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Du monde sans en être

Philippe Gonzalez, prédicateur, Eglise mennonite de St-Genis (01)

En septembre se sont tenus à Lille les « États généraux du christianisme » à l’initiative de LA VIE. Même minoritaires, Églises et chrétiens sont dans leur rôle quand elles participent au débat sociétal. Leur témoignage contribue à l’édification du commun. Analyse et commentaire d’un sociologue et pasteur dans le cadre de la rubrique Actu commune à quatre journaux (Pour la Vérité, Horizons Évangéliques, Christ Seul et ENroute).

L’un des organisateurs confiait aux médias la nécessité de favoriser l’émergence d’une « société civile chrétienne » au moment où le christianisme se fait minoritaire dans la société et où l’image de l’Église (catholique) est écornée par une série de scandales. Parmi les personnalités invitées à participer aux débats, on comptait l’essayiste Jean-Claude Guillebaud, le généticien Axel Kahn ou encore la psychanalyste Marie Balmary.

Légitimité du débat

Il convient de saluer le souci de s’interroger – et de débattre – sur le rôle que peuvent jouer les Églises et les chrétiens dans une société sécularisée. Un débat rendu d’autant plus nécessaire par les transformations que connaissent les rapports entre christianisme et culture, religion et politique, sphères publique et privée.

Minoritaires

En réalité, les confessions chrétiennes majoritaires font l’expérience du passage à la minorité. Le christianisme cesse de fournir sa matrice à la culture environnante et de se confondre avec celle-ci. Il devient une option parmi d’autres au sein de l’horizon culturel. Ce découplage introduit une tension que connaissent bien les Églises minoritaires et qui, d’une certaine manière, semble renouer avec des intuitions centrales du christianisme. Pour paraphraser le titre d’un excellent ouvrage, « la condition chrétienne » se caractérise par le fait d’être « du monde sans en être ».

Tension fondamentale et fondatrice

Autant dire qu’une tension fondamentale – et fondatrice – se loge au creux de la foi chrétienne. Cette instabilité oblige à distinguer la religion de la politique, tout en empêchant de les penser comme deux sphères complètement séparées. Évoquer cette tension, c’est en appeler au discernement nécessaire pour vivre dans la paix, les uns avec les autres, au sein d’un monde dans lequel nous vivons avec des hommes et des femmes ayant d’autres compréhensions du sens de l’existence.

Étrangement, au moment où le christianisme occidental s’apprête à assumer son statut minoritaire, certains évangéliques revendiquent le caractère « chrétien » des nations européennes. Ainsi, l’initiative populaire adoptée en Suisse contre la construction des minarets fut lancée par un parti politique se réclamant de l’évangélisme. Les partisans de cette initiative n’avaient de cesse de clamer que « la Suisse est une terre chrétienne ». Dans ce cas, la confusion entre le christianisme et la nation est totale. Quant aux étrangers, ils font les frais d’une instrumentalisation identitaire de la religion.

Témoignage chrétien

À l’inverse, les médias n’ont pas manqué de signaler le courage dont a fait preuve l’Église catholique en prenant position contre les expulsions abusives de Roms pratiquées par le gouvernement français. Ici, les Églises (la Fédération Protestante de France s’est aussi prononcée) ont fait retentir un témoignage véritablement chrétien en prenant la défense de l’étranger.

Être du monde sans en être, c’est refuser l’alternative entre exil et hégémonie. Ni silence, ni intolérance, le témoignage chrétien se veut aussi une contribution à l’édification du commun – pour autant que l’édifice respecte la dignité de chacun.