Cinéma

Les jurys oecuméniques


A l’occasion de la sortie du film The Way qui illustre un certain nombre de valeurs chrétiennes, ENroute esquisse le lien existant entre le cinéma et l’engagement chrétien en donnant la parole à la pasteure Denyse Muller, présidente d’Interfilm et de divers jurys œcuméniques. 

Pasteure Denyse Muller

Le cinéma : une aventure de 130 ans


Né en France en 1895, muet ou parlant, le cinéma a été et reste l’art le plus populaire des 20e et 21e siècle. Des milliers de films présentent des sujets ou des personnages bibliques ou religieux et pendant les vingt premières années, la Bible est même le sujet d’inspiration n° 1. Dès le début les chrétiens se sont intéressés au cinéma et l’ont accueilli parfois avec enthousiasme parce que très vite le cinéma produit des chefs-d'œuvre, parfois avec réticence parce que la puissance des images risque de remettre en question la morale, la foi et les convictions des chrétiens et surtout des jeunes. Dès 1934, l’Église catholique crée une cote morale tout en encourageant un bon cinéma.

Les Églises protestantes manifestent plus tardivement leur intérêt. En 1948 le pasteur Henri de Tienda, constatant que les salles de cinéma attirent plus de monde que les églises, organise dans son temple à Paris des séances de cinéma et, en été avec l’aide d’étudiants en théologie, des circuits de projection de films grand public suivie de débats en Province et dans toute la France.

Le travail des chrétiens engagés dans l’aventure du cinéma est soutenu par deux organismes internationaux : l’OCIC (catholique, fondée en 1928 devenue SIGNIS en 2001) et INTERFILM (protestant) fondée à Paris en 1955 sous le parrainage du pasteur Marc BOEGNER, président de la Fédération protestante de France. Ces organismes font un travail important de formation, organisent des séminaires de réflexion, dialoguent et débattent avec des professionnels. Tout cela attire l’attention des responsables de festivals de films qui les invitent à constituer des jurys.

Les premiers jurys œcuméniques

À partir des années soixante donc, un jury catholique côtoie souvent un jury protestant dans les festivals internationaux. Pourtant le premier jury œcuménique est créé à Locarno (Suisse) en 1973 dans un festival où il n’y a encore ni l’un ni l’autre, le directeur Moritz de Hadeln déclare : « un jury des Églises dans mon festival ne peut être qu’un Jury Œcuménique ». Expérience tentée et réussie.

À Cannes les 2 jurys se côtoient pendant 6 ans. Lorsqu’en 1973 ils remettent en un même lieu leur prix au même film, il devient alors évident, dans le grand souffle œcuménique qui traverse la France après Vatican II que le prochain jury sera œcuménique, ce qui fut fait en 1974.

Les jurys œcuméniques en 2013 Locarno (depuis 1973) Cannes (1974) Montréal (1979) Leipzig (1990) Berlin (1992) Karlovy Vary (1994) Mannheim (1995) Cottbus (1999) Kiev (1999) Oberhausen (2000) Zlin (2000) Fribourg (2001) Erevan (2007) Varsovie (2010) Miskolc (2011)

Composition d’un jury

Un jury se compose de 3 à 10 membres nommés par INTERFILM et SIGNIS. Ces jurés, renouvelés chaque année, sont issus de culture et de pays différents et compétents dans le domaine du cinéma comme théologiens, journalistes, enseignants… Ils sont membres de l’une des églises chrétiennes protestante, catholique, orthodoxe… et sont ouverts au dialogue interreligieux.

Le dur travail des jurés

Les jurés voient 3 à 5 films par jour, se réunissent régulièrement pendant le festival, analysent, commentent les films et délibèrent en toute indépendance. Ils remettent un prix à un film de la compétition officielle et justifient leur choix en rédigeant un texte motivant leur décision. Leur travail est sérieux, exigeant, passionnant.

Les critères

Les critères du jury tournent autour de deux pôles : qualités artistiques et valeurs évangéliques.

Qualité artistique C’est-à-dire scénario, mise en scène, acteurs, photographie, musique, pour une création convaincante et originale.

Valeurs évangéliques Le jury prime des œuvres de dimension universelle qui présentent des valeurs humaines positives, des œuvres qui interpellent notre responsabilité de chrétiens avec des thèmes tels que

  • Respect de la dignité humaine et droit de l’homme…
  • Solidarité avec les minorités, les opprimés…
  • Justice, paix, amour, pardon, réconciliation…

Les jurys œcuméniques : une aventure et un témoignage

Une aventure grâce à la diversité des jurés et des prix œcuméniques. Chaque année, environ 65 jurés viennent de tous les continents. Découverte des cultures, écoute, débats font partie de leur quotidien ainsi que des rencontres avec les médias internationaux de tous bords : radios, presse, télévision, internet…

Et un témoignage car tous les jurys assurent une présence chrétienne en milieu culturel et laïc. En 2012 ils ont remis 28 prix à des films venant de 26 pays. Cela permet des rencontres exceptionnelles avec des réalisateurs de talent que nos prix encouragent. Aucun à ce jour n’a refusé un prix œcuménique.

Et après le festival ?

Les œuvres primées vont être diffusées, projetées, discutées. De nombreux chrétiens, protestants et catholiques animent des groupes, des ciné-clubs, participent à des rencontres, des séminaires… Les jurés sont bien sûr particulièrement sollicités lors des présentations et discussions autour des films qu’ils ont récompensés.

Alors pourquoi des chrétiens dans le monde du cinéma?

Le cinéma nous décrit parfois avec tendresse et humour, parfois avec violence et réalisme le monde d’aujourd’hui, l’homme avec ses rêves, sa foi, ses doutes, ses cris, ses déchirures, ses espérances aussi…

Les chrétiens essaient de découvrir la « parole » d’un film, c’est-à-dire sa petite lumière qui nous permet de comprendre que dans des vies au destin qui semble tracé surgit l’inattendu, le moment de « grâce » qui ouvre un avenir, le souffle porteur de vie qui nous relie les uns aux autres.

Ces films qui nous séduisent ou nous dérangent peuvent, au-delà des images et des mots enrichir, approfondir ou interpeller notre vie spirituelle et notre responsabilité de chrétiens et aussi nous aider à cheminer ensemble, ou à faire un pas vers l’autre, peut-être un pas vers Dieu. C’est ce que nous espérons.

En route - ensemble