blessés dans leurs convictions les plus intimes.
De fait, la croix fait scandale en permanence ! Le scandale lie et relie originellement la personne du Fils de Dieu au mystère du mal dans ce qu’il a de plus intolérable et inacceptable ! À l’heure de sa Passion, le Christ, l’envoyé du Père, est venu révéler à l’humanité son amour ; en retour il fut injurié, bafoué et humilié avant de sacrifier sa vie. Dans le violent scandale de la croix éclatent à la fois l’amour du Dieu vivant et la déréliction d’un monde qui se meurt faute de saisir cet amour. Dans la personne de Jésus se révèle le visage de Dieu jusqu’en sa mort sur la croix, l’image d’un Dieu qui s’est fait l’un de nous et qui a pris sur lui nos misères, jusqu’au bout, par simple miséricorde ! Nombreux sont les chrétiens qui ont choisi depuis des siècles de servir et d’aimer ce Dieu d’amour qui se révèle dans son apparente impuissance au Golgotha.
Les bienfaits de la croix
Cette pièce est l’occasion ou jamais pour nous de nous rapprocher du Christ et de redécouvrir les bienfaits de la croix. C’est aussi l’occasion de manifester la compassion du Père en faveur de ce monde vulnérable et corrompu au nom du Vainqueur de la Passion et de la mort. Faisons resplendir le visage du Christ par tout notre comportement, en sorte que ceux qui le rejettent aujourd’hui puissent découvrir un jour son pardon et sa vérité.
De l’indignation à la défense ?
Avons-nous pour autant à défendre son honneur bafoué ? Avons-nous à venger l’outrage qui lui a été fait à travers cette pièce ? Répondre par l’outrage à l’attaque qui nous est ainsi faite serait se rendre pareil à l’adversaire. User des méthodes propres aux extrémistes de tous bords serait un blasphème en lui-même.
Exprimer sa blessure, sans faire la guerre
Face au discrédit de notre foi, il n’est certainement pas permis de rester muets, notre silence risquant d’être interprété comme un consentement ou une indifférence. En tant que citoyens de notre pays respectueux de la liberté religieuse, autant exprimer notre indignation par toutes les voies possibles et permises, toutefois sans la moindre violence. « On peut exprimer sa blessure, mais cela ne peut pas devenir un argument de combat organisé », a ainsi déclaré Mgr Vingt-Trois sur Radio Notre-Dame, précisant que « de même que l’objectif du Christ n’est pas d’établir un royaume terrestre, notre objectif n’est pas de transformer les pays en églises, mais de vivre en chrétiens dans des pays qui ne sont pas nécessairement chrétiens. Il faut que nous acceptions que cette différence puisse aller jusqu’à l’injure et que nous acceptions de supporter avec le Christ l’incompréhension, l’hostilité et la violence des autres. Sinon, nous entrons dans une guerre culturelle qui n’est pas vraiment dans le sens de l’Évangile ».
Alternative à la vengeance, l’amour qui pardonne
Avant d’agir et de réagir, de grâce… Osons-nous alors poser la question : que ferait Jésus à notre place ?
Jésus nous suggère une alternative à la vengeance, l’amour d’autrui jusqu’au bout, jusqu’à la fin, jusqu’à l’extrême limite du pardon : « Jésus n’a jamais demandé qu’on venge l’outrage qui lui serait fait. Il ne répond pas à la violence par la violence, mais par le pardon » (Mgr Robert Le Gall, Archevêque de Toulouse) : Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. Nous sommes les disciples de ce Dieu-là. L’amour du prochain et le pardon des offenses, si offense il y a, est vraiment la tasse de thé des chrétiens, je donne là raison à l’athée Michel Onfray qui prend la défense des chrétiens quand on les insulte, chapeau ! Oui, il vaut mieux subir l’injustice que la commettre.