Les dessous de la crise
Grégory Luna
Voici un point de vue aux antipodes des idées reçues de nature à provoquer un débat…
Pour un plat de lentilles1
Après avoir enfilé au pied de la Bourse leurs masques de Fawkes, nos « indignés » qui passent à la télévision, et ayant l’air de bien connaître le sujet, ont sûrement oublié que les affreux spéculateurs qu’ils dénoncent sont bien ceux qui assurent actuellement la pérennité des échanges commerciaux de nos économies globalisantes. Et si on les supprimait pour plaire aux « moralistes », je crains qu’aucun échange de biens et donc de richesses entre les peuples ne puisse s’effectuer. Qu’on le veuille ou non, en rachetant le risque qu’engagent les banques pour garantir aux entreprises d’être payées sur le montant fixé à la vente (l’instabilité des devises et autres variables mettant en péril les transactions), ils rétablissent l’harmonie indispensable au bon déroulement du commerce. C’est un peu comme dans le Far West, les spéculateurs sont pour les entreprises ce que les colts étaient pour les cow-boys : un instrument de pacification.
Une crise d’une autre nature
De plus, j’aimerais préciser que la crise européenne actuelle n’est imputable ni aux spéculateurs, ni aux agences de notation — comme lors de la crise dite des « subprimes » où elles avaient été suspectées de complaisance commerciale, ni même aux diverses contingences inflationnelles qui ont souvent pour conséquence d’augmenter les taux d’emprunts émis par les banques centrales (FED, BCE). Non, la crise qui sévit en Europe est le résultat de nos politiques électoralistes ; elle n’est en réalité que le fruit d’une concupiscence généralisée de nos États. En vérité, nous vivons bien au-dessus de nos moyens et ce, depuis longtemps, depuis qu’on imagine le capitalisme comme moyen de jouissance ! C’est le cas de la Grèce, mais aussi celui de l’Espagne, du Portugal, de l’Italie et dans une moindre mesure celui de la France où les dépenses publiques et le détournement de la fiscalité sont des viatiques nationaux.
Ainsi donc, si aujourd’hui ces pays sont les grands perdants de l’Europe — en raison d’un assujettissement économique substantiel de leur pouvoir politique : à qui la faute ? Aucune banque, aucun trader ni aucun investisseur ne sont à l’origine des emprunts de ces États-providence – qui empruntent « toujours plus » afin de maintenir leurs illusions d’après guerre2. Et quoiqu’en dise le célèbre résistant Stéphane Hessel, on a beau imaginer un nouveau monde, encore faut-il avoir les moyens de ses ambitions.
La fable des abeilles
D’ailleurs, c’est non sans ironie que les circonstances nous rappellent de quelle pâte nous avons été tirés ; en effet, lorsqu’on y réfléchit bien, quel individu – quand bien même il serait vertueux – irait acheter au supermarché des vêtements qui ne sont pas à son goût, sous prétexte que les autres ont été fabriqués par des enfants à l’autre bout du monde ? Aucun… Hélas ; et je dirais même – non sans tristesse – qu’il serait dangereux pour lui-même et ceux qui travaillent qu’il en soit autrement. De la même manière, sans la demande excessive de certains, comment le reste du monde parviendrait-il à subvenir à ses besoins par le travail ? D’où la nécessité des échanges dans notre bas monde ; et pour aller jusqu’au bout des choses, la nécessité d’un égoïsme coupable, seule capable de produire la faim nécessaire à nourrir l’humanité3. Mais là, n’est-ce pas l’affaire de Dieu ?
On pourrait donc en conclure qu’il s’agit bien là d’une bonne interprétation des contingences humaines ; celles qui poussent les hommes à étendre leur fortune en dépit des murmures de la ruche qui a faim. Pourtant, il faut bien comprendre l’avertissement que le Seigneur donne aux riches après avoir renvoyé à vide le jeune homme attaché à ses richesses : il est plus facile pour un chameau de passer par le chas d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu ; car si les miettes qui tombaient de la table du riche servaient de nourriture à Lazare, il ne faut pas perdre de vue que c’est bien la condamnation qui attendait le riche au bout du chemin.
NOTES :
1 Le plat de lentilles est une histoire biblique qui illustre parfaitement l’échange qui se produit quand un homme décide de vendre son avenir pour un morceau de pain.
2 Le CNR (conseil national de la résistance), qui était essentiellement représenté par des courants de gauche, SFIO et PCF, établit à la Libération un programme de réforme qui permettrait à la France d’établir un ordre social plus juste. Ce programme est à l’origine par exemple de notre Sécurité Sociale, du statut de la fonction publique, rétablissement du suffrage universel ou encore, de la nationalisation massive des moyens de production comme les énergies ou les industries dans les Trente glorieuses, des banques etc.
3 La Fable des abeilles développe avec un talent satirique la thèse de l’utilité sociale de l’égoïsme. Elle avance que toutes les lois sociales résultent de la volonté égoïste des faibles de se soutenir mutuellement en se protégeant des plus forts. (source : wikipédia)