“Prendre le relais” (Ex 1.6-2.10)
par le pasteur René Lamey
Grâce à leur engagement conséquent, des femmes changent le sort de tout un peuple : heureux enchaînement de faits, effet domino qui n’est pas sans rappeler l’obéissance d’un seul, source de justification du plus grand nombre (Rm 5.19).
Une action individuelle peut avoir quelques effets positifs, mais quand celle-ci est menée à plusieurs, elle peut alors prendre des proportions insoupçonnées… Un pays tout entier – un peuple tout entier – peut en être bouleversé à jamais.
Le début du livre de l’Exode nous présente cinq femmes remarquables qui, toutes, ont un lien avec Moïse, le futur libérateur d’Israël : deux sages-femmes, la mère de Moïse, sa sœur et la fille de Pharaon. Isolée, leur action n’aurait pu aboutir ; mais, à tour de rôle, chaque femme est entrée dans l’histoire, et par leur action conjuguée, la détresse de l’une s’est transformée en bonheur de toutes.
Entrée en résistance
1. Face à l’ordre inhumain du Pharaon, les deux sages-femmes n’ont pas longtemps hésité : librement et courageusement, elles se sont opposées au Pharaon tout-puissant. Entre la vie et la mort des nouveau-nés, il n’y a pas longtemps à réfléchir : pour ces femmes, c’était clair, il fallait sauver les bébés, il fallait désobéir pour protéger les plus faibles, et quoi de plus faible qu’un nouveau-né ? Leur métier est de mettre les bébés au monde, pas de les enlever du monde… Ces femmes ont dit oui à la vie, quitte à risquer leur propre vie.
Belle action, oui, mais l’ennemi est rusé : qu’ils naissent les garçons, puisque « leurs mères sont pleines de vie et rapides à enfanter », mais qu’on les jette ensuite dans le Nil !
Mère courage
2. Les sages-femmes n’ont pas pu enrayer le mal. Une autre femme, alors, va prendre le relais : la mère de Moïse.
Elle aussi privilégie la vie, elle aussi cherche une solution pour sauver son enfant. Elle le cache pendant trois mois, mais elle sait bien qu’elle ne pourra pas le dissimuler très longtemps. Un soir, quelqu’un entendra les cris du garçon… Alors, que faire ? Une mère en détresse réagit souvent avec une intelligence et une force décuplées. Par amour pour quelqu’un, on est capable de trouver des idées extraordinaires. La mère a une de ces idées géniales. Elle construit une petite embarcation pour son fils, elle la pose sur le fleuve, elle confie son enfant à Dieu comme un cadeau, peut-être comme une ultime prière…
Elle a fait ce qu’elle a pu, la mère ; elle laisse maintenant son enfant dériver au gré des flots, au gré du son destin…
La sœur n’a pas peur
3. La mère s’en retourne, mais une autre femme, une jeune fille va maintenant entrer dans l’histoire, c’est la sœur du bébé. Elle s’était cachée un peu plus loin. Elle a vu la corbeille s’en aller sur les petites vagues du fleuve. Elle n’a pas de plan précis, mais tant pis, advienne que pourra, Dieu saura bien l’inspirer au moment voulu.
Ça, c’est la folie de la jeunesse, ou plutôt, ça, c’est la folie de la foi ! Parfois, je me dis qu’il nous en faudrait un petit peu de cette folie-là, de cette foi intrépide, une foi qui fait totalement confiance en Dieu ! Alors, le hasard ou Dieu faisant bien les choses, voici que la fille de Pharaon a envie de faire trempette dans le Nil ! On entend un bébé qui braille, toutes ces jeunes femmes sont touchées (et curieuses) ; elles découvrent l’enfant. « Tiens, il porte de curieux vêtements » ; « Oui, moi je sais, j’en ai déjà vu des comme ça… Ce sont les petits habits que portent les garçons… hébreux. » Silence gêné… Que faire ? Le cœur maternel commence à battre… Mais… On connaît aussi la loi… Alors, vite, il faut intervenir pendant que ces jeunes femmes hésitent, vite, avant que le cœur maternel ne plie devant la raison. Soudain, une petite voix : « Pardonne-moi, mais veux-tu que j’aille te chercher une nourrice…. ».
On ose à peine imaginer la joie de la mère ! Elle n’a pas beaucoup de temps pour réfléchir aux conséquences, tant pis, quand il faut y aller, faut y aller ! L’enfant reçoit un nom : Moïse, ce qui signifie : « sorti » = sorti des eaux, sauvé des eaux.
La princesse a du cœur
4. La cinquième femme remarquable du récit, c’est la fille du Pharaon, c’est une étrangère, elle est du côté des oppresseurs, mais, malgré elle peut-être, elle a su prendre le relais, elle a accompli un acte de bonté, un acte de salut ; elle mérite amplement d’être citée avec les autres femmes. Elle n’a peut-être pas pris beaucoup de risques (le Pharaon n’allait pas au quartier des femmes), mais elle a ouvert son cœur à un enfant, et ouvrir son cœur, que ce soit pour un enfant, pour un adulte ou pour Dieu, c’est toujours risqué, on ne sait pas jusqu’où cela peut nous mener ! Dans un palais peut-être, ou dans les bidonvilles de Rio, ou, sans aller si loin, dans les banlieues de nos villes, dans une chambre d’hôpital ou de maison de retraite : là où quelqu’un a besoin de compassion…
Oui, ainsi commence la mission de celui qui sortira (cf. le nom de Moïse) son peuple hors de l’Égypte ; elle commence sans tambour ni trompette, mais avec la foi, le courage, la débrouillardise, l’amour de plusieurs femmes.
Réactions en chaîne
Alors, merci à vous, femmes du peuple ou femmes du palais, vous avez bravé une loi injuste : par amour, vous avez mis la vie d’un enfant au-dessus de la vôtre. Au moment propice, chacune de ces femmes a ouvert son cœur ; chacune, au bon moment, a pris le relais. Aujourd’hui, ne serait-ce pas à nous de prendre le risque d’ouvrir notre cœur à Dieu et aux autres ? Ne serait-ce pas à nous, individus et Église, de prendre le relais, le relais pour sauver une vie, pour sauver la vie, pour secourir la vie, pour protéger la vie, pour aimer la vie ?
Dessins de Pascale Hure (© creative commons)