Le point avec Jean-Pierre Zurn *
Propos recueillis par François Roux, pasteur
Course d’obstacles
Les requérants d’asile arrivent souvent en Suisse avec l’aide de passeurs qui, outre le prix élevé de leurs services, leur prennent généralement leurs papiers. De la frontière, les fugitifs se rendent à des centres d’enregistrement (il y en a quatre en Suisse) où ils vivront environ dix jours sous un régime de semi-détention. Là, ils subiront les contrôles sanitaires, fouille des bagages et personnelle, première audition visant à établir leur identité, les raisons de l’absence de papiers, le trajet parcouru entre le pays qu’ils fuient et la Suisse et les motifs de leur demande d’asile ; d’autres contrôles comme la connaissance du dialecte de la prétendue région d’origine et de sa culture, peuvent avoir lieu durant ce séjour.
Conditions de vie difficiles
Du centre d’enregistrement, le requérant se rendra dans le canton auquel il a été attribué, où il sera d’abord accueilli en dortoir, avant de trouver une place dans un foyer. Le canton lui allouera une somme de CHF 451.- par mois, avec laquelle il devra subvenir à ses besoins autres que le logement, l’assurance-maladie et l’abonnement aux transports publics sur le territoire cantonal, ceux-ci lui étant fournis. Si une seconde audition, dont les résultats seront confrontés à ceux de la première, n’a pas déjà été effectuée, il y sera convoqué durant cette seconde période. Après trois mois, un requérant est autorisé à travailler, mais les emplois sont rares, le plus souvent à temps partiel et maigrement rémunérés. Un impôt prélevé à la source, l’assurance-maladie dont la charge lui incombe désormais et le remboursement partiel de l’assistance dont il a bénéficié jusqu’alors en diminuent l’attrait.
Souvent victimes d’ostracisme
Aux difficultés liées aux conditions de vie s’ajoutent celles causées par le manque de communication. Le temps des assistants sociaux, trop peu nombreux, est compté. Ils en sont donc réduits à traiter des dossiers plutôt qu’à rencontrer des humains avec l’attention qu’ils souhaiteraient. Plus grave, le fait d’être systématiquement assimilés à des trafiquants ou à des profiteurs incite les requérants au repli. Que certains se laissent entraîner à des commerces illicites ou viennent même dans ce but est un fait, mais cela ne représente de loin pas une généralité.
Fréquence des rejets
Le parcours décrit ci-dessus suppose que l’Office Fédéral des Migrations est entré en matière sur la demande d’asile. Or, dans de nombreux cas, l’autorité refuse actuellement d’entrer en matière (l’absence de papiers d’identité est une cause majeure de refus). Le candidat à l’asile dispose alors de cinq jours pour recourir contre cette décision (ce n’est guère facile lorsqu’on ne connaît pas la langue du pays et qu’on a aucune notion de droit) ; la Commission d’examen n’ayant elle-même qu’un délai de cinq jours, cela suppose une manière fort expéditive de statuer sur la question. Sitôt le refus de la Commission communiqué à l’intéressé, celui-ci est déclaré en séjour illégal et sommé de quitter le territoire : il est devenu un NEM (de Non Entrée en Matière). La décision fédérale doit être appliquée par l’autorité cantonale, mais celle-ci se trouve tiraillée entre la loyauté envers l’Office Fédéral des Migrations et l’obligation de respecter, selon la Constitution, la dignité due à tout être humain.
Précarité des déboutés
Beaucoup de NEM entrent dans la clandestinité et des disparités d’attitudes apparaissent entre cantons. Soleure, par exemple, leur attribue CHF 21.- par jour pour la nourriture, le logement, les vêtements et l’hygiène, ce qui est largement insuffisant. Dans d’autres cantons, comme par exemple Genève, si ces gens se présentent une
fois par semaine à l’Office de la Population, ils peuvent être logés en dortoir et recevoir un minimum en nature ainsi que des soins en cas de nécessité. Seule une petite part des NEM survivant à Genève bénéficie de cette possibilité. Combien y en a-t-il ? On ne peut pas recenser des clandestins ! Et dire qu’il y a un projet de loi qui stipule d’étendre la pratique actuellement en vigueur à l’égard des NEM à tous les requérants déboutés ! Il n’y aurait donc plus de délai de préparation au départ, ni d’admission provisoire pour ceux qui ne peuvent être reconnus comme réfugiés selon la Convention de Genève (dont les critères sont très limitatifs) mais qui ne peuvent toutefois être renvoyés en raison du danger quecela représente pour eux.
Hommes de foi contre le durcissement de la loi
Il y a eu des déclarations assez fortes d’Eglises chrétiennes (Catholique-Romaine, Réformée et Vieille-Catholique) et de Communautés Israélites contre le durcissement de l’attitude des autorités en matière de droit d’asile, mais ces textes sont assez peu défendus, ce qui donne à croire qu’ils ont été adoptés à la hâte et sous la pression des œuvres d’entraide. En dehors de celles-ci, il n’y a encore au sein des Eglises que relativement peu de personnes impliquées dans un ministère auprès des requérants d’asile. L’Agora, en tant qu’aumônerie, conçoit sa vocation comme celle d’un porte-parole des Eglises auprès et en faveur des candidats à l’asile et des réfugiés, et nous voulons que cette parole soit adossée à une réflexion théologique. En relisant des textes des années '80 et '90, on s’aperçoit que les milieux ecclésiaux préoccupés par la question se plaignaient déjà que l’on s’habituait aux situations d’injustice et au non-respect des droits humains ; cela n’a pas encore beaucoup changé.
La Suisse peut en faire plus
La capacité d’accueil d’un pays comme la Suisse est nettement supérieure à l’ouverture actuellement consentie. En 1998, 46 000 personnes ont demandé l’asile politique en Suisse. On aurait pu en accueillir plus du double, selon certains responsables de l’Office Fédéral des Réfugiés. L’année suivante, on a fait partir 48 000 personnes et, depuis, les chiffres ont diminué. Janvier 2005 a connu le chiffre le plus bas depuis vingt ans. Le plus grand nombre de demandeurs proviennent des pays de l’ex-Yougoslavie et de Turquie. Cela étonne, car la situation y apparaît comme à peu près normalisée et une bonne part de la main-d’œuvre immigrée venait de ces pays. La Turquie est presque en passe d’entrer dans l’Union Européenne, mais les autorités y sont extrêmement dures à l’égard des opposants, des Kurdes en particulier. Le nombre de requérants provenant de ces pays presque voisins dépasse de largement celui des Africains.
Le réfugié mal loti
Ce n’est pas par plaisir que des gens quittent leur pays, leur famille, leur entourage, leur climat, leur culture ; il y a à cela des raisons politiques, même si celles-ci ne sont pas reconnues comme telles au sens strict (la politique de la banque mondiale). D’autre part, ce n’est qu’une partie infime du nombre de réfugiés de par le monde qui vient présenter une demande dans des pays de l’hémisphère Nord. Pensons par exemple aux masses de personnes parquées dans des camps en Afrique. Ce n’est de loin pas toute la misère du monde qui se presse aux frontières de la Suisse !
* Jean-Pierre ZURN est pasteur de l’Eglise Protestante de Genève, aumônier à l’AGORA, l'Aumônerie genevoise œcuménique auprès des requérants d’asile