Paroles de spectateur engagé
Samuel Lauber
pasteur
Nous retrouvons la plume alerte du pasteur S. Lauber, qui, dans sa correspondance au frère Théophile, médite sur la fuite du temps depuis sa position de spectateur engagé
Cher Théophile,
En réfléchissant aux années de vie que Dieu le Créateur et Père m'a donné de vivre, je parviens au constat qu'elle est certes relative et très personnelle. Cela m'aide toutefois à m'assumer et à accepter la situation que je vis et que je dois endosser. Il y a des réalités qui souvent me pèsent et nous causent des moments difficiles, car force m'est de constater : ce que je vis maintenant n'est pas comparable au vécu d'il y a quelques années. Une autre génération plus jeune est aujourd'hui à l'oeuvre. Ces hommes et ces femmes vivent les exigences des temps d'aujourd'hui. Des évolutions, des changements forment, transforment et déforment bien souvent les données de la vie. L'histoire des humains se continue certes. Elle est une roue qui tourne et ne se répète pas. Cependant la technique se développe, l'informatique me dépasse - et j'en passe quant au vécu de nos décennies. Je suis un homme de mon époque et me trouve dans mon histoire, à quelques décennies en arrière. Alors ?
En m'efforçant, sans contrainte, à valider mes décennies vécues dans la reconnaissance, je veux enpremier rendre grâces au Dieu de Jésus Christ d'avoir pu accomplir bien des tâches à son service et dans une relative disponibilité pour le prochain. Je n'ai pas seulement connu une vie active fort intéressante, aux plans pastoral et diaconal, mais aussi une vie de famille bien précieuse. Et après des années de retraite active je me trouve encore au milieu des vivants dans la situation que je décris avec cette image: au théâtre terrestre aux nombreuses scènes, je ne me trouve plus parmi les acteurs, mais je me sais installé au deuxième balcon à la troisième loge à gauche. Je regarde et j'observe ceux qui jouent sur la scène. Certes, de temps à autre, voyant les mouvements de joueurs, je me crispe. J'ai envie de descendre, de parler, d'intervenir. Mais réfléchissant, je me raisonne et m'applique à rester à ma place. Je m'efforce de joindre les mains, car je crois que Dieu nous donne en Jésus Christ la grâce de l'intercession, surtout en retraite reposante.
Joindre les mains, regarder et observer les évènements qui s'étalent dans le monde en ce début de siècle, c'est le vouloir. Considérer dans le calme et la confiance les mouvances théologiques, évangéliques et autant sociales que politiques dont nous sommes spectateurs demande une certaine maîtrise de soi. C'est avec un chagrin profond que nous prenons note du mépris moral et éthique parmi les peuples. Je ne veux pas m'adonner à une attitude négative et destructrice, globalement pessimiste. Au fond je déshonorerais le Dieu de Jésus Christ par ce comportement. Je ne veux pas non plus me repaître sur le balcon en 3e loge d'une autosatisfaction contemplative. Je suis conscient de vivre la bienveillance du Christ Jésus. Chaque jour m'est un don de sa part. Et je sais, - c'est une conviction profonde -, qu'IL tient le monde dans ses mains et que j'y suis gravé ! Alors... de quoi t'alarmes-tu mon coeur, car je fais l'expérience de l'amour de Dieu. Et au matin de chaque jour, j'ai le privilège et le devoir d'adresser mon intercession au Seigneur des temps et du monde.
Depuis l'âge de dix ans je porte des lunettes qui me sont indispensables pour voir. A un moment précis de mon adolescence, le Christ m'a accordé sa lumière. Depuis cet événement, je vis sa lumière. Il me permet de voir les faits, les évènements, la vie, en Lui et par Lui. Il m'éclaire et me sollicite de m'ouvrir à Lui. Il me permet de discerner ce qui demeure. Certes, je suis encore dans la relativité de mon être et de mon faire. Cependant, il m'accorde la force d'assumer le passé, d'accepter l'aujourd'hui et de vivre son espérance en attendant son accomplissement, tout en jouissant chaque jour de la place que j'occupe, par sa bienveillance, dans la 3e loge au 2e balcon ! Théophile, cher compagnon de route, je te salue fraternellement, Samuel Lauber