Mission possible - Agir avec courage
Mission possible – Agir avec courage
Patrick Streiff, évêque
À partir de l’histoire du ministre de la Reine de Candace (Ac 8,26-40), l’évêque Patrick Streiff démontre l’actualité et la pertinence de la mission ici et maintenant dans sa prédication lors du culte d’ordination de la CA 2012 à Frütigen (CH).
Le thème général de la Conférence annuelle est « agir avec courage ». Ce dimanche, nous poursuivons cette démarche sous le titre de « mission possible ». La mission consistant à « amener des femmes et des hommes à devenir disciples du Christ, pour transformer le monde » est possible. Il serait stupide de demander quelque chose d’impossible. Que le mandat d' « amener des femmes et des hommes à devenir disciples du Christ » soit possible ne signifie pourtant pas qu’il est facile. Cela demande de la confiance en Dieu et une action courageuse. Nous trouvons ces éléments dans l’histoire biblique que nous voulons écouter ce matin :
Lire Actes 8,26-40
1) Philippe se laisse envoyer sur une route inconnue
La rencontre entre Philippe et le haut fonctionnaire éthiopien anonyme a lieu dans d’étranges circonstances. Philippe en effet reçoit d’un ange un ordre de mission et plus tard dans le cours de cette histoire, il reçoit des directions du Saint-Esprit. Sans doute n’y en a-t-il que peu d’entre nous à avoir jamais reçu des directions aussi précises et aussi extraordinaires que Philippe. Mais le Saint-Esprit peut aussi nous parler par l’intermédiaire de cette voix intérieure qui nous dit de téléphoner à telle ou telle personne ou de lui rendre visite ou encore d’avoir du temps pour quelqu’un. Pour nous, Européens de l’Ouest plutôt raisonnables – cela vaut en tout cas pour moi – c’est souvent une voix intérieure disant d’avoir à faire ceci ou cela, sans pouvoir dire avec certitude que c’est le Saint-Esprit qui l’a inspiré. Ce n’est qu’après coup que je reconnais l’action de l’Esprit de Dieu. Reste qu’au départ, il y a le fait d’être prêt à s’engager sur une route inhabituelle, resp. à faire un détour, sans savoir où cela mène. Il faut agir avec courage.
Revenons à l’histoire de Philippe. Le dignitaire éthiopien n’a pas simplement croisé la route de Philippe. Ce serait plutôt le contraire. Philippe a dû quitter sa route habituelle pour croiser la route de l’Éthiopien. Il a même dû agir à rebours du bon sens. Car aucun individu sensé ne s’engagerait en plein midi sur le chemin désertique menant de Jérusalem à Gaza. C’est peut-être bien pour cela que Philippe a eu besoin d’un ange. À quoi s’ajoute qu’il n’a pas été envoyé dans un endroit où il aurait pu rencontrer beaucoup de monde mais sur une route déserte. Il ne lui a pas été annoncé qu’il allait rencontrer un personnage de haut rang. Il ne lui a pas non plus été dit qu’il rencontrerait une personne riche, occupant un poste politique important et qui de plus serait ouverte aux questions de foi. Philippe n’a pas reçu de justification motivante, telle que nous l’attendrions tout naturellement aujourd’hui quand quelqu’un nous donne un ordre de mission inhabituel. Et pourtant, il a été prêt à s’engager à faire un détour extraordinaire. Cela nécessite une action courageuse.
Quand nous souhaitons « amener des femmes et des hommes à devenir disciples du Christ », c’est une « mission possible ». Mais il faut bien voir le premier pas : Dieu ne va pas tant nous envoyer des gens qui vont croiser notre route, que nous envoyer faire des détours pour rencontrer d’autres gens sur leur chemin. Est-ce qu’en tant qu’individus ou que communautés, nous sommes prêts à cela ? La personne que nous allons rencontrer vivra sans doute une situation très différente de la nôtre, sans points de contacts naturels. Sommes-nous ouverts à cela ? Dieu ne nous dira pas d’avance ce qui préoccupe cette autre personne, ce qu’il faut lui dire et quelle pourrait bien être l’utilité de cette rencontre. Cette incertitude est sans doute l’une des plus grandes difficultés à surmonter quand aujourd’hui on veut s’engager dans une entreprise aussi hasardeuse, surtout quand la voix intérieure qui nous appelle est faible et discrète, ce qui est souvent le cas. Il y faut une action courageuse : l’écoute de la voix intérieure du cœur, la flexibilité pour l’inhabituel et la capacité à être prêt à agir en conséquence.
2) Philippe ne saute pas les étapes
Allons plus loin dans notre histoire biblique. Dans un premier temps, Philippe s’était embarqué pour l’inconnu, sans savoir encore à quoi cela pouvait servir. Nous découvrons maintenant un deuxième élément important.
L’histoire raconte que Philippe a reçu du Saint-Esprit l’ordre de rejoindre le char qui passait – il y avait apparemment là quelqu’un d’un rang social très élevé qui n’avait pas besoin d’aller à pied. Philippe a entendu que l’occupant inconnu de ce char lisait le livre du prophète Esaïe (le passage cité ci-dessus). À ce moment-là, Philippe aurait pu penser : « Quelle magnifique occasion de parler de l’Évangile. Je dois absolument dire à cet étranger qu’il est ici question de Jésus ». Mais pas du tout. Philippe n’a pas sauté les étapes. Il a été très attentif. Il a écouté. Avez-vous remarqué qu’il n’a même pas proposé son aide ; il n’a même pas mentionné qu’il connaissait l’Écriture Sainte. Philippe a simplement demandé : « Comprends-tu vraiment ce que tu lis ? » C’est une question qui témoigne d’une grande sensibilité, qui permet à l’autre personne de dire où elle
C’est une « mission possible » quand nous agissons avec courage et parlons de nos expériences dans la foi. L’Esprit de Dieu vous y guidera.
en est et comment elle se sent. C’est une question qui reste d’abord adressée à l’autre personne et qui ne sous-entend pas d’avance « MOI JE sais ce dont l’autre a besoin ». La question montre aussi que dans la Bible, tout n’est pas toujours si simple et si clair. On peut et on est en droit d’avouer tranquillement que l’on ne comprend pas tout dans l’Écriture Sainte. La question sensible de Philippe a ainsi permis un véritable dialogue qui a pris l’autre personne au sérieux et ne l’a pas vue comme un simple « objet de conversion ».
L’exemple de Philippe peut nous aider à atteindre notre objectif d’« amener des femmes et des hommes à devenir disciples du Christ ». C’est une « mission possible ». Ce deuxième élément de l’exemple donné par Philippe nous montre le rapport entre une action courageuse et notre discours. Il n’est en effet pas indispensable, quand nous parlons, de partager de but en blanc notre propre expérience dans la foi. Il faut d’abord écouter l’autre personne avec sensibilité : Comment vois-tu la chose ? Quelle est ton expérience avec Dieu ? Quelles sont les questions qui te préoccupent ? Ce n’est qu’à partir de là que peut s’engager une conversation au cours de laquelle je puis à mon tour partager monexpérience. Est-ce qu’en tant que communautés ou qu’individus nous y sommes prêts ?
3) La liberté de décision de l’autre
Revenons une fois encore à Philippe pour découvrir un troisième élément de cette histoire. Philippe a témoigné de l’Évangile de Jésus, mais il n’a pas invité le dignitaire éthiopien à une conversion immédiate ni au baptême. Il a laissé à son vis à vis la pleine liberté de sa décision. En cela, sa démarche ressemble à celle de Pierre le jour de la Pentecôte. Ce jour-là en effet, Pierre avait répondu à l’effarement des gens qui se demandaient si les disciples étaient ivres par un discours exposant ce qui s’était passé avec Jésus. De prime abord, il ne s’agissait que de présenter les faits relatifs à Jésus. Ce n’est que lorsque cette explication a suscité chez les auditeurs la question de savoir ce qu’ils devaient faire pour être sauvés que Pierre s’est remis à parler, en les invitant à se convertir et à croire au Seigneur Jésus. Les choses se sont passées de manière similaire chez Philippe. Philippe a expliqué ce qu’il avait compris de la voie de Jésus. Il n’a pas exercé de pression quant à ce que son interlocuteur devrait faire maintenant. Présenter la voie de Jésus peut et doit susciter chez l’autre le désir de suivre lui aussi ce Jésus, mais il appartient à chacun de prendre lui-même cette décision, en toute liberté.
« Amener des femmes et des hommes à devenir disciples du Christ » est une « mission possible ». Il y faut une action courageuse. Et il y faut aussi, et c’est le troisième élément, la manière de parler de la foi : en respectant l’autre personne ; en invitant, mais sans exercer de pression ; en témoignant de sa connaissance personnelle de Jésus et de sa propre expérience avec Dieu, mais en laissant à l’autre la liberté de décider par lui-même.
De nos jours, accompagner d’autres personnes sur de telles routes, et ce jusqu’au moment où quelqu’un reconnaît qui est Jésus et tire les conséquences de ce qu’il/elle a compris, exige probablement plus de temps que dans le cas de l’Éthiopien. Bien qu’aujourd’hui, les choses aillent plus vite (et sont par conséquent moins durables), les chemins de la foi se développent en général plus lentement (et l’on peut espérer qu’ils sont plus durables).
« Amener des femmes et des hommes à devenir disciples du Christ pour transformer le monde », n’est pas une mince affaire. Il y faut la confiance en Dieu et une action courageuse. Le mandat s’adresse aussi bien à ceux qui sont consacrés à des ministères pastoraux, qu’à chaque membre individuel d’une église locale. En tant que chrétiens et chrétiennes, nous sommes appelés, à l’exemple de Philippe,
À rester disponibles pour nous engager dans des détours où Dieu nous appelle pour y rencontrer d’autres personnes ;
À écouter avec sensibilité ce qui préoccupe d’autres personnes et dans quel sens vont leurs questions au sujet de Dieu ; et enfin
à partager dans le cours de la conversation notre expérience de disciple du Christ, tout en laissant à notre vis-à-vis l’entière liberté de décider de sa position à cet égard.
C’est une « mission possible » quand nous agissons avec courage et parlons de nos expériences dans la foi. L’Esprit de Dieu vous y guidera. Amen.