Les églises d’Ukraine, un modèle à suivre ?
Thierry Seewald, église de Villeneuve-le-Comte, aumônier pour personnes handicapées mentales, Association des établissement du Domaine Emmanuel
Unies dans l’adversité, l’évolution des Églises d’Ukraine depuis nous fait réfléchir sur ce qui nous unit et ce qui nous divise. Chronique commune à Christ Seul et à ENroute.
Jusqu’à fin mars, dans la crise ukrainienne, les médias mettaient en valeur le rôle des Églises. On évoquait sur la place de Maïdan « la présence de dizaines de prêtres et pasteurs de différentes confessions sur la tribune qui proposent chaque jour depuis trois mois aux fidèles de se recueillir de façon œcuménique » ; « même des prêtres conservateurs, qui n’avaient jamais prié avec des croyants d’autres dénominations, se sont joints à la liturgie, sur la place. »
Les églises comme recours
Les Églises essayaient également d’être médiateur entre le président et l’opposition pour obtenir un arrêt des violences.
On reconnaissait des tensions entre confessions orthodoxes, l’une rattachée au patriarcat de Kiev, pro-européenne, l’autre à celui de Moscou, pro-russe, avec le patriarche russe prenant des positions tranchées. Mais de nombreuses voix des deux Églises manifestaient leur désir de procéder à la réunification des deux entités. Le synode de l’Église orthodoxe du patriarcat de Kiev publiait une déclaration affirmant qu’« il convient que nous abandonnions nos reproches réciproques qui appartiennent au passé ».
On soulignait le grand capital de confiance dont bénéficiait l’Église en Ukraine fasse aux institutions du pays qui avaient perdu toute crédibilité aux yeux du peuple. On évoquait le rôle futur des Églises, en tant que composantes importantes impliquées dans la vie de la société civile, pour prendre en compte les défis sociaux, avoir une action concrète dans le pays contre la corruption massive…
Construire des murs pour célébrer Pâques
Depuis, les choses ont changé et l’on voit fleurir des titres comme « Les patriarches orthodoxes russe et ukrainien s’opposent dans leur message pascal ». Au cours d’une célébration de Pâques, le patriarche de l’Église orthodoxe russe a appelé à prier pour le peuple russe qui vit en Ukraine pour que personne ne puisse « détruire la Sainte Russie » en lui enlevant l’Ukraine.
Le patriarche orthodoxe de Kiev a, au même moment, dénoncé l’« ennemi » russe : « Dieu ne peut pas être du côté du mal, c’est pour cela que l’ennemi du peuple ukrainien est condamné à l’échec ». « Le Christ a souffert, il est mort, puis il est ressuscité et a vaincu le mal. Ce sera toujours ainsi. Dieu nous aidera à ressusciter l’Ukraine ».
Notre patrie, quelle qu’elle soit, n’est-elle pas toujours du côté des agressés qui se défendent légitimement ? « Sainte Russie » d’un côté, Dieu contre le mal qui attaque l’Ukraine de l’autre, chacun voit Dieu dans son camp.
Christ est-il divisé (1Co 1.13) ?
Il serait facile de se dédouaner en soulignant qu’il s’agit là d’un christianisme de multitude et de nous réfugier dans notre identité évangélique. Mais ces événements nous questionnent sur l’influence de la culture sur notre théologie. Il est déjà triste, bien que légitime parfois, que les Églises se divisent pour des questions de doctrine. Mais il est affligeant de reconstruire le mur de séparation entre frères et sœurs de diverses nations que Christ a renversé (Ep 2.14), alors que la guerre est aux portes.
Être à l’image du Christ, c’est travailler à l’unité des peuples, à la réconciliation entre confessions, à la paix, et non défendre notre patrie que l’on considère choisie par Dieu ou encourager la violence. « À ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » (Jn 13.35) Des Églises qui s’invectivent se discréditent. Des croyants qui osent transgresser les barrières sociales et culturelles que les autres construisent frappent l’imagination et sont un vivant témoignage de ce que le Christ ressuscité peut accomplir.