Pleins feux sur... la communauté chrétienne latino-américaine de Genève
Entretien avec Roswitha Ebner-Golder, pasteure de la communauté chrétienne latino-américaine de Genève - Propos recueillis par JP Waechter -
Le Wesley Theological Seminary de Washington D.C. a octroyé le 9 mai 2005 à Roswitha Ebner-Golder le titre de Doctor of Ministry pour son mémoire sur la communauté chrétienne latino-américaine de Genève. Bravo, bravissimo, Roswitha ! Pour En route, elle accepte d’en dire davantage sur cette communauté multiculturelle de Genève.
La communauté chrétienne latino-américaine a été créée 17 ans en arrière. Un prédicateur laïque Francisco Vendrell a commencé ce travail avec un grand nombre de réfugiés politiques chiliens. Marqués par leur exil, ils ont très vite ressenti le besoin de former une communauté pour partager leur foi et se soutenir mutuellement.
D’une vague à l’autre
Après l’immigration politique s’est présentée l’immigration économique par vagues successives. Les Péruviens, les Équatoriens, les Colombiens, les Boliviens et les Brésiliens frappent en grand nombre à la porte de la Suisse à la recherche d’un Eldorado. Ils fuient tous une vie de misère pour un leurre, un « mythe » comme nous le dit Roswitha Ebner-Golder, « une fausse image que donne la Suisse », car la plupart de ces nouveaux migrants ne parviendront souvent pas à gagner suffisamment leur vie pour remettre à flot leur famille restée au pays.
Le rôle de la pasteure
Cette communauté est donc formée à ce jour d’une majorité de gens sans papiers ou en quête de régularisation. Face à ces situations humaines dramatiques, Roswitha Ebner-Golder affirme ne pas détenir de solution miracle. Elle se contente d’accompagner pastoralement chacune et chacun des membres de la communauté au jour le jour. Son souci serait que tous et toutes aient la possibilité de mener au moins une vie décente.
L’accueil de l’étranger, une question de justice
Pour Roswitha Ebner-Golder, l’accueil de l’étranger est une question de justice, dans la ligne de l’enseignement de Jésus : « Jésus s’identifie à l’étranger, à l’homme maltraité, à l’affamé et au malade. Je crois que nous avons là avec Mt 25 ce commandement et cette promesse que, si nous agissons en faveur de quelqu’un de mal loti, nous le faisons pour Jésus ; et je crois que c’est ça ma motivation, changer leur sort, parce que le Royaume de Dieu est un royaume de justice. Il consiste aussi à suivre le commandement du Christ, à me préoccuper de mon prochain, surtout du prochain souffrant ».
L’unité de l’ensemble, un défi de taille
La communauté chrétienne latino-américaine de Genève se développe avec son foisonnement de langues, de peuples et de couleurs. L’unité de cet ensemble disparate ne va pas de soi, mais constitue un véritable défi, d’autant plus que la plupart des membres et amis de l’église n’avaient pas jusqu’ici de culture ecclésiale. Faire cœxister des croyants de souche avec de nouveaux croyants ne va pas sans complications. Ici, tout ce monde a besoin selon son expression de « se convertir les uns aux autres pour former le corps du Christ à Genève, bigarré, coloré, multiconfessionnel, multiculturel », tel est le défi que la communauté chrétienne latino-américaine de Genève tente de relever non sans peine, tant il est vrai qu’il est impossible de contenter tout le monde à la fois. « Nous cherchons à les faire vivre en harmonie » affirme Roswitha évoquant ses efforts à réduire les tensions palpables entre Boliviens par exemple. Dans leur pays d’origine, les habitants de l’Altiplano et les habitants de régions plus chaudes et tropicales ne se côtoient guère, entre eux. Ici, à Genève tout ce monde cohabite et partage la vie de la même communauté. La pasteure précise alors son souci pastoral : « J’essaie de leur enseigner que nous sommes toutes et tous des enfants de Dieu et que nous devons former une seule famille spirituelle ; mais ce n’est pas gagné. Cet objectif me fascine et je tâche de le promouvoir ».
Deux communautés linguistiques mais une seule communauté chrétienne
La communauté rassemble non seulement les hispanophones mais aussi les lusophones depuis l’arrivée à Genève du pasteur Jaïro Monteiro, il y a trois ans, accompagné de son épouse (permanente au COE). Ce pasteur brésilien a eu à cœur de rassembler ses compatriotes résidant en Suisse, en moyenne plus jeune que la communauté hispanophone et mieux intégrés localement.
Malgré tous les risques de dislocation, les responsables de la communauté veillent à maintenir la communauté hispanophone et lusophone comme un tout, malgré la barrière des langues et des cultures. Le conseil de l’église règle le problème de communication en procédant à la traduction ou à l’alternance des langues selon le cas, comme la pasteure le laisse entendre : « Au sein du Conseil, chacun parle sa langue, c’est-à-dire l’espagnol et le portugais brésilien ainsi que le français (le représentant de la circonscription francophone). S’il y a des problèmes de compréhension, on demande la traduction. Heureusement, le pasteur Jaïro maîtrise les deux langues et il dit qu’il parle le ' portugnol ' ; il fait par exemple une émission de radio pour les deux branches de la communauté, la méditation, il la fait en espagnol alors que la prière, il la fait en portugais ou vice-versa. Et son accent en espagnol nous aide peut-être aussi à comprendre certaines paroles en portugais. Nous essayons en tout cas, au niveau du conseil, de travailler dans les deux langues ».
L’église, le lieu où s’éveillent et s’exercent des vocations
Nous l’avons compris, la communauté chrétienne latino-américaine de Genève a un cachet particulier de par le parcours de ses membres. Havre de paix et sanctuaire à la fois, l’église permet à des migrants de se poser un instant, de se restaurer au sens propre et figuré et de progresser spirituellement à la plus grande joie de la pasteure : « Certains se souviennent de l’appel que Dieu leur avait adressé par le passé : maintenant, ils peuvent vivre leur vocation ».
Quand Roswitha a ce type de retour, elle a le sentiment de ne pas travailler pour rien : « J’ai beaucoup de satisfaction dans ce travail, dans le sens que j’ai l’impression d’être au bon endroit et au bon moment, même si les échecs ou les frustrations ne manquent pas »… Au contact de ces frères et sœurs migrants, elle affirme ne pas cesser d’apprendre : « j’apprends énormément de ces personnes, de leur persévérance, de leur dévouement pour leur famille ; c’est impressionnant, même si cela me rend triste de penser que des enfants doivent grandir sans leur mère pour avoir une éducation universitaire, et parfois de jeunes universitaires ne pas suivre la route que les parents ont tracée pour eux ».
Leur séjour limité dans le temps
Ces frères et sœurs étrangers, déracinés et résidants sur une terre qui n’est pas la leur, n’ont pas nécessairement la vocation de prolonger indéfiniment leur séjour en Suisse. Leur intégration est rarement une réussite, nous prévient Roswitha, ne fût-ce qu’en raison de la barrière de la langue. Elle-même tente souvent de convaincre ces frères et sœurs de rentrer au pays.
L’église a de l’avenir quand même
La communauté chrétienne latino-américaine à Genève a-t-elle pour cette raison de l’avenir ? Roswitha Ebner-Golder en est convaincue : « Je pense que, tant que ce décalage économique entre l’Amérique Latine et la Suisse existera, la Suisse continuera d’agir comme un aimant attirant ces personnes. Même si la communauté change, même si des personnes rentrent dans leur pays, de nouvelles personnes arrivent, pour lesquelles nous servirons toujours de foyer et de famille spirituelle ».
De fait, cette communauté méthodiste est une communauté en pleine croissance, c’est même de toutes les communautés méthodistes en Suisse celle qui s’accroît le plus et le plus vite avec la création d’annexes à Bienne, à Berne et à Lausanne. Étonnant paradoxe lié certainement au parti pris de Dieu choisissant les gens considérés comme insignifiants pour laisser sombrer dans le néant ceux qui se croient importants (1Co1.28).
Propos recueillis par JP Waechter lors de Conférence Annuelle à Bâle
10 juin 2005
Le Wesley Theological Seminary de Washington D.C. a octroyé le 9 mai 2005 à Roswitha Ebner-Golder le titre de Doctor of Ministry pour son mémoire sur la communauté chrétienne latino-américaine de Genève intitulé «"Open Doors": The Corporate Image of the Latin American Christian Community in Geneva». Bravo, Bravissimo, Roswitha! Pour En route, elle accepte d’en dire davantage sur cette communauté multiculturelle.
A l’origine de l’église
La communauté chrétienne latino-américaine est une paroisse membre de la Conférence Annuelle Suisse/France depuis 11 ans. En ce qui concerne ses origines, il faut remonter 16 ans en arrière. Un prédicateur laïque Francisco Vendrell du Chili l’a fondée avec essentiellement des Chiliens résidant à Genève comme opposants politiques au régime de Pinochet. C’était parmi les derniers latino-américains à bénéficier du droit d’asile en Suisse comme réfugiés politiques statutaires.
L’immigration latino-américaine
Depuis lors, il existe une très forte immigration latino-américaine en Suisse surtout à Genève. Les Péruviens, les Équatoriens, les Colombiens et les Brésiliens sont venus par vagues successives ; actuellement, la plus grande partie des membres et amis de la communauté chrétienne latino-américaine hispanophone sont des Boliviens. La situation économique et politique en Bolivie est tellement dure que nombreuses sont les personnes à fuir une vie de misère. Elles font souvent face à des problèmes d’endettement liés à des difficultés d’ordre professionnel : ces personnes avaient eu soit un taxi soit un camion soit encore un petit business mais tous n’avaient pas eu les moyens de rembourser leurs dettes ; autre cas de figure, elles ont eu un accident avec leur véhicule ou sont tombées malades : dans ces pays, quand on n’a pas d’emploi stable, on n’a pas non plus d’assurance-maladie et quand survient une opération ou un accident, alors interviennent les amis par solidarité pour couvrir les dépenses, autant de difficultés qui placent les familles dans des situations très difficiles. La famille envoie dans ces conditions tel ou tel de ses membres à l’étranger comme des boucs émissaires pour gagner de l’argent. Depuis l’arivée de Jairo Monteiro, missionnaire brésilien envoyé à Genève par Conseil Mondial de la Mission de l’EEM (GBGM), la branche brésilienne ne cesse de s’étendre. Comme ils n’ont pas besoin de visas pour entrer en Suisse, il semble qu’après les Etats Unis notre pays est celui qui attire le plus de migrants brésiliens.
jp.w L’idée a fait son chemin qu’en allant à l’étranger et en particulier dans la Suisse opulente on peut récolter assez d’argent pour éponger les dettes ?
RE : J’aime ton expression «idée », c’est plutôt un «mythe », une fausse image que donne la Suisse. Ces personnes sont souvent d’un niveau universitaire, et elles lisent les statistiques laissant entendre qu’on gagne tant et tant en Suisse et que le salaire minimum, par exemple, y est de 2 500 FS et elles se disent : «chez nous, un médecin gagne 200 FS par mois et si je peux vivre en Suisse avec 200 FS je peux par conséquent envoyer 2 300 FS à ma famille. Mais elles ne se rendent pas compte qu’avec 2 500 FS elles ne peuvent guère vivre en Suisse, sinon chichement et qu’elles ne pourront jamais envoyer les 2 300 FS d’un salaire fictif (2 500 FS). La plupart des personnes au sein de la communauté gagnent des salaires bien inférieurs à ce minimum vital. Les familles chez qui elles travaillent souvent nourries et logées leur paient peut-être un minimum de 500/700 FS par mois, sur lesquels elles doivent encore acheter des habits pour l’hiver, etc.. Et les mieux loties gagnent 1 800/2 000 FS tout en étant nourries et logées.
Déception des nouveaux migrants
jp.w : Qu’en est-il de ceux qui ne trouvent pas d’emploi sur place même au noir ?
RE : Ça devient de plus en plus le cas, parce que le marché est de plus en plus saturé et surtout les hommes ont beaucoup de peine à trouver un emploi. Les restaurants, les agriculteurs qui les emploient sont de plus en plus contrôlés et les personnes embauchées au noir sont renvoyées ; souvent, elles reviennent dans les semaines et les mois qui suivent. Leur désespoir est réel, quand elles n’ont pas réussi à «atteindre leur objectif » ; elles se sont tellement accoutumées à leur vie en Suisse qu’il leur est difficile de rentrer dans leur pays d’origine.
Le rôle de la pasteure
jp.w : En tant que pasteure d’une telle communauté latino-américaine remplie de gens sans papiers, ou à la recherche de papiers ou à la recherche d’une situation plus sûre, comment réagit-on à leur sujet ? On leur souffle à l’oreille de rentrer chez eux, on les aide à régler leur situation sur place ? Est-ce que vous avez des solutions en main ?
RE : Je n’ai pas de solution miracle, j’accompagne les personnes, j’essaie de percevoir leur désir, par exemple mener une vie décente en Suisse : quand une personne me parle d’abus, je les dirige vers des centres où sont traités les cas de violence domestique ou d’abus sexuels, car il s’en produit d’abord dans leurs propres familles, parce que ces familles vivent souvent dans une très grande promiscuité et l’alcool semble être une solution de facilité pour certains hommes : de retour chez eux, il leur arrive de battre soit leurs enfants, soit leurs femmes et ce sont là des situations où les instances suisses peuvent intervenir et protéger ces femmes et ces enfants.
Abus et exploitations
Ces abus se produisent aussi sur les lieux de travail : il y a des cas de franche exploitation, des cas où les salaires ne sont pas payés bien que promis, ou que le versement des salaires n’est que partiel. Il existe enfin d’autres cas, où l’employé est astreint à un travail 7 jours sur 7, 24 heures sur 24.
Les syndicats, -surtout l’un d’entre eux formé d’abord pour venir en aide aux employés des diplomates, le Syndicat sans frontières-, ont remporté plusieurs affaires contre des diplomates traitant leurs employés comme des esclaves.
Mais malheureusement, les diplomates ne sont pas les seuls en cause, nos concitoyens le sont aussi. Des Suisses n’accordent pas de congés à leurs employés le dimanche ou même n’en accordent pas du tout. Ils ne paient pas souvent les charges sociales pour ces employés alors qu’ils le devraient.
Ces syndicats sont très engagés dans la défense de ces travailleurs migrants ; ils ont même constitué des dossiers pour un certain nombre de sans papiers qu’ils ont fait parvenir d’abord au Conseil d’État du Canton de Genève ; selon ces syndicats, les autorités devraient régulariser ces personnes car, non seulement elles travaillent à Genève mais font aussi marcher l’économie locale. Et maintenant ces dossiers impliquant quelque 5 000 personnes, femmes et enfants, sont à Berne et on espère, à défaut d’une régularisation collective, qui semble difficile, qu’au moins chaque cas sera examiné et que les autorités accordent un permis de séjour pour des raisons humanitaires aux familles établies ici depuis 5/6 ans : elles travaillent au noir, les enfants vont à l’école, tous sont bien intégrés dans notre société, en tant que telles, elles devraient avoir le droit à une vie digne sans avoir peur de la police à chaque coin de rue.
jp.w : C’est votre combat de pasteure, le combat de l’ensemble de la communauté : tous unis pour défendre ce droit des étrangers à vivre dans ce pays d’accueil ?
RE : Je ne sais pas si c’est le combat de toute la communauté ; des personnes ont pu légaliser leur situation, c’est le cas d’étrangers ayant obtenu leurs papiers à la faveur d’un mariage avec un Suisse ou un ressortissant de l’Union Européenne. D’autres se réclament d’une nationalité européenne, surtout les descendants d’immigrants italiens, espagnols dans divers pays d’Amérique Latine et nous avons aussi quelques employés d’organisations internationales, de multinationales qui sont légalement dans le pays et je ne sais pas la priorité que se fixent les uns et les autres : pour les uns, la priorité semble plutôt être l’évangélisation des personnes, leur «salut spirituel » et on nous taxe d’humanistes quand nous parlons des droits au travail ou des droits de l'homme.
L’accueil de l’étranger, une question de justice
jp.w : Mais vous avez un argument de poids : le premier à chercher une patrie d’accueil a été notre chef, notre patron à tous, le Christ !
RE : Moi, je le pense aussi, et surtout Matthieu 25 me parle à ce sujet.
jp.w : Quand Jésus s’identifie à l’étranger,…
RE : A l’étranger, à celui qui est maltraité, qui a faim et qui est malade. Je crois que nous avons ce commandement et aussi cette promesse que, si nous faisons quelque chose à quelqu’un de mal loti, nous le faisons pour Jésus et je crois que c’est ça ma motivation, changer leur sort, parce que le Royaume de Dieu est un royaume de justice. Il consiste aussi à suivre le commandement du Christ, à me préoccuper de mon prochain, surtout du prochain souffrant.
L’unité de l’ensemble, un défi
jp.w Venons-en à l’Eglise chrétienne latino-américaine de Genève. Elle se développe avec son foisonnement de langues, de peuples et de couleurs ; Ça crée un peuple uni, bigarré, heureux ?
RE : C’est un défi, parce que la plupart me disent n’avoir jamais vu une église de ce genre. Et la plupart de nos membres et amis ne sont pas des gens d’église. Ce sont des personnes qui ont peut-être fréquenté l’Eglise catholique, été baptisées, confirmées pour certaines, mais leur vie de foi a été plutôt très irrégulière, elles n’étaient pas très engagées. Certains viennent d’églises méthodistes ou d’autres églises évangéliques et là on leur a appris que les catholiques n’étaient pas des chrétiens. Alors de mettre tous ces gens ensemble et de leur montrer que des catholiques peuvent être des chrétiens et que nous ne sommes pas censés convertir ces gens au méthodisme ou à notre communauté….
Un appel à la conversion
jp.w : Mais nous convertir….
RE : Voilà, plutôt nous convertir les uns aux autres pour former le corps du Christ à Genève bigarré, coloré, multiconfessionnel, multiculturel, c’est là un grand défi et ce n’est pas évident de parvenir toujours à contenter tout le monde, c’est même quasiment impossible. Nous cherchons à les faire vivre en harmonie. C’est un peu comme dans le livre des Actes, quand les veuves grecques se plaignent que les veuves hébreues reçoivent plus de nourriture qu’elles ; elles ont le sentiment de subir une discrimination. Ce genre de plaintes, on les a tout le temps ; même entre Boliviens, il y a des ruptures, parce que certaines personnes sont indigènes, d’autres métisses ou d’autres viennent du plateau de l’Altiplano, où l’on parle les langues quetchua et aymara et où l’on a des coutumes différentes, moins de prospérité économique peut-être que dans ces régions plus chaudes, tropicales,… Il y a donc entre eux de grandes tensions.
Déjà dans leurs pays, ils n’étaient pas accoutumés à travailler ensemble et dans ce contexte suisse où tous se trouvent comme étrangers, d’une part ils sont forcés à se côtoyer ; d’un autre côté, on leur dit, j’essaie de leur enseigner que nous sommes toutes et tous des enfants de Dieu et que nous devons former une seule famille spirituelle ; mais ce n’est pas gagné. Cet objectif me fascine et je tâche de le promouvoir. Des associations laïques se sont créées entre Boliviens par exemple pour favoriser l’entraide.
jp.w : Là, on parle de chrétiens hispanophones…
RE : On parle en effet de chrétiens hispanophones ; mais il faut aussi parler de la volée brésilienne qui s’est jointe à l’église depuis le début de la communauté ou presque. Ils se réunissaient sporadiquement, d’une manière informelle avec un pasteur ayant travaillé pour le Conseil Œcuménique des Eglises (COE), et toutes étaient des personnes en règle et donc libres de travailler légalement en Suisse. Elles avaient par ailleurs des attaches avec d’autres églises. Sur ce, arrive mon collègue Jaïro Monteiro, il y a trois ans, accompagné de sa femme (permanente au COE), qui part de ce noyau de Brésiliens alors pour développer tout un travail parmi les lusophones. Il se rend compte que le nombre des Brésiliens n’est pas négligeable. Cette immigration a commencé il y a moins de dix ans. Les Brésiliens cherchant leur fortune en Suisse sont généralement plus jeunes que les Boliviens. Je dirais que la moyenne d’âge de la communauté hispanophone est de 30/35 ans alors que dans la communauté brésilienne elle est de 20 ans : beaucoup de familles ont de petits bébés et les couples sont plus nombreux, les Boliviens quant à eux viennent généralement seuls, sans leurs enfants, leurs mamans et tantes… Les Brésiliens viennent en couple et sont en majorité des blancs munis de papiers certifiant l’enracinement européen de leurs familles, l’existence d’ancêtres italiens, espagnols….
jp.w : Est-ce-à dire que la communauté latino-américaine se subdivise en deux en quelque sorte ?
RE : C’est le danger, qu’on n’arrive plus à travailler comme une seule communauté.
jp.w : Comment faites-vous pour travailler à l’unité ?
RE : La difficulté des langues nous pose des problèmes. Généralement, les Brésiliens apprennent l’espagnol à l’école et le comprennent assez bien. L’inverse n’est pas le cas. Les autres pays latino-américains n’enseignent pas systématiquement le brésilien ou le portugais et les gens ont moins l’habitude de l’entendre. Cela pose donc un problème de communication.
La gestion des langues demande de la flexibilité
jp.w : Vous le résolvez comment ? Par la traduction ?
RE : On essaie ; en tout cas, mon collègue Jaïro, maîtrise les deux langues et il dit qu’il parle le «?portignol?» ; il fait par exemple une émission de radio pour les deux branches de la communauté et il fait la méditation en espagnol et la prière en portugais ou vice-versa. Et son accent en espagnol nous aide peut-être aussi à comprendre certaines paroles en portugais. Nous essayons en tout cas, au niveau du conseil de travailler dans les deux langues, nous essayons d’avoir des moments forts, des camps ou des ateliers d’une journée sur certains thèmes, où nous réunissons les deux branches de la communauté. Nous avons eu moins de succès avec les cultes en commun. C’est l’horaire du culte qui fait problème. Le culte en espagnol a toujours été en fin de matinée, à 11 h 30 avec le repas qui suit et il semblerait qu’au Brésil les communautés évangéliques se réunissent de préférence le soir. Donc ils ont l’habitude de se réunir le soir à 18 h 30 et c’est très difficile de les faire venir le matin. Même chose pour les hispanophones ; seules quelques exceptions viennent le soir, quand ça les arrange. Mais il est très difficile de déplacer toute la communauté. Ce que nous avons essayé, c’est de faire entre les deux l’Assemblée Générale à 14 h 30 et en tout cas la dernière fois nous étions étonnés du succès. Nous avions une centaine de personnes en provenance des deux communautés à la fois.
L’entraide
jp.w : L’entraide, joue-t-elle entre les membres ? Les besoins sont énormes, vous évoquez la précarité, l’insécurité. On s’entraîne, on s’accueille, on s’encourage ?
RE : Il y a les deux choses : il y a une entraide entre certains qui m’émeut beaucoup, que j’apprécie et j’admire, mais il y a aussi des mesquineries, des personnes qui en dénoncent d’autres auprès de la police, ou il se produit des vols, comment en arrive-t-on à se voler des choses entre gens qui n’ont rien ?
jp.w : Ce n’est pas encore la Terre promise ?
RE : Certainement pas. Et ce qui les surprend toujours, c?'est le fait qu’il y ait aussi des voleurs en Suisse. Par exemple, plusieurs ont subi un vol dans les grands magasins ou dans le tram et le bus et ils viennent se plaindre en pleurant : «?chez nous, en Amérique Latine, on sait que ça arrive, mais qu’on m’arrache le sac en pleine rue et en plein jour à Genève, ça, je ne l’aurais jamais cru? ». Et puis ils n’osent pas tellement aller à la police pour se plaindre. Et c’est là le drame : je ne sais souvent pas quoi leur conseiller. Si je le peux, j’essaie, moi, de jouer l’intermédiaire, d’aller, moi, à la police et de dire ce qui s’est passé ou aussi, quand les gens sont renvoyées dans leur pays d’origine, au moins d’aller à la police et de dire : «est-ce que je peux amener une valise avec les affaires de la personne ? ».
Les renvois au pays
jp.w : Des personnes sont renvoyées dans leur pays d’origine, ça arrive ?
RE : Ça arrive presque toutes les semaines, je dirais que, quand des gens se font prendre, il y a toute une échelle de mesures, la première fois peut-être que le policier renvoie la personne, mais note son nom ; la deuxième fois, elle reçoit une petite carte blanche, qui lui signale l’obligation de quitter le territoire suisse dans tel ou tel délai et puis la troisième fois quand la personne se trouve une nouvelle fois en Suisse c’est peut-être même l’emprisonnement, en tout cas le renvoi dans son pays d’origine ou dans un pays tiers. Le fait d’être affilié à un syndicat et de donner une procuration à ce syndicat aide certaines personnes, parce que le syndicat peut intervenir dans ces situations et je leur donne aussi une carte de visite de la communauté en sorte qu’en cas d’arrestation elles peuvent demander mon assistance, il y a droit comme tout autre être humain. En prison, elles peuvent aussi demander ma visite . Il m’arrive de temps en temps que des familles ou des amis me demandent d’amener les affaires personnelles à des détenu-e-s avant leur renvoi dans leur patrie. Généralement, j’y ajoute une Bible. Et cela s’est toujours très bien passé.
jp.w : A vous entendre, on comprend que la situation des étrangers sans papiers est souvent désespérée et néanmoins beaucoup se recentrent sur la foi. Leur approche n’est-elle pas une fuite ?
RE : Je pense que pour certains c’est une fuite et pour d’autres c’est aussi un endroit où on leur donne à manger, où ils espèrent avoir des avantages matériels,
jp.w : Un havre de paix, un sanctuaire ?
RE : Peut-être, mais souvent cette demande ou ce besoin se transforment aussi. On m’a souvent dit : «? moi, je venais, parce qu’on me disait que je pouvais manger gratuitement ici et puis votre manière de célébrer un culte, votre manière de prier ou le groupe féminin où l’on étudie la Bible, ça m’a apporté quelque chose? »
Les progrès spirituels
jp.w : Vous avez constaté des progrès ?
RE : Peut-être des progrès spirituels, de la croissance spirituelle et ce qui me réjouit beaucoup, c’est quand certaines personnes me disent : «moi, j’aurais voulu être nonne à un moment donné de ma vie et maintenant je peux servir cette communauté-là, par exemple en faisant la cuisine ou en dirigeant un groupe de femmes». Des gens y ont trouvé leur vocation et ressenti un appel tout à nouveau et qui du coup se souviennent de l’appel que Dieu les avait adressé par le passé : ils peuvent vivre maintenant leur vocation.
jp.w : Quand vous avez ce retour, vous vous dites que vous ne travaillez pas pour rien…
RE : Non, j’ai beaucoup de satisfaction dans ce travail, dans le sens que j’ai l’impression d’être au bon endroit et au bon moment, même si les échecs ou les frustrations ne font pas défaut, parce que des personnes malintentionnées me prennent pour quelqu’un de facilement crédible, etc., et souvent je me suis faite prendre ou je me fais prendre, mais je pense aussi que j’apprends aussi énormément de ces personnes, de leur persévérance, de leur dévouement pour leur famille, c’est impressionnant, même si cela me rend triste de voir que des enfants doivent grandir sans leur mère pour avoir une éducation universitaire et que parfois ces jeunes universitaires ne suivent pas la route que les parents ont tracée pour eux. Dans plusieurs cas, je me suis même rendue compte que l’épouse envoyait de l’argent au mari qui ne l’investissait pas dans la maison commune, mais s’en allait avec une autre ou buvait, etc. Cela m’a poussé à revoir les conseils que je donnais, dans le sens que «si vous gagnez assez d’argent pour en envoyer dans votre pays, assurez-vous que c’est vraiment le collège ou l’université qui reçoivent l’argent et pas quelqu’un qui en fait un mauvais usage ».
Un séjour limité dans le temps
jp.w : Est-ce que l’étranger en Suisse est appelé à intégrer le pays ou à limiter son séjour ? Nous nous rappelons que nous sommes tous «pèlerins et voyageurs sur cette terre », mais eux le sont un peu plus que d’autres. Alors est-ce qu’ils ont vocation à s’implanter définitivement en Suisse ou leur séjour est-il limité dans le temps ?
RE : Dans la plupart des cas, ils n’arrivent pas à s’implanter en Suisse, même si le français est un peu plus facile à apprendre que l’allemand couramment parlé dans la majeure partie de la Suisse, c’est quand même une langue que beaucoup de paroissiens-ne-s ont de la peine à maîtriser. Et déjà de ce côté-là, l’intégration est difficile. Il y a une population importante d’immigrants eaucoup hispanophones et lusophones vivant à Genève actuellement, mais peu de Latino-Américains réussissent à s’intégrer dans ces milieux. Les Portugais et les Espagnols qui sont à Genève voient peut-être plutôt d’un mauvais oeil ces nouveaux arrivants d’Amérique Latine et ont de la peine à les accepter ; certains les exploitent en leur payant un salaire de misère. Moi, je conseille plutôt à ces immigrants de la dernière heure d’envisager leur retour au pays ; surtout aux femmes qui ont laissé derrière elles des enfants, qu’elles envisagent leur retour au pays le plus vite possible, parce que leur santé physique et psychique en pâtit en Suisse.
jp.w : Mais n’est-ce pas un peu saborder le projet d’une église latino-américaine ?
RE : En tout cas, je n’ai pas de projet particulier de croissance pour l’église chrétienne latino-américaine de Genève et, paradoxe de l’histoire, il se trouve que nous sommes la communauté méthodiste qui s’accroît le plus et le plus vite en Suisse.
Une église en pleine extension
jp.w : Avec l’ouverture de nouvelles annexes dans d’autres villes…
RE : Tout à fait. Surtout depuis l’ouverture d’un site internet et l’arrivée de mon collègue Jaïro Monteiro ; des communautés brésiliennes se sont réunies d’abord à Bienne, ensuite à Berne, à Lausanne se poursuit un travail d’évangélisation. Je crois que ce sont des communautés plus stables peut-être, certaines d’entre elles du moins, parce qu’il s’agit de Brésiliens mariés à des Suisses ; donc il y a une certaine stabilité et l’intégration est déjà chose faite, en tout cas pour ce qui est des responsables de ces communautés et c’est peut-être quelque chose qui va permettre l’émergence d’une nouvelle «église » dans la partie germanophone de Suisse.
jp.w : Dernier point : l’avenir est à Dieu, même pour ce qui est de la communauté latino-américaine ?
RE : Tout à fait. Je pense que, tant que ce décalage économique entre l’Amérique Latine et la Suisse existera, la Suisse agira toujours comme un aimant pour attirer ces personnes, même si la communauté change, même si des personnes rentrent dans leur pays, de nouvelles personnes arrivent, pour lesquelles nous leur servirons toujours de foyer et de famille spirituelle.
L'engagement de la communauté chrétienne latinoaméricaine de Genève
Les deux branches de la Communauté chrétienne latino-américaine à Genève avec des annexes à Bienne, Lausanne et Berne forment une circonscription de la Conférence annuelle Suisse-France de l’Église Évangélique Méthodiste. La Communauté apprécie l’ouverture oecuménique de notre Eglise et la cultive dans une ambiance internationale et interculturelle en s’appuyant sur les points suivants concernant la foi chrétienne :
- Nous sommes fidèles à Dieu et a sa Parole
- Nous fondons notre unité en Jésus Christ
- L’Esprit Saint nous donne la liberté d’exprimer diversement notre foi
- L’amour entre frères et sœurs détermine nos relations.
Sa Vision
Nous sommes une communauté chrétienne œcuménique, ouverte et inclusive, sensible aux questions spirituelles, sociales et politiques auxquelles sont confrontés nos membres. Nous partageons la même foi, bien que notre spiritualité s’exprime de différentes manières. Nous proclamons la Parole de Dieu et nous mettons nos vies à son service.
Ses Valeurs
Nous voulons être le foyer et la famille spirituelle des latino-américain-e-s à Genève.
Le Nouveau Testament nous apprend que Dieu donne des compétences et des talents à chaque individu qui contribuent à la richesse du corps de Christ. Il y a actuellement au moins onze ministères travaillant sous la direction de la « Comisión Directiva » ("comité directeur" ou « Conseil de circonscription » en français) qui inclut l’Équipe Pastorale et d’autres responsables en charge de divers ministères. La communauté chrétienne latino-américaine de Genève continuera à développer ses talents et ministères. Elle est ouverte à de nouvelles vocations parmi ses membres et les encourage à entreprendre une formation théologique.
Ses activités
Nous célébrons deux cultes chaque dimanche, un en espagnol, l’autre en portugais durant lesquels nous offrons un enseignement spécifique aux enfants.
La communauté compte avec des groupes de femmes, d’hommes et de jeunes qui se réunissent régulièrement et qui participent à l’animation des cultes.
La formation des adultes se fait le dimanche matin lors d’un déjeuner biblique et dans des groupes de maison durant la semaine.
Nous nous réunissons également pour la prière et des moments conviviaux. Nous servons un repas chaud à une centaine de personnes le dimanche à midi et un après-culte réunissant le même nombre chaque dimanche soir.
Nous organisons aussi des conversations d’informations utiles pour nos membres, des séminaires sur des thèmes précis, et un weekend annuel de retraite ou de camp communautaire.
Le pasteur Jairo Monteiro anime un programme bilingue à Radio-Cité, la radio des Eglises chrétiennes à Genève.
Les deux pasteurs assurent chacun une permanence de deux heures par semaine pour des entretiens individuels ou familiaux sans rendez-vous.