"En lutte avec l'ange" poème de Charles Wesley
Texte & contexte
« Viens, Ô toi voyageur inconnu », basé sur Gn 32 (l'histoire de Jacob luttant avec l'ange), est historiquement l'un des hymnes ou poèmes les plus importants jamais écrits par Charles Wesley. C’est un grand poème que des générations ont pris le temps de mémoriser et de méditer. Cet hymne a connu une étrange popularité. Mineurs gallois, drapiers de Leeds ou de Manchester, débardeurs de Liverpool se recueillaient pour chanter les strophes obscures.
Ce texte mériterait d’être étudié de nos jours vu sa densité spirituelle.
Le poème campe le patriarche Jacob aux prises avec l’Ange. Il vient de quitter ses compagnons ; la tribu du patriarche s'éloigne ; les derniers troupeaux disparaissent à l'horizon, Jacob est seul. Le messager céleste lui apparaît, l'Esprit dont il doit se rendre maître. Dans un paysage nu, deux athlètes s’affrontent.
Si le poème met en scène Jacob aux prises avec Dieu, il est aussi à prendre en un sens autobiographique : Charles Wesley y rapporte sa propre expérience de conversion : comme Jacob, il s’est retrouvé seul à se battre avec un étranger. Comme Jacob, il se reconnaît lui-même pécheur et aux prises avec sa conscience. Il veut connaître le nom de cet étranger, mais déjà nous pouvons commencer à deviner que l'étranger est le Christ, l'Homme-Dieu - qui révèle progressivement son identité. Et donc, pour voir la face de Dieu et vivre, comme Jacob, il lui faut recevoir la grâce de Dieu, à savoir faire l’expérience que Dieu est amour. Et qui plus est, que cet étranger rempli d’amour ne va pas disparaître à l'aube, qu’il sera toujours là dans son amour jusqu’à la fin.
Ainsi dans ce poème, Charles Wesley est passé de la quête du salut à l’expérience de l’amour de Dieu : « C'est l’amour ! Tu es mort pour moi. . . / Ta nature et ton nom, c’est l’Amour… Tu es Jésus, l'ami du faible pécheur ». Le voyageur qui surgit dans le désert de la Genèse et qui ne s'est pas nommé devient sous sa plume le Christ, le désiré de toutes les âmes, le Dieu vivant que chacun de nous est appelé à connaître personnellement.
C’est ainsi que Charles Wesley a fait d’une pierre deux coups : en traitant de la lutte de Jacob avec l’ange, il a mis non seulement mis en valeur son propre itinéraire spirituel, il a aussi mis en évidence le message universel du salut. Il y décrit la trajectoire de tout croyant aux prises avec l’Amour parfait. Tout homme est appelé à ce détachement et à cette lutte. Chaque créature doit entreprendre à sa manière la conquête de son Dieu et faire la découverte de son amour indicible.
La sémantique selon Wesley par le professeur Jean-Pierre van Noppen (Belgique)
Dans la sémantique de Wesley, la métaphorique biblique peut être transformée pour être mise au service d’une théologie du salut. Par example, dans la parabole du Bon Samaritain, contrairement au discours qui montre le Samaritain comme exemple, le pécheur est ici assimilé à la victime et Jésus au Samaritain qui lui sauve la vie, panse ses blessures, et le prend en charge. Les Wesley peuvent réserver le même sort aux récits historiques : lorsque Jacob, après sa lutte avec Dieu au Jabbocq, lui demande son nom, il s’exclame: ‘Ton nom est Amour, Tu es mort pour moi !’: en quelques lignes, son interlocuteur se transforme du Dieu de l’AT en une figure christique. On retrouve le même ‘bond’ entre l’Ancien et le Nouveau Testament, hardi et apparemment anachronique, dans les cantiques qui relatent la lutte entre David et Goliath, ou l’histoire de Daniel dans la fosse aux lions. Ces récits de l’Ancien Testament deviennent les symboles de la lutte du chrétien contre le péché, et pour assister le pécheur dans sa lutte contre l’adversaire, l’on retrouve ... Jésus-Christ. Cet usage de personnages et d’événements de l’Ancien Testament pour préfigurer l’oeuvre du Christ dans le Nouveau n’est pas rare chez les Wesley. S’agit-il d’anachronismes inadmissibles ? Non. La contradiction ne se situe qu’au niveau du signifiant, et cela n’est pas inhabituel: la Bible nous parle de Dieu comme père, mère-poule, rocher et rempart, et ces différentes images, qui éclairent chacune un aspect différent de la divinité, ne sont pas perçues comme contradictoires, mais complémentaires.
Notes
1. Wesley, J.: A Collection of Hymns for the Use of the People Called Methodists [1780] (ed. F. Hildebrandt). Oxford: Clarendon Press , 1983 (The Works of John Wesley, Bicentennial Ed., vol. VII), cantiques 136, 156, 269.
2. Wainwright, G.: ‘Introduction’, in John and Charles Wesley: Hymns on the Lord’s Supper [1745]. Madison, N.J.: The Charles Wesley Society, 1995, x.
Extrait de J.-P. van Noppen : "Le réveil des mots : lire Wesley avec l'ordinateur et le coeur", in Analecta Bruxelliensa 9 (2004), pp. 5-16, texte repris dans "Les hymnes dans le discours méthodiste," communication présentée à la journée d’études Sources et usages de l’hymnologie dans le méthodisme organisée par à l’Institut Protestant de Théologie – Faculté de Montpellier, en novembre 2013.
Viens, ô Toi, Voyageur Inconnu,
Que j’empoigne encore, mais que je ne peux pas voir.
Mes compagnons s’en sont allés,
Seul avec Toi, je vais rester,
Pour lutter jusqu’à l’aurore.
Je n’ai pas besoin de te dire qui je suis,
De te déclarer mon malheur et mon péché
Toi-même, tu m’as appelé par mon nom,
Regarde tes mains, et lis ce qui y est gravé ;
Mais qui, je te le demande, qui es-tu ?
Dis-moi ton nom, et dis-le moi maintenant.
En vain tu te débats pour te libérer,
Je ne desserrerai jamais mon étreinte !
Es-tu l'homme qui est mort pour moi ?
Dévoile-moi le secret de ton amour;
Je suis en lutte, je ne te laisserai point partir,
Avant de connaître ton nom, ta nature.
C’est en vain que tu retiens ta langue
Ou que tu touches le creux de ma hanche ;
Bien que chaque tendon soit décroché
De mes bras, Tu ne vas pas fuir ;
Je suis en lutte, je ne te laisserai point aller
Avant de connaître ton nom, ta nature.
Même si ma chair diminuée se plaint,
et murmure d’avoir à lutter si longtemps,
Je domine ma douleur ;
Quand je suis faible, c'est alors que je suis fort :
Je l’emporterai avec l’aide de l’Homme-Dieu.
Ma force est partie ; ma nature se meurt ;
Je m’enfonce sous ta pesante main ;
Épuisé, je revivrai, et tombé, je me relèverai ;
Je tombe, et par la foi je me relève encore :
Je suis debout, et je ne te laisserai point aller
Avant de connaître Ton Nom, Ta Nature.
Cède à mes instances maintenant, car je suis faible,
Mais confiant tout en désespérant de moi-même ;
Parle à mon cœur, par des paroles de bénédiction,
Sois conquis par ma prière instante !
Parle, sinon tu ne partiras pas d’ici,
Et dis-moi si ton nom, c’est l’Amour !
Oui, ton nom est Amour, Tu mourus pour moi,
J'entends, dans mon cœur Ton murmure,
Le matin se lève et les ombres fuient,
Tu es l'amour pur, universel,
Vers moi, vers tous ta pitié s’incline,
Ta nature et ton nom c'est Amour.
Ma prière agit sur Dieu, la grâce indicible,
Je la reçois maintenant,
Par la foi, je te vois face à face,
Je te vois face à face et je vis,
Je n'ai pas lutté ni pleuré en vain,
Ta nature et ton nom, c'est l’Amour.
Je te connais, ô Sauveur, je sais qui tu es.
Jésus, l'ami du faible pécheur!
Tu ne partiras pas avec la nuit,
Mais [tu] resteras, et m’aimeras jusqu’à la fin!
Tes compassions ne prendront jamais fin !
Ta nature et ton nom, c'est l’Amour !
Le Soleil de Justice sur moi s’est levé,
Avec la guérison dans ses ailes.
Les forces de ma nature épuisées, c’est de toi
Que me viennent la vie et le secours;
Mon aide est toute tracée au ciel ;
Ta nature et ton nom, c’est l’Amour.
Heureux maintenant je m’appuie sur ma hanche,
jusqu'à la fin de mon court pèlerinage terrestre ;
Démuni et faible, je dépends de Toi seul
Pour trouver des forces ;
Et je ne puis m’éloigner de toi ;
Ta nature et ton nom, c’est l’amour.
Le boiteux que je suis participe au pillage (Es 33.23),
Je viens aisément à bout de l’enfer, de la terre et du péché ;
Je saute de joie, en poursuivant mon chemin,
Et comme un cerf bondissant, rentre à la maison
pour prouver de toute éternité que ta nature
Et ton nom, c’est l’Amour.
Sources :
- Agnès de la Gorce, Wesley, maître d’un peuple (1703-1791) ss regard.eu.org pour la traduction de quelques strophes
- Le chant dans l’original « Wrestling with the Angel » par Charles Wesley (1707 – 1788)
Traduction révisée par Jean-Pierre van Noppen,
Professeur émérite, Linguistique anglaise.
Université Libre de Bruxelles