Méditation

Pauvres, heureux êtes-vous

Alors que le monde chrétien entre dans le temps que l'on qualifie généralement de "carême", nous avons l'habitude de contempler plusieurs sortes de textes, dont les béatitudes. Elles sont neuf, d'après l'Évangile selon Matthieu, et quatre d'après celui de Luc. Il est bon de les étudier, surtout si nous faisons partie de cette portion de l'humanité qui se tourne vers le Seigneur pour, parmi toutes les raisons possibles, obtenir une certaine satisfaction, un exaucement de voeu. Cela peut expliquer le nombre de personnes qui talonnaient le Seigneur lors de ses périples en Galilée. Ils avaient entendu parler de lui. Ses "exploits" leur avaient procuré un espoir : la guérison, le redressement des torts ou de l'injustice perçue, le réconfort dans la tristesse, la promesse de l'accueil lorsqu'ils se trouvaient isolés ou exclus, la satisfaction de désirs matériels. Mais voici que Jésus promet à ses auditeurs un autre niveau de bonheur, qui n'a que peu de rapports avec celui que la société considère généralement comme le critère de bénédiction. Le bonheur de Jésus, c'est le renversement de l'ordre d'espérance. Jésus nous propose parfois le contraire de ce que nous lui demandons. Nous aurions tort d'essayer d'atténuer ce qui semble être dur et inacceptable.
Cherchons-nous l'aisance matérielle? Jésus nous affirme que la bénédiction est réservée aux pauvres qui, seuls, hériteront du Royaume de Dieu. Il ne s'agit pas d'une "théologie de la pauvreté", semblable à la "théologie de la libération", dont on faisait l'éloge il y a quelques années. Jésus nous invite, non à devenir pauvres à tout prix, mais à réordonner nos priorités. Si nous cherchons la richesse, nous pouvons l'obtenir, mais si c'est là la priorité dans notre vie, la satisfaction risque fort de nous séparer de Dieu et de notre entourage. La pièce d'argent tenue juste devant l'oeil cache le reste du monde et on ne voit que cela.
Pour Luc, il n'est pas question d'une pauvreté spirituelle, ni d'une attitude d'humilité, mais d'une pauvreté absolue, au sens économique du terme. C'est difficile à admettre, que l'on ait des problèmes de finances ou pas. La pauvreté n'est pas ce que nous rechercherions. Ce n'est pas gai! Alors pourquoi la considérer comme un bienfait? Pourquoi en être heureux?

La réponse demeure dans la promesse. Jésus constate une condition humaine, mais c'est justement cela: une condition humaine. Dans l'économie divine, les choses ne s'arrêtent pas là. La vie est un continuum, comprenant une situation actuelle et un dénouement qui viendra dans le Royaume. Le monde est présent, et le Royaume vient. Le renversement des lots est promis, pour le meilleur et pour le pire.

C'est assez différent de ce que nous pensons d'habitude. En effet, nous avons souvent l'impression de "posséder" Dieu par notre foi, de penser que sa puissance nous donne droit à une satisfaction immédiate de nos requêtes, à une protection absolue dans le danger, à une garantie contre les inconvénients de la vie. Dieu nous promet un accompagnement, même dans notre misère, un réconfort par sa présence certes, mais surtout par cette notion que, quel que soit notre lot actuel, notre avenir est avec lui, en lui, par lui.
Sommes-nous donc pauvres, démunis, rejetés par la société? Avons-nous faim et soif? Sommes-nous tristes ou victimes de l'injustice? Qu'à cela ne tienne! Nous appartenons à Dieu, et nous ne sommes jamais hors de la portée de son amour et de sa compassion. Que Dieu et sa volonté demeurent notre priorité. Le reste trouvera sa juste place.

Hugh JOHNSON
(surintendant du district d'Afrique du Nord)