Histoire

La difficile relation entre convictions et tolérance selon John Wesley (2)

John Wesley a abordé la question des relations entre chrétiens de différentes dénominations. Il encourageait les différentes parties à faire preuve d’un esprit de fermeté et d’ouverture qu’il assimilait à l’ «esprit catholique». Son avis vaut aussi pour nos relations avec les croyants d’autres religions, «les Juifs, les Musulmans et les païens». Ainsi John Wesley se présente doublement comme un précurseur, précurseur de l’œcuménisme et précurseur du dialogue interreligieux. Suite de l’étude documentée et d’une actualité certaine de Daniel Husser


Daniel Husser

Dans ses jugements concernant les Juifs, les Musulmans et les païens

Le ‘’catholic spirit’’ de JW se manifestait essentiellement dans ses relations avec les différentes confessions et dénominations chrétiennes. Cependant, son attitude de tolérance et de compréhension bienveillante s’étendait bien au-delà de ces limites.

Le judaïsme

* Concernant les Juifs, JW déclare, dans son Sermon sur la foi (1788) :

«Il est clair que le voile est encore sur leurs yeux quand ils lisent Moïse et les Prophètes…Cependant il ne nous appartient pas de les juger ; laissons-les entre les mains de leur propre Maître.»

Une telle déclaration, à une époque où l’ensemble des Églises jugeait avec dureté les Juifs, rendus responsables de la mort du Christ, était provocante et courageuse. JW réprouvait ainsi, sans équivoque, les attitudes méprisantes et hostiles à leur égard. Il exprime aussi l’espérance qu’un jour, les révélations reçues et transmises par Moïse et les Prophètes soient complétées par la découverte de l’Évangile de Jésus-Christ. Quant au moment et à la manière de cette découverte, c’est à Dieu seul que revient l’autorité d’en décider.

Il est clair qu’une telle position exclut toute justification de pensées, paroles ou actes antisémites de la part de chrétiens dignes de ce nom.

L’islam

JW témoigne le même respect, la même compréhension, et la même bienveillance aux ‘’ Mahométans’’ (Musulmans) et aux Païens. :

«…les Païens et les Mahométans sont plus à plaindre qu’à blâmer pour le caractère limité de leur foi. S’ils ne croient pas à toute la vérité, ce n’est pas faute de sincérité, mais faute d’une plus grande lumière…Il ne leur sera donc redemandé que d’avoir vécu selon la lumière qu’ils ont reçue.»

Cette bienveillance, JW la fonde sur la justice et l’amour de Dieu envers toutes ses créatures, sans exceptions. Dans cette perspective, aucun chrétien ne peut s’arroger le droit de prononcer des condamnations à l’encontre de ceux qui n’ont pas encore eu le privilège d’accéder à la même lumière que lui. Ainsi, dans un sermon de 1790, JW affirme :

«Nul homme n’a le droit de condamner à la damnation éternelle l’ensemble du monde païen ou mahométan. Il est de loin préférable de les confier à Celui qui les a créés, qui est le Dieu des Païens comme des Chrétiens et qui ne hait aucune de ses créatures.»

Gare à l’arrogance

Enfin, pour couper court à toute tentation de présomption et d’orgueil spirituel, JW invite les chrétiens, catholiques ou protestants à s’examiner eux-mêmes au sujet du contenu de leur foi :

«Si la foi d’un Catholique romain et  celle d’un Protestant n’est pas autre chose qu’un assentiment à telle ou telle vérité, elle n’est pas plus salutaire devant Dieu que la foi d’un Mahométan ou d’un Païen…»

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Face aux suspicions d’indifférentisme

Il n’est pas étonnant que l’attitude bienveillante de JW envers les Catholiques et autres communautés religieuses lui ait valu des reproches de compromissions et d’indifférentisme (latitudinarisme). Il fut ainsi traité de «Papiste déguisé», ce à quoi il répond, en 1790, à l’un de ses correspondants, membre de sa famille :

«Je ne me soucie pas d’être appelé Papiste ou Protestant, mais ce qui me fait de la peine, c’est que tu es un païen. Il est certain que la piété superficielle, chez les Protestants comme chez les Catholiques, n’est pas autre chose qu’un paganisme cultivé.»

L’esprit œcuménique que JW professait était déformé par certains comme étant en fait une adhésion au latitudinarisme, tendance religieuse influencée par le philosophe John Locke au XVIIe siècle, puis par ses successeurs du «Siècle des Lumières» ;  Frédéric II, Roi de Prusse et grand ami de Voltaire l’exprimait par cette formule lapidaire : «Dans mon royaume, chacun peut faire son salut à sa façon».

JW réagit avec véhémence à une telle accusation : 

«…l’esprit catholique (œcuménique) n’a rien de commun avec l’esprit spéculatif du latitudinarisme : il n’a point, pour toutes les opinions, une indifférence qui vient de l’enfer et non du ciel. Cette versatilité dans les idées, cette facilité de se laisser mener çà et là par tout vent de doctrine, n’est pas une bénédiction, mais une grande malédiction…».

Ouverture ne veut pas dire absence de convictions fortes

JW veut faire comprendre à ses détracteurs qu’il est certes un homme de dialogue, mais aussi un homme ayant de fortes convictions.

Loin de se laisser aller à toutes sortes de compromis pour réaliser des ententes superficielles et factices avec des personnes et groupes de confessions différentes, JW insiste sur la nécessité d’avoir de fortes convictions personnelles avant de s’engager dans un dialogue : 

«Je ne veux point dire : soyez de mon opinion ; cela n’est pas nécessaire, je ne l’attends ni ne le souhaite ; je ne veux pas dire non plus : je serai de votre opinion. Je ne le puis pas, car cela ne dépend pas de mon choix. Conservez votre opinion, moi, je garderai la mienne… que, de part et d’autre, nos opinions soient laissées de côté».

Et JW adjure les auditeurs et lecteurs de son sermon à rechercher simultanément l’approfondissement de leur foi et le développement de leur amour et compassion pour les autres :

«…prends garde de ne pas flotter dans tes convictions et de ne point rétrécir les entrailles de ta compassion, mais conserve une paix constante, étant enraciné dans la foi qui a été , une fois pour toutes, transmise aux chrétiens et fondée dans l’amour, le véritable amour catholique (œcuménique)».

L’affaiblissement des convictions : un danger à discerner et à prévenir

Vers la fin de sa vie, JW discerne avec lucidité les dangers auxquels le mouvement qu’il a suscité en 1738 est exposé, comme tout autre groupe religieux, après avoir connu des débuts pleins d’enthousiasme et de promesses. Il écrit dans son Journal, en 1786 : 

«Beaucoup de Méthodistes, devenus riches, se sont mis à aimer les choses du monde. Ils ont épousé des femmes qui n’étaient qu’à moitié ou pas du tout converties, et ils ont fréquenté leur parenté. Ainsi, les pensées, critères et coutumes du monde se sont répandus  parmi eux. Il en résulte une grossière négligence dans les devoirs familiaux, surtout en ce qui concerne l’éducation des enfants. Il est difficile aux prédicateurs de remédier à ce mal.»

Et, qu’arriverait-il au cas où l’on n’y remédie pas en temps utile ?

«Je n’ai pas peur que les gens que l’on appelle Méthodistes cessent un jour d’exister. Mais je crains qu’ils ne pourraient plus exister que sous la forme d’une secte morte, avec les formes extérieures de la piété, mais dépourvue de sa force vitale.»