“Protestation contre la généralisation du travail le dimanche” par JP Waechter
Conformément à ses promesses électorales, le président Nicolas Sarkozy veut faciliter le travail le dimanche au nom de la liberté, de la modernisation du modèle social français. Le projet de loi présenté à l’Assemblée Nationale a soulevé d’emblée une levée de boucliers.
Fronde de députés
À commencer dans le rang des députés UMP. Une soixantaine d’entre eux affirme son opposition radicale à la généralisation du travail le dimanche.
Aux yeux de ces députés, le travail le dimanche est contre-productif tant sur le plan économique que social : l’ouverture des magasins le dimanche réduirait les emplois au lieu de les augmenter et créerait de la frustration et du surendettement chez les consommateurs. Il constituerait aussi une menace pour les familles. Cette mesure leur retirerait le refuge essentiel : « ces rares moments de la semaine où elles peuvent se retrouver pour partager des moments indispensables à la construction de chacun ». Leur opposition frontale au projet de loi se fonde sur leur définition de l’homme : l’homme contemporain ne se réduit pas à un « un individu consommateur ». Par sa nature même, il se construit par les relations qu’il tisse avec les autres. De ce fait il est impérieux de maintenir chômé un jour dans la semaine de manière à faciliter les relations que nous avons les uns avec les autres.
Martine Aubry
Dans les colonnes de La Croix, la nouvelle première Secrétaire générale du Parti Socialiste défend avec force aussi le principe du repos hebdomadaire, principe qu’elle juge absolument essentiel dans la société qu’elle appelle de ses vœux : « pour bien vivre, une société doit s’arrêter de consommer au moins une journée par semaine » et faciliter prioritairement le lien social et la vie de famille : « une société est d’abord faite pour que chaque femme et chaque homme s’émancipe, vive pleinement sa vie, tisse des liens avec les autres ». Et de poursuivre : « Un jour d’arrêt dans la consommation, c’est un temps pour soi, un temps pour sa famille, un temps pour les autres.… Le dimanche, c’est le temps de l’infinité des possibles, celui où l’on peut enfin choisir ce que l’on fait ». Martine Aubry, la militante laïque, n’oublie pas de relever l’importance du repos dominical sous l’angle de la spiritualité : « C’est aussi, pour ceux qui croient, un temps de spiritualité ».
Cette société solidaire et spirituelle est à mille lieues de la société de consommation que promeut le projet de loi, une société « où l’acquisition de biens matériels devient l’alpha et l’oméga de toutes choses », une société de l’« avoir » et pas de l’« être ». « Or la folie de la consommation, on le sait, n’a jamais fait le bonheur des hommes ».
Mgr Vingt-Trois monte au créneau
Au micro de RTL, l’archevêque de Paris ne dément pas Martine Aubry sur ce point : l’objectif de « gagner plus » ne doit pas « devenir le principal objectif de l’existence » et faire renoncer à ce qui fait l’équilibre de la vie humaine et la stabilité de la famille. « Il y a un jour, il y a un repère qui permet de construire et d’organiser la vie sociale. Que ce repère soit le dimanche dans un système de culture chrétienne, c’est tout à fait normal… » Le prélat catholique s’oppose à ces mesures de libéralisation, parce qu’elles participent à la déstructuration de notre société : « Un certain nombre de familles, par exemple, dont on sait très bien aujourd’hui qu’elles sont des familles décomposées et recomposées, sont des familles pour qui le week-end sont des jours où des enfants vont retrouver l’un ou l’autre parent. Bon ! Ils vont retrouver qui ? ... Les dommages humains et sociaux qui découleraient de cette loi seraient sans commune mesure avec le profit économique qui peut en résulter. Ce serait une mesure supplémentaire dans la déstructuration de notre vie collective qui ne toucherait pas seulement les chrétiens […] ». Généraliser le travail le dimanche, c’est enfin prendre le « risque » pour la société française « de banaliser l'ensemble des jours de la semaine, et de ne plus avoir de repère fixe pour le repos et les activités non travaillées, pour un temps spirituel mais aussi pour la famille et les relations ». Pour toutes ces raisons, le Cardinal Vingt-Trois juge cette évolution comme étant malsaine.
La voix de la FPF
La Fédération protestante de France proteste également contre la banalisation de l’ouverture des commerces le dimanche pour toutes les bonnes raisons développées par les théologiens, synodes et assemblées, mais elle préconise surtout l’action : le boycott des commerces le dimanche. Avis aux consommateurs que nous sommes, « abstenons-nous d’aller faire des achats le dimanche. Prêchons par l’exemple, résistons à la tentation de l’hyperconsommation ».
Prise de position du CPDH
Dans un communiqué diffusé auprès de 200 médias et des députés, le CPDH « s’oppose fermement à toute libéralisation du travail le dimanche. Privilégier les intérêts mercantiles au détriment du lien social reviendrait, une fois de plus, à instrumentaliser l’humain. […] Quand la Bible préconise des jours de repos et de fêtes, elle offre du temps pour rencontrer Dieu, mais plus largement elle souligne la nécessité pour tout homme de sortir d’une activité dont il est potentiellement l’esclave. Seul le repos dominical commun peut se partager et permettre ainsi de développer des liens humains et sociaux dont notre société individualiste a tellement besoin. »
Enfin la FEF
La Fédération Évangélique de France y va aussi de sa protestation : elle désapprouve le projet, parce qu’« il pose une véritable question éthique.
• Notre société se définit de plus en plus par son mode d’hyperconsommation.
• La famille doit être protégée. Le travail le dimanche ne favorisera pas la vie de celle-ci en particulier pour celles dont les deux parents travaillent… le dimanche.
• Un jour de repos hebdomadaire permet au plus grand nombre de nos concitoyens de s’investir dans des activités sportives, culturelles et cultuelles indispensables à la préservation et au développement du tissu social. »
La FEF espère donc que ce projet de loi sera abandonné et que le travail dominical demeurera l’exception.
Depuis l’obstruction parlementaire de droite et de gauche, la discussion du projet de loi est reportée au mois de janvier. Espérons que la voix de la sagesse l’emportera.
* Déclaration des députés UMP : http://www.libertepolitique.com/politique-et-bien-commun/4933
* Déclaration de Martine Aubry : http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2359423&rubId=4076
* Interview de l’Archevêque Vingt-Trois : http://www.rtl.fr/fiche/2750738/mgr-andre-vingt-trois-l-evolution-du-travail-dominical-est-malsaine.html
Faire mémoire de notre origine et contempler
Emile Simon
Que du jour du sabbat on fasse un mémorial en le tenant pour sacré. Tu travailleras six jours, faisant tout ton ouvrage, mais le septième jour, c’est le sabbat du Seigneur, ton Dieu. Tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, pas plus que ton serviteur, ta servante, tes bêtes ou l’émigré que tu as dans tes villes. Car en six jours, le Seigneur a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent, mais il s’est reposé le septième jour. C’est pourquoi le Seigneur a béni le jour du sabbat et l’a consacré (Ex 20,9-11).
En étendant le commandement du sabbat au serviteur, à l’émigré et au bétail, la Bible nous dit bien que cette prescription est plus sociale que religieuse. Les dix paroles (dix commandements) nous rappellent que le rythme d’une société qui préserve des temps de rencontre et de retrouvailles relève de l’équilibre d’une communauté humaine.
A l’heure de la réduction du temps de travail et de la démocratisation des moyens de transport, les rythmes de travail et de repos sont de plus en plus individualisés. Le travail du dimanche rentre dans cette individualisation qui privilégie le rationnel sur le relationnel. Face à cette évolution, la Bible nous rappelle qu’il n’y a pas que la consommation dans la vie, il y a aussi ce qui ne s’achète pas, que l’on trouve dans l’évocation de la Création. Elle nous appelle à nous arrêter pour donner du sens à notre existence, faire mémoire de notre origine et contempler ce, ceux, qui nous entourent.
Extrait d’un article publié dans Réforme, (N°3188 - 2006-08-31), publié avec l’accord du journal