Lettre à Théophile

A propos d'encriers gelés et desséchés - pasteur Samuel Lauber


Excellent Théophile,Depuis quelque temps, je garde sur mon bureau un encrier dont le contenu demeure stable, puisque je délaisse la plume à encre et utilise un bic ou l’un de ses dérivés. J’avoue que j’écris avec un certain plaisir, d’autant plus que je découvre les caprices de la machine moderne que nous appelons ‘ordinateur'. Par rapport à l’écriture à la main qui exige tout un exercice pour effacer les fautes, la modernité de l’ordinateur permet très facilement la correction des fautes – je dirais que cette correction est trop facile avec un logiciel adapté faisant apparaître les fautes d’orthographe et même de syntaxe. Seulement il faut bien le remarquer, même l’imprimante, rattachée à l’ordinateur, demande de l’encre – hélas ; les encriers se vident autant que ceux des stylos à encre noire ou bleue.Sans encrier, c’est-à-dire sans encre, il n’y a pas d’écriture !


Plaisir de l’écriture
Comme bien des personnes, comme toi, excellent Théophile, j’écris des lettres aux amis et aux connaissances, j’en adresse aux responsables de la vie civile, aux personnalités ecclésiales, et je m’abstiens de m’adresser aux ‘officiels’.Je fais l’heureuse expérience que bon nombre de nos amis et connaissances répondent à nos missives et partagent avec nous des expériences vécues. Il faut dire que le courriel est pour nous un précieux moyen de contact. Il se propage de plus en plus. J’apprends avec un certain étonnement, car je suis de la vieille école comme on dit, que même les demandes d’emploi se font par courrier électronique. Nombreux sont-ils et sont – elles qui attendent une réponse affirmative suivie d’un dialogue et d’un emploi.


Correspondance gelée
Je constate avec une inquiétude grandissante que bien des lettres restent sans réponses. Elles disparaissant dans le néant d’une corbeille à papier. J’ai l’impression que chez bon nombre de personnes, l’encrier est gelé ou desséché, « on » ne dispose pas d’encre. Je ne chercherais pas à analyser les causes du silence, entre autre une absence de liaison entre le cerveau et la main, une inertie de la mémoire. Je dirais même que je crains ici et là un mépris de la personne.
Signe de mépris ?
Force m’est de constater que l’absence de réponse est souvent cause d’amertumes qui se gravent profondément dans la mémoire. Les auteurs d’une missive, restant donc sans réponse, se posent alors des questions, quant à leur valeur humaine ou de leur capacité ; certains doutent de leur dignité dont on parle ici et là dans les églises évangéliques.N’obtenant pas de réponse, les uns et les autres portent en conséquence une charge lourde à travers les années. Par la suite, certain (e) s se retirent dans leur petit cercle de vie et se carapatent. D’autres se marginalisent par rapport à la communauté chrétienne et s’isolent dans leur désolation.
Plaidoyer pour une correspondance suivie
Je sais bien que nous ne répondrons pas toujours avec aisance à une lettre. Ce qu’une personne proche m’a dit un jour est vrai : « Je me sais plus à l’aise dans les travaux manuels qu’à l’écriture. Rédiger une lettre me demande un effort qui souvent est plus pénible que bêcher le jardin ». Il est certain que les dons sont différents, mais le respect de la personne au nom du Christ Jésus fait partie de notre vie de disciple.Je plaide donc la réponse à une lettre, à une demande ou à une proposition qui nous parviennent. Un simple accusé de réception sera toujours un signe de respect, de vie. Je dirais pour nous chrétiens qu’elle est une marque de la vie nouvelle que nous vivons avec et par le Christ Jésus. En répondant à une lettre, nous manifestons modestement et concrètement le respect de ce prochain qui s’est adressé à nous.Théophile, je ne veux « mélanger » réponse de Dieu et réponse des hommes. Je reste consciemment dans nos relations humaines qui sont terrestres. Je demeure dans le quotidien de nos jours et de nos semaines. Quel privilège pour nous de concrétiser l’amour de Dieu auprès du prochain en utilisant l’encrier qui nous est confié, en répondant à la demande, en encourageant par notre écriture comme en couchant nos pensées et propositions sur une feuille de papier – à l’adresse de celui ou celle qui nous fait confiance en nous écrivant.

Je t’encourage à prendre la plume ou de te mettre au clavier – avive le don que le Créateur t’accorde autant que possible. 

Bien cordialement, 

Samuel Lauber.