Méditation

"C'est votre avantage que je m'en aille"

Je m'imagine une personne en situation compromettante disant une telle phrase: je me sentirais soulagé. Mais j'aurais de la peine à comprendre que mon meilleur ami me le dise à moi. A la limite, je pourrais consentir qu'il s'agisse d'une absence limitée, d'un temps de vacances par exemple. Toutefois, celui qui s'est fait frère, ami et même sauveur pour moi, l'a dit d'une manière définitive pour cette vie terrestre. Il s'en est allé pour retourner dans la gloire du Père céleste. Et personne ­ ni vous, ni moi - ne pourra le voir. Ne serait-il pas un avantage de pouvoir voir Jésus et d'avoir vécu de son vivant? Les premiers disciples ne furent-ils pas dans une situation préférable à la nôtre? Me viennent alors à l'esprit ceux qui vivaient le plus proche de Jésus, les membres de sa famille. Par trois fois, ils ont vécu des moments douloureux de séparation. Prenons l'exemple de Jacques, frère de Jésus. Je m'imagine qu'il pourrait nous raconter son expérience de la manière suivante:

J'ai vécu mon enfance, mon adolescence et même le début de ma vie adulte avec mon frère Jésus, à Nazareth. Ce fut un temps magnifique et, plus d'une fois, j'étais étonné de la facilité avec laquelle il parlait de la volonté de Dieu. Même nos maîtres de la Loi reconnaissaient qu'il faisait preuve d'une sagesse exemplaire. Nous avons bien apprécié de l'avoir dans notre famille. A l'âge de trente ans, il est allé vers Jean-Baptiste et s'est laissé baptiser par lui comme beaucoup d'autres Juifs. Par la suite, les choses ont empiré. Mon frère a pensé qu'il devait commencer un ministère public. Il a appelé quelques-uns à devenir ses disciples et a parcouru notre région. Partout il y avait une foule qui voulait l'entendre, le voir, lui quémander de l'aide ou le toucher. Nous avons craint pour sa santé. Avec ma mère et mes frères, nous avons essayé de le ramener de force à la maison. Mais il n'y avait rien à faire. Il voulait absolument continuer son "ministère" qu'il jugeait avoir reçu de Dieu. Pour nous, il était devenu fou. C'est là où j'ai perdu mon frère la première fois.Puis, de plus en plus de gens ont commencé à parler de mon frère. Les uns pensaient qu'il était le Messie promis. Ils étaient souvent des marginaux. D'autres étaient choqués par les libertés qu'il prenait. Son "ministère" a continué pendant un certain temps, peut-être trois ans au maximum. Mais cette petite période était très intense. Peu de gens sont restés indifférents face à mon frère. Moi, je ne faisais pas partie de ses disciples. Avant la fête de la Pâque, mon frère a quitté la Galilée et s'est dirigé vers Jérusalem. J'ai entendu qu'il a été salué comme le Messie promis, à son arrivée. Au bout de quelques jours, l'opinion publique a fait volte-face. On a craint des émeutes, tellement les gens ont demandé que mon frère soit crucifié. Ponce Pilate a cédé à la pression et l'a livré à la mort. Ma mère était tout près lors des dernières heures de mon frère. Là, sur la colline en dehors de Jérusalem, j'ai perdu mon frère la deuxième fois. Je vous assure que, bien que je l'aie côtoyé de près, je n'ai rien compris à son "ministère".De façon tout à fait surprenante, mon frère crucifié et enseveli m'est apparu vivant. Après le premier choc, j'ai réalisé que Dieu voulait confirmer le ministère de mon frère qui semblait avoir échoué. Dieu l'a donc ressuscité. Lorsque Jésus m'est apparu, ainsi qu'à mes frères, notre vie a basculé. Nous avons rejoint les autres disciples. Humainement, nous avons toujours bien connu notre frère Jésus, mais nous n'avons acquis confiance en sa mission divine qu'après sa mort et sa résurrection. Avec mes frères et tous les disciples, j'étais présent quand mon frère ressuscité a pris congé de nous pour retourner dans la gloire de son Père qui est devenu, pour moi aussi, un père. C'est la troisième fois que j'ai "perdu" mon frère, mais c'était différent. Jésus nous a promis que nous recevrions de son esprit, l'esprit de Dieu. Celui-ci est véritablement la puissance qui, maintenant, m'anime de l'intérieur pour témoigner de lui, mon frère qui est également mon sauveur.De son vivant (pardon, il est à nouveau vivant, mais différemment) mon frère avait déjà dit à ses disciples : « C’est votre avantage que je m'en aille." Je n'aurais jamais pensé que le vide laissé par son absence puisse être comblé, mais de plus en plus, dans notre mission, nous réalisons à quel point cet Esprit qui nous vient de Dieu est présent à tout moment et tout endroit ­ plus que mon frère, en tant qu'homme, ne pourrait l'être. En regardant en arrière, je commence lentement à comprendre pourquoi c'est à notre avantage qu'il s'en soit allé. Il ne nous a pas laissés orphelins! »


Références bibliques : Jean 16.7 ; Luc 2.40, 52 ; Luc 3.23 ; Marc 3.20-21, 31-35 ; Marc 6.3 ; Jean 19.25 ; 1 Cor 15.7 ; Actes 1.14 ; 1 Cor 9.5.

Patrick STREIFF