Actu - Les chrétiens à la barre ?
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Plusieurs articles de ce numéro visent à renforcer la réflexion et inciter à un sain débat sur la foi et l’idéologie.
2014, année électorale avec les Municipales et les Européennes. Échéance qui oblige les citoyens que nous sommes à faire des choix responsables et lucides. S’il n’est pas dans nos attributions de les dicter, encore avons-nous à les éclairer. D’où les deux billets d’humeur. Par définition, ces propos n’engagent que leurs auteurs. Chacun présente une sensibilité différente, l’un penche plus à droite que l’autre, mais les deux invitent et incitent leurs lecteurs à revoir leur positionnement au regard de l’exigence évangélique. Comprenez ces deux articles comme saines contributions à la réflexion et au débat. A vos plumes, si vous avez à quelque chose à dire.
"Les chrétiens à la barre ?"
Daniel Goldschmidt, église mennonite de Saint-Genis, Bellegarde
Alors que la Suisse opte pour des quotas d’immigration et que les thèses des droites extrêmes se banalisent, comment se positionnent les chrétiens évangéliques ? Interpellation salutaire d’un responsable mennonite. La chronique est partagée par Christ Seul et ENroute.
En ce début d’année, un séisme secoue l’Helvétie : contre l’avis des politiques au plus haut niveau, des chefs d’entreprises et du milieu économique, le « peuple » de Suisse a voté pour le rétablissement des quotas d’immigration. C’est un retour au système de maîtrise des flux migratoires d’avant les accords européens qui ont imposé la libre circulation des personnes en échange de l’intégration aux accords de Schengen. Dans la philosophie, cela ressemble à notre « immigration choisie » en France, mais en version plus dure et qui sera probablement appliquée avec un esprit et une méthode plus… germaniques. L’initiative contre « l’immigration de masse » présentée par l’Union Démocratique du Centre (UDC), est passée il est vrai à un pouième près ; ce vote a été salué par tous les partis de droite extrêmes du continent. Monumental pied de nez à Bruxelles, ce séisme risque d’avoir des répliques européennes et remet en cause les accords avec l’Union européenne. Le vote montre bien que la limite entre démocratie directe et populisme n’est pas large.
La tentation de l’extrême-droite ?
L’Union Démocratique du Centre n’est plus un parti centriste, mais l’équivalent de notre Front National. Le responsable de ce virage est son chef charismatique Christoph Blocher (prononcer à l’allemande), fils de pasteur. Le sens de « l’ordre » et « des valeurs » (de Gaulle ne dénonçait-il pas la « chienlit » de mai 1968 ?), la croisade contre les « élites multiculturelles mondialisées », l’option en faveur du libéralisme économique anti-étatique ou anti-institutionnel, constituent un cocktail qui offre des perspectives sympathiques aux chrétiens évangéliques, ou catholiques d’ailleurs. A fortiori lorsqu’est dénoncé le libéralisme éthique des partis socialistes de divers bords. Côté français, la question se pose : faut-il manifester sans retenue contre « le mariage pour tous » en compagnie de l’extrême-droite dans une association « contre nature » ? N’y a-t-il pas un risque d’être récupéré par ce discours, voire berné comme certains chrétiens allemands de l’entre-deux guerres ? On sait qu’alors, le réveil fut brutal.
La tentation de la droite ?
Le sociologue Philippe Gonzalez, par ailleurs prédicateur mennonite, décrit dans un ouvrage récent1 cette collusion à l’œuvre sur divers continents : des mouvements para-ecclésiastiques à l’œuvre en Suisse romande à certaines églises « charismatiques », du « Tea-Party » américain au gouvernement ougandais, se noue une alliance objective entre chrétiens évangéliques et partis conservateurs de droite éventuellement extrême. C’en est fini de la prudence qui a suivi la dernière guerre. On peut certes relever le risque « d’amalgame » (voir l’article de Serge Carrel sur www.lafree.ch) de l’ouvrage du sociologue. Ce risque, inhérent à toute étude comparative, n’invalide pas à mon sens la thèse principale de l’auteur : il y a une proximité troublante entre chrétiens évangéliques (surtout de tendance charismatique) et partis ou mouvements de droite.
À l’aune de cette analyse, il me semble que les chrétiens évangéliques doivent plus se méfier, à ce stade de l’Histoire, des sirènes de la droite que du discours de la gauche qui heurte plus grossièrement leurs valeurs. Jésus nous exhortait à être vigilants et à comprendre ce qui est à l’œuvre dans notre monde (Mt 24). Jacques Ellul avait dans l’après-guerre dénoncé la collusion inverse des penseurs chrétiens (entre autres) avec le marxisme (« Contre les violents »). Aujourd’hui, la tentation, ce me semble, est inverse.
La tentation du pouvoir?
Mais à toute époque, dans leur recherche d’une place, d’un lieu et d’une parole publique, les chrétiens doivent avant tout se méfier de leur propre tentation du pouvoir ; quelles que soient les valeurs défendues (la famille, le couple, la vie…), la manière d’accéder à une position d’influence, anticipe sur ce que sera l’exercice de cette influence : exclusive, sans pluralisme, ne reconnaissant pas de place aux hommes et femmes non chrétiens ou pétrie de l’humilité du serviteur et Maître… Le seul mode d’influence qui ne trahisse pas le message est celui mis en œuvre par le Christ ; celui d’une éventuelle désobéissance (« il vaut mieux obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ») prête à assumer personnellement les conséquences de sa position.
Note
1. Philippe GONZALES, Que ton règne vienne — Des évangéliques tentés par le pouvoir absolu, Labor et Fides, Genève, 2014.