L'adhésion de la Turquie à l'Union Européenne
Samuel Lauber Pasteur
Le pasteur Claude Grunenwald s'est prononcé en faveur de l'intégration de la Turquie dans l'Union Européenne. Dans le N°9/mai 2005, le pasteur Grégoire Chahinian et le rédacteur avaient formulé leurs réserves à ce sujet. Ce mois-ci, le pasteur Samuel Lauber exprime à son tour le fond de sa pensée par des références d'ordre géographique, historique et littéraire. En Route donne ainsi la parole à toutes les sensibilités et invite chacun à retenir le meilleur de chaque intervention. JP.W
Excellent Théophile,
C’est avec intérêt que j’ai lu la réflexion du pasteur Claude Grunenwald, parue en avril dernier dans notre bulletin. Avec bon nombre de nos lecteurs, j’ai pris connaissance que son auteur approuvait en principe l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne. J’avoue mon étonnement, ainsi qu’une inquiétude certaine. Je ne partage pas les arguments avancés. L’auteur nous dit que Haran est une ville de la Turquie. C’est vrai que sur les cartes actuelles de géographie elle fait partie de ce pays. Mais bibliquement parlant, c’est une ville de Mésopotamie. Haran a été intégrée à l’empire ottoman et n’a pas été soustraite de la Turquie après 1918, comme par exemple le furent la Syrie, le Liban et la Palestine. Cette ville reste pour moi une ville mésopotamienne. Le mont Ararat est cité comme faisant partie de la Turquie. Il se trouve pourtant en Arménie. Certes, cette contrée a également été annexée par la Turquie (je cite de mémoire le Nouveau Dictionnaire Biblique – Vennes 1961).
L’auteur évoque les voyages missionnaires de l’apôtre Paul en Asie mineure qui, en ce temps-là, faisait partie de l’empire romain. Certes, les églises chrétiennes dans cette contrée ont été nombreuses – le NT en témoigne. Mais nous savons aussi qu’après l’an 612, l’Islam a été instauré dans ce pays ; hélas, des chrétiens se sont faits adhérents de Mohamed par convenance religieuse, par indifférence ou pour garder la vie. Nous savons que bien des croyants en Jésus-Christ ont payé de leur vie leur foi chrétienne tout au long des siècles du régime soit ottoman, soit turc.
Je ne puis suivre le raisonnement nous affirmant que ces lieux et ces faits historiques justifieraient l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne, laquelle constituerait une bénédiction pour l’Occident.
Dans son article, l’auteur oublie entre autres un fait historique qui vient d’être commémoré le 24 avril dernier. Il y a 90 ans a eu lieu le génocide arménien. La Turquie s’est efforcée d’exterminer les chrétiens arméniens. Nous savons qu’à partir de 1915, plus de 2 millions hommes, femmes et enfants ont péri sous les sévices des Turcs.
Nous n’avons pas à ignorer que déjà au XIXe siècle des massacres d’Arméniens ont eu lieu, sans parler de toutes les persécutions au cours des temps. De nombreuses personnalités sont préoccupées du fait que les autorités turques ne reconnaissent pas ces génocides comme tels. Le refus de reconnaître les faits pose problème sur le plan international.
Etant lecteur du bulletin Le Levant de l’ACO, j’ai lu avec émotion l’article du pasteur Reichert, directeur de l’ACO, qui nous informe des énormes difficultés que rencontrent les églises chrétiennes en Turquie. Cette réalité fait réfléchir. Elle montre que les Turcs ont une autre culture que nous Européens occidentaux. Leur mentalité n’est pas la nôtre. Ce ne sont pas seulement le Bosphore et les Dardanelles et la Mer Noire qui nous séparent de cet Etat. Nous devons être conscients d’une différence culturelle et d’une séparation religieuse fondamentales.
Certes, nous Européens, nous accueillons bien des travailleurs turcs et leurs familles. Ils sont travailleurs, prêts à faire le travail que nous, occidentaux, nous n’aimons guère faire. Je les ai observés sur un chantier et j’ai constaté leur dextérité, leur habileté et leur endurance. D’ailleurs, après 1945, et même pendant la guerre, nous avons été contents de ce que les Maghrébins soient venus en France. J’accepte pleinement ce fait et comprends que les adeptes de l’Islam se construisent des mosquées. Il me paraît indispensable de reconnaître ces faits dans un profond respect des personnes et des cultures, mais en déduire pour la Turquie une adhésion à l’Union Européenne, cela me dépasse à mon âge.
Jacques Ellul, théologien, juriste, historien et sociologue incomparable, a écrit une réflexion intitulée : « Islam et Judéo – Christianisme ? »*. Il a écrit ce livret peu avant sa mort, mais il a été édité en France seulement en 2004.
Je recommande cette lecture éclairante. L’auteur nous replace devant la personne du Christ Jésus dans toute sa dimension. Il relève la proclamation biblique et nous montre les divergences profondes, j’oserais même écrire, la différence totale et profonde entre l’Islam et le Christianisme christocentrique. Je suis conscient que le Dieu de la révélation a appelé Abraham d’au-delà du fleuve et cet homme a cru en Dieu. Le Christ Jésus a transformé Paul, l’apôtre. En toute objectivité, il nous faut analyser en profondeur les données et les situations que la Bible nous relate. L’Islam de tous les temps et de notre temps est par sa nature et son être conquérant, car il est convaincu que tous les humains doivent lui adhérer. Certes, tous ne sont pas des intégristes et des convertisseurs acharnés qui agissent par la force. Bien des responsables sont tolérants et bienveillants. Mais une élite s’est formée et poursuit une intolérance inquiétante qui nous effraye et déroute. La construction de mosquées sert en premier au culte musulman, mais chacune est aussi un signe de présence et de ce fait une propagande indéniable.
Je sais que trois des villes du Bas-Rhin, dont le nom commence par un B ont une forte population turque. Les habitants sont appelés à vivre une relation paisible. Il est excellent pour nous chrétiens de dialoguer, et de pratiquer la diaconie. Mais j’ose affirmer que nous, chrétiens nous qui nous nous ressourçons dans et par la Bible, nous devons affirmer notre foi, notre position, et souligner qu’Abraham est le père des croyants en Jésus Christ ; que le livre, la Bible, est pour nous parole vivante du Dieu de Jésus Christ. Elle n’est pas un codex en langue unique comme l’est le Coran. Pour nous, le monothéisme est le Dieu trinitaire, le Dieu de la révélation – et de ce fait il est différent d’Allah. Nous ne pouvons nous mettre sous un joug contraire à l’Evangile. Je ne puis donc pas suivre ni la réflexion ni l’argumentation de l’auteur quant à l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne.
Honoré Théophile, tu m’accordes ma franchise, elle est fraternelle, sincère et réfléchie.
*Jacques Ellul : Islam et Judéo-Christianisme, Presses Universitaire de France - 13 €