Actu - Nous portons tous des lunettes
Le pasteur Charles Nicolas bouscule ici les idées reçues et invite à se dégager de tout alignement aux partis et partis pris politiques pour se ranger prioritairement sous l’autorité du Christ. Quelles soient de droite ou de gauche, les idéologies peuvent présenter des travers contestables d’un point de vue biblique.
Charles Nicolas, pasteur (UNEPREF) aumônier des hôpitaux
Est-il permis à un pasteur de s’en prendre si peu que ce soit à un tabou ? On ne devrait pas trop se presser pour répondre à cette question. La prudence et la tranquillité pousseraient à dire non, bien sûr. Certains diront : Oui, à ses risques et périls. Je pense être prudent et j’aime la tranquillité, mais je vais effleurer un sujet délicat : avec quelles lunettes lisons-nous l’Évangile ?
Nous portons tous des lunettes
L’Évangile n’arrive jamais sur un terrain neutre, que ce soit un pays ou un individu. Le peuple d’Israël n’était pas tout neuf au temps de Jésus. Il avait son histoire, ses traditions. Dans les dialogues avec Jésus (Nicodème, la femme samaritaine…), nous voyons bien que la lumière de l’Évangile peine à trouver un passage pour atteindre les cœurs, à cause des conceptions diverses qui pouvaient exister, à cause des expériences vécues par chacun. En fait, nous sommes tous porteurs de présupposés, que nous le voulions ou pas. Mes présupposés, ce sont les valeurs plus ou moins conscientes qui m’habitent, qui comptent en premier, qui me servent de repères ou d’étalons pour évaluer tout le reste, et qui, elles, tendent à échapper à toute évaluation, à toute critique. En général, ces présupposés sont tellement profonds, qu’ils sont intouchables, comme sacrés.
Nos présupposés
Beaucoup de nos difficultés à nous comprendre les uns les autres et à nous accorder viennent du fait que nous lisons les mêmes textes et observons les mêmes événements avec des présupposés différents. Or, ces présupposés sont rarement dévoilés. L’échec de la prédication, bien souvent, c’est qu’elle glisse sur ces présupposés sans parvenir à les mettre en lumière, à les remettre en question, y compris au bout de nombreuses années. C’est là l’explication de beaucoup d’incompréhensions, de heurts, de tensions, de querelles entre nous, y compris entre Églises, entre chrétiens, entre pasteurs. C’est aussi l’explication de heurts et de tensions en nous, avec la disparité de nos comportements, selon que l’on chante des cantiques ou que l’on est avec ses collègues de travail… Tout cela affaiblit beaucoup la vie des Églises, nuit fortement au témoignage de l’Évangile.
Et en France
La France, avec son histoire, n’est pas un pays neutre, loin de là ! L’emprise de la religion catholique romaine (avec la confusion des pouvoirs), le rejet de la Réforme (avec la persécution des Huguenots et la mise au second plan de la Bible), le siècle des Lumières (avec le primat de la Raison), la Révolution française (avec le soupçon sur la notion d’autorité), le principe de laïcité (nourri de la Libre-pensée), tout cela imprègne les rouages de notre culture, nos rouages, qu’on le veuille ou pas. Je donne un exemple schématique. Si je dis 'autorité' aux États-Unis1, cela est associé à responsabilité et protection. Si je dis 'autorité' en France, cela est associé à pouvoir et exploitation. Ce n’est pas la même chose ! Or, la notion d’autorité, dans la Parole de Dieu, revêt une grande importance. On pourrait examiner ainsi un grand nombre d’autres notions.
Touche pas à mes présupposés
En France, avec la mise de côté progressive (ou radicale) des valeurs chrétiennes fondamentales, les présupposés idéologiques ont une importance considérable, que l’on en soit conscient ou pas. Le clivage droite/gauche, bien que légèrement fluctuant, coupe plus ou moins le pays en deux. Certaines Églises aussi, n’ayons pas peur de le dire, notamment quand les doctrines y sont floues ou considérées comme ayant peu d’importance. Le fameux « on ne fait pas de politique » est souvent une manière peureuse de dire : « Touche pas à mes présupposés ». Des cloisons sont dressées, protégeant les sujets tabous. Tant qu’il en sera ainsi, l’impact de la Parole de Dieu sur nos vies, dans et au travers des églises, sera limité. Le peu de forces que nous avons se consume en interne, en nous et entre nous. L’Ennemi n’a même pas à combattre pour nous neutraliser, ou si peu.
Le syncrétisme des valeurs
Nous comprenons aisément que le syncrétisme n’est pas une bonne chose. On dira : Aux Antilles, les chrétiens vont à la messe le jour et pratiquent le vaudou la nuit. Ce n’est pas bien. Mais nous, nous pratiquons un syncrétisme des valeurs qui pourrait apparaître tout aussi surprenant si nous acceptions de le mettre en lumière. Les maîtres à penser athées de notre culture, au travers de l’école publique, des artistes (littérature, chanson, cinéma…), des médias, nous ont inculqué une vision du monde qui est loin d’être conforme à ce que nous dit la Parole de Dieu. Y prenons-nous garde ? Les résultats ? J’en relève trois qui me paraissent aussi courants que funestes :
- Le rejet de Dieu : la foi n’est pas vraiment transmise à la génération suivante ;
- Le compromis : la foi est cantonnée à l’église et à la maison (surtout à l’église), à certaines heures du jour et certains jours de la semaine ; la vie est comme cloisonnée ;
- L’amalgame : l’Évangile est passé au filtre de présupposés idéologiques, il est récupéré, souvent de manière inconsciente. Il est devenu presque inoffensif, acceptable par tout le monde, nourri de bons sentiments et de bonne volonté. Mais il a trop souvent perdu ce qui en fait la force.
Je ne sais laquelle de ces trois options est la plus redoutable.
Et le chrétien ?
Un chrétien ne devrait pas être partisan, c’est-à-dire tout condamner d’un côté et tout excuser de l’autre. Il devrait, avec discernement, "examiner toutes choses" (1 Th 5.21) courageusement, à la lumière de l’enseignement biblique. Pas à la lumière de ses sentiments ou de sa raison naturelle. Il devrait juger avec bienveillance : en retenant la part de grâce qui peut exister dans telle ou telle mesure, d’où qu’elle vienne – et esprit critique : débusquant les présupposés, les motivations contraires à la Parole de Dieu. Cet exercice n’est pas facile ; il est pourtant indispensable.
Débusquer les présupposés
Le théologien allemand Rudolph Bultmann a montré que tout lecteur de la Bible chemine avec trois points d’appui : le texte biblique, un certain nombre de doctrines et des présupposés. En un sens, les présupposés, c’est ce qui est premier : ce sont eux qui vont filtrer ou colorer ce que je vois, ce que je lis, ce que j’entends, y compris le message de l’Évangile. Par exemple, des présupposés athées vont s’opposer fortement à l’Évangile. Les présupposés humanistes (qui considèrent que l’Homme est la valeur première, qui croient aux « forces du progrès ») vont plutôt « marchander » et conduire à une compréhension humaniste de l’Évangile, etc.
Les valeurs de gauche
Je ne sais si on me pardonnera d’aborder ce sujet. Il me semble qu’il le faut, pourtant. En effet, ces valeurs ont la particularité de ressembler à celles de l’Évangile sans en avoir ni le centre ni la vraie substance.
Les présupposés de gauche sont nourris, consciemment ou non, de philosophies antichrétiennes et se présentent avec la générosité de l’Évangile. Ils font de l’homme le centre et la finalité de toutes choses quand la Bible dit que la vocation première de l’homme est de servir Dieu. Ils font de l’homme premièrement une victime quand la Bible fait de l’homme premièrement un être responsable2. Ils font d’autrui la cause des injustices3, quand la Bible dit que la cause est dans le cœur de chacun. Ils s’inscrivent dans une vision progressiste et parlent de foi en l’homme alors que la Bible démontre l’incapacité, pour l’homme, de progresser moralement. Ils appliquent à l’ensemble des hommes4 ce que la Bible applique au peuple de Dieu, faisant de l’Évangile une utopie, ce qu’il n’est certes pas. Ils opposent l’autorité et l’amour quand la Bible montre ces deux vertus parfaitement accordées en Dieu. Ils font des préceptes de la loi morale une menace d’asservissement alors que la Bible en fait l’expression de la volonté de Dieu. Ils font de l’autodétermination de l’homme par lui-même le principe de la liberté quand la Bible en fait le principe même du péché.
Une citation du journal Libération entendue tout récemment en témoigne de manière significative. Sous le titre « Apologie de l’adultère », le chroniqueur écrit : « En quoi serait-il antisocial d’avoir plusieurs amours ? Il faut sortir de ce schéma qui voudrait qu’il n’y ait qu’un seul amour comme il y aurait un seul Dieu ». Si cela est demeuré voilé aux yeux de beaucoup jusqu’à un passé relativement récent, il semble impossible de ne pas s’en rendre compte aujourd’hui5.
Les valeurs de droite
Bien qu’entachées de corruption elles aussi – et donc critiquables voire condamnables, en tout cas dans leurs excès –, les valeurs de droite ne me semblent pas prendre, de face, le contre-pied des préceptes bibliques comme le font les présupposés de gauche. Les valeurs de droite ne ressemblent pas à l’Évangile. Elles n’ont donc pas le même pouvoir séducteur. Elles n’idolâtrent pas le pseudo-évangile des Droits de l’homme, en tout cas pas de la manière quasi religieuse que l’on observe généralement à gauche.
Mammon
On me fera remarquer que l’amour de l’argent est une idolâtrie (Col 3.5) et que le libéralisme économique sans frein est source de nombreuses injustices. Cela n’est pas contestable. Mais l’amour de l’argent est-il l’apanage d’un parti ? Quand Nicolas Sarkozy dit : « Travailler plus pour gagner plus », le ministre socialiste Stéphane Le Foll dit : « La baisse du chômage, c’est du pouvoir d’achat distribué ». Dans les deux cas, il s’agit de remplir les caddies, ce qui est une bien piètre vision de la dignité humaine.
Un Évangile non édulcoré
Plusieurs lecteurs de ces lignes seront tentés de dresser une liste des inepties énoncées ou pratiquées par des hommes de droite, et de faire l’inventaire des progrès acquis par le militantisme de gauche. Je connais cela. Je ne fais ici aucunement l’apologie de la droite qui, elle aussi, peut être amorale, qui elle aussi pourrait devenir persécutrice. Ce n’est pas la droite qui a raison, c’est l’Évangile non dilué, non édulcoré, tel qu’il est exposé dans l’Écriture (1 Co 15.1-2), interprété non pas à la lumière des Sciences humaines comme il est de bon ton de faire maintenant, mais interprété à la lumière de la Parole de Dieu elle-même. La Bible interprétée par la Bible, autour de la personne de Jésus-Christ, c’est le b.a.-ba d’une lecture respectueuse du texte.
Que faire ?
La légalisation du « mariage » homosexuel a été une étape significative dans la rébellion contre l’ordre créationnel. Au moment où je rédige ces lignes, je lis encore : « La ministre du droit des femmes juge 'obsolète' la référence à la situation de détresse dans la loi Veil pour justifier le recours à l’interruption de grossesse ». Cela au nom de l’égalité hommes femmes ! Sans parler du projet d’éduquer les jeunes enfants dans la déconstruction des pôles masculin et féminin. Il faut ignorer le message biblique pour ne pas voir là une volonté manifeste d’éradiquer complètement toute référence à Dieu. Où cela va-t-il s’arrêter ?
Revenir à Dieu
Nous devrions revenir à Dieu sans discuter. Je ne dis pas sans réfléchir, je dis sans discuter. Sans
contester, sans marchander, sans tenir cachées nos préférences, les tabous que protègent nos excuses et nos détours. Nous devrions cesser de projeter sur le texte biblique nos propres conceptions, cesser de trier, de choisir ce qui nous convient6. Cesser de nous contenter d’un « plus petit dénominateur commun » dans des messages destinés à faire consensus mais qui ne disent presque plus rien.
Nous devrions revenir à Dieu sans discuter. Du moins si nous avons soif de voir, dans notre pays, briller la lumière pure de l’Évangile de Jésus-Christ.
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Notes
1 Un pays qui n'est pas parfait, bien-entendu, mais qui a simplement une autre histoire que le nôtre.
2 Chronologiquement et théologiquement, le premier mal n'est pas une blessure, c'est une transgression. Responsable = qui doit répondre de ses actes.
3 Avec le principe de lutte des classes.
4 L'expression "tous les hommes sont frères" est emblématique de la confusion qui s'est introduite dans les mentalités, de cette religion de la bonne volonté qui s'est tellement répandue dans les Églises et dans la rue. Or, il est indéniable que la Bible applique le mot 'frère' (et l'expression "les uns les autres", par exemple) exclusivement aux membres du peuple de Dieu, israélites ou disciples de Jésus-Christ.
5 Chacun des paragraphes de ce court article devrait faire l'objet d'un développement plus important.
6 « L'hérétique, c'est celui-là qui, dans la Parole, choisit si peu que ce soit la vérité conforme à ses circonstances et à celles de son époque, à son esprit, à son tempérament » , a écrit un témoin du Réveil de la Drôme.