En crise ou en Christ ?
Alexandre Nussbaumer, Église mennonite de Châtenay-Malabry, pasteur
L’équilibre du monde semble en danger, alors que des pays entiers sont fragilisés et au bord de la faillite. Où est le mal et où se situe le remède ? Point de vue du pasteur Alexandre Nussbaumer dans le cadre de cette chronique commune à « Christ Seul » et à « ENroute ».
Mal symptomatique
Notre monde présente d’inquiétants symptômes du mal qui l’habite : toux marquée des systèmes économiques et financiers, poussées de fièvres de méfiance en passe de devenir fièvres de défiance des peuples envers leurs gouvernements, éruptions de mouvements sociaux… Est-ce grave docteur ?
Le 19 octobre dernier à Francfort, la chancelière Angela Merkel affirmait qu’il fallait « attaquer la crise à la racine » au lieu de s’attaquer seulement aux symptômes. Nos gouvernements creuseront-ils vraiment jusqu’au cœur du mal ? Ou se contenteront-ils de pallier l’urgent, d’appliquer quelques sparadraps de surfaces en espérant que le mal plus profond guérisse de lui-même ?
La crise en Europe
Traiter le mal à la racine
Quelques déclarations récentes du Vatican1 ont retenu mon attention.
« La crise économique et financière que traversent les pays interpelle tout le monde — les personnes comme les peuples — à effectuer un discernement approfondi des principes et des valeurs culturelles et morales qui sont à la base de la vie sociale en commun. »
« La crise a révélé des attitudes d’égoïsme, de cupidité collective et d’accaparement des biens sur une vaste échelle », en ajoutant que les économies mondiales devaient assumer une éthique de la solidarité entre pays pauvres et riches.
« Si aucun remède n’est apporté aux différentes formes d’injustice, les effets négatifs qui s’ensuivront au plan social, politique et économique seront de nature à engendrer un climat d’hostilité croissante et même de violence, jusqu’à miner les bases mêmes des institutions démocratiques, celles qui sont également considérées comme les plus solides et les plus sûres. »
Accumulation sans justice sociale
Ainsi, selon ce document, le mal profond se situe dans l’accumulation dans le temps et dans l’espace de différentes formes d’injustices ! Voilà donc le mal qu’il convient de traiter !
Avis que partage visiblement Pierre Larrouturou2 : « En 1944, avant de convoquer le sommet de Bretton-Woods qui allait reconstruire le système financier, Franklin Roosevelt organisait le sommet de Philadelphie qui adoptait comme priorité absolue le respect d’un certain nombre de règles sociales : « Il n’y aura pas de paix durable sans justice sociale », affirmaient Franklin Roosevelt et les autres chefs d’État avant de définir des règles sur les salaires, le temps de travail et le partage entre salaires et dividendes… Des règles très concrètes, à respecter dans chaque pays comme dans le commerce mondial. Avant que les néolibéraux ne les démantèlent, ces règles ont permis trente ans de prospérité sans dette. »
Et si ces diagnostics tombaient justes ? Et si le mal profond qui nous ronge était vraiment celui de l’accumulation dans le temps et dans l’espace de l’injustice sous toutes ses formes ?
Alors nos oreilles pourraient entendre à nouveau l’appel de la loi et des prophètes à plus de justice économique et sociale : Le fruit de la justice sera la paix : la justice produira le calme et la sécurité pour toujours (Es 32.17, TOB).
220 mentions de la justice
Alors nos yeux pourraient s’ouvrir nouvellement sur les quelque 220 usages que le Nouveau Testament fait du thème de la justice, sur la personne du Christ, et inviter nos mains, nos bouches et nos cœurs à œuvrer pour la justice, à œuvrer pour un vivre ensemble plus juste.
Alors, à l’invitation du Défi Michée – Stop pauvreté 2015, nos Églises pourraient crier à Dieu leur souci pour les plus pauvres, s’engager pour la justice et inviter nos autorités à en faire de même…
Nos vies, nos Églises ont-elles seulement pris le temps de mettre cet appel à la justice à l’ordre du jour de leurs priorités pour aujourd’hui et pour demain ?
Notes
1. Document « Pour une réforme du système financier international dans la perspective d’une autorité publique à compétence universelle », appelant à la création d’une « Autorité publique universelle » et d’une « banque centrale mondiale ».
2. Extrait d’un article paru dans Le Monde, édition du 25.10.2011