LA FAUTE SOUS MER ET L’AIGUILLON DE LA MORT
Philippe Malidor
Céder à un mouvement de sympathie pour les victimes de catastrophes naturelles est une chose mais ne pas tenir compte des avertissements de spécialistes en est une autre, relève à juste titre Philippe Malidor, dans le cadre de la chronique Actu commune à quatre journaux (Christ Seul, ENroute, Horizons évangéliques et Pour la Vérité).
Ça commence toujours comme ça : d’abord, on nous annonce la catastrophe. Dans les chaumières, on s’émeut, on éprouve de la compassion et les associations rivalisent de vélocité pour faire sortir les chéquiers ou chauffer les cartes de paiement —quelques jours après, ce sera trop tard, on sera passé à Autre chose.
Autre chose, ce seront les autres actualités. Haïti sera chassé, par exemple, par les fanfaronnades de M. Balkany qui persiste à affirmer (au su de sa légitime épouse) qu’il a naguère consommé Brigitte Bardot, ou bien par le séisme au Chili, lequel aura été directement éclipsé par les inondations de la côte Atlantique française.
Autre chose, ce sont surtout, en interne à chacune de ces catastrophes, les règlements de compte. On les plaint, ces Haïtiens, mais leur pays est tellement corrompu que ce sont leurs mauvaises constructions qui sont davantage responsables de leur infortune que le tremblement de terre lui-même (beaucoup plus violent, le séisme chilien a fait énormément moins de victimes) ; et tout l’argent qu’on va leur envoyer a de fortes chances de finir comme d’habitude : dans des poches qui ne lui sont pas destinées.
Autre chose, c’est, pour la Vendée, les doutes qu’on émet sur la seule responsabilité d’une tempête exceptionnelle conjuguée à une marée exceptionnelle. Or, il arrive que les experts ne se trompent pas et l’un d’entre eux, Pascal Raison, avait signé dès 2007, un rapport signalant très clairement « la vulnérabilité du littoral vendéen aux submersions maritimes », nommant explicitement « l'estuaire du Lay sur les communes de La Faute-sur-Mer et de L'Aiguillon-sur-Mer, où la conjonction de deux phénomènes – la crue du Lay et la submersion marine –, pourrait avoir un impact très important sur les zones densifiées à l'arrière d'un réseau de digues vieillissant. »1
Sachant cela, de compatissant qu’on était, on se sent subitement un peu moins miséricordieux. On était étonné que des gens se retrouvassent noyés dans leur maison remplie d’eau jusqu’au plafond… jusqu’au moment où on découvre que ces habitations sont construites sous le niveau de la mer, derrière l’abri précaire de faibles digues. Pire encore, puisque le rapport le disait, on est atterré (si j’ose dire) du fait que l’évacuation de ces villages sous-marins n’ait pas été ordonnée puisque la tempête et la marée exceptionnelles étaient prévues à l’heure et même à la minute près.
Il y a un texte de l’Évangile qui est partiellement périmé : « Qui de vous peut, par ses inquiétudes, rallonger tant soit peu la durée de sa vie ? »2 Eh bien, aujourd'hui, nous, les nations techniciennes, nous le pouvons, partiellement. Nous savons largement soigner, voire prévenir, la plupart des maladies, et même prévoir le temps qu’il fera (même si, pour l’instant, nous n’avons guère la capacité d’agir directement sur le climat). Malgré ces formidables aptitudes, nous n’en faisons rien.
La « catastrophe nationale » de Vendée ne serait-elle pas la parabole de ce réchauffement planétaire dont certains n’ont cure et que les émules de M. Allègre vont jusqu’à récuser sommairement ?
La compassion a le beau rôle, quand les avertissements de mauvais augure ne paraissent pas sympathiques. Mais qui est le plus compatissant, entre le maire éploré qui a laissé construire des lotissements en zone submersible, et le géologue qui donnait la solution pour éviter le drame ?…
1 Le Monde du 2 mars 2010
2 Mat. 6.27