Enseignement

"L'humanité change... que devient le témoignage de l'Église?"
WE Inter-Églises 28-29/9/02 à Landersen

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Jacques BUCHHOLD, professeur de Nouveau Testament à la Faculté Libre de Théologie Évangélique de Vaux-sur-Seine.

L'Église de Jérusalem : l'héritage assumé, la nouveauté incarnée
Dans 1Tim 3.15, l'Église est comparée à une colonne qui rappelle la vérité, lieu où "elle est fermement établie" (c'est l'image de la colonne trajane, du nom de l'empereur romain TRAJAN, entourée d'une sorte de bande dessinée des victoires remportées par cet empereur). L'Église est la colonne qui lorsqu'on la voit devrait rappeler la vérité de Dieu, elle est aussi le lieu où siège cette vérité: comment l'Église s'adaptera-t-elle à la situation actuelle sans dénaturer le message qu'elle porte? L'exemple des Églises du Nouveau Testament peut aider à répondre à cette question.
1. L'étrange pratique de l'Église de Jérusalem selon Actes 2 et 4
Lorsque Jésus est monté au ciel, il nous a laissé fort peu d'indications précises sur la communauté créée et donc les disciples ­ tous juifs convertis à Jésus-Christ - ont spontanément vécu les réalités de la nouvelle alliance au sein de celles de l'ancienne. Ils se sont réunis pour prier, partager la cène et être enseignés par les apôtres, mais ils continuaient à aller au Temple de Jérusalem.
Certains ont rapproché ces pratiques de l'Église de Jérusalem de celles des esséniens (qui se trouvaient dans toute la Judée à cette époque, pas seulement à Qumram) : habitude de tirer au sort (successeur de Judas), de partager les biens, de mener une vie communautaire intense (repas communautaires). Par ailleurs, certains archéologues qui ont travaillé à Jérusalem pensent qu'il se pourrait que la communauté chrétienne de Jérusalem ait été installée dans le quartier essénien de la ville.
Mais les différences entre les pratiques esséniennes et les pratiques chrétiennes sont au moins tout aussi frappantes : partage des biens non obligatoire (cf. Ananias-Saphira), admission immédiate dans la communauté après confession de la foi, baptême unique (pas comme les ablutions esséniennes), piété peu soucieuse de pureté rituelle, etc.
Il y a donc des ressemblances frappantes, mais aussi des dissemblances évidentes. La toute jeune communauté de la nouvelle alliance à Jérusalem s'est, d'une certaine manière, "coulée" dans l'une des formes du judaïsme ancien, respectant ainsi le principe divin de l'incarnation, mais en rajoutant la nouveauté de Jésus-Christ
2. L'enjeu de l'unité (Ac 6)
Ce même principe d'incarnation est à l'oeuvre lorsque les apôtres décident de nommer "sept hommes réputés dignes de confiance, remplis du Saint-Esprit et de sagesse" (6.3) pour répondre aux tensions qui avaient surgi "entre les disciples juifs de culture grecque et ceux qui étaient nés en Palestine" à l'occasion des distributions quotidiennes de nourriture aux veuves de ces deux origines (6.1). Les apôtres ont donc nommé sept personnes d'origine grecque (elles portent toutes des noms grecs). L'Église s'est donc rendu compte très tôt de l'importance de cet enjeu de l'unité, qui devait s'incarner dans ce qui se faisait dans l'Église (cf. aussi l'épisode d'Ananias et Saphira, très proche de l'histoire d'Akan dans l'AT ­ on y retrouve la même exigence absolue de pureté et le souci de vérité, d'unité de l'Église).
3. Le passage du relais de l'autorité
Le passage du relais de l'autorité dans l'Église de Jérusalem entre Pierre et Jacques (Actes 12.17) illustre à nouveau ce principe de l'incarnation. Pierre sort de prison, dit de le faire savoir à Jacques et part : on assiste au passage d'une autorité "charismatique" à une autorité "dynastique" (Jacques était le frère de Jésus). Après la mort de Jacques en 62, Siméon lui succède (également de la famille de Jacques), puis une liste de successeurs, tous de la famille de Jacques. l'Esprit de Dieu semble incarner sa manière de faire dans les réalités humaines.
4. l'Église, le Temple et le réalisme politique
Le souci de Jacques de respecter la réalité de l'ancienne alliance s'est manifesté lorsque Paul est venu à Jérusalem pour y apporter la collecte patiemment recueillie dans les Églises pagano-chrétiennes d'Asie mineure, de Macédoine et de Grèce (Ac 24.17). L'apôtre, en effet, pour montrer qu'il demeurait un juif fidèle aux prescriptions de la Loi, a accepté, à la demande de Jacques, de participer à la cérémonie de purification au Temple de quatre chrétiens qui avaient fait un voeu: 21.23-24, 26. Jacques et Paul ont donc voulu prouver qu'ils respectaient l'AT, et nous?
5. Et nous?
L'identité évangélique française s'est forgée bien souvent "contre" (contre le catholicisme, ou au siècle dernier contre un protestantisme attiédi, contre le libéralisme, etc.). Pour de nombreux chrétiens évangéliques, la France est en fait une terre de mission qui n'a jamais connu l'Évangile! Mais l'histoire du christianisme français ne débute pas à la Réforme! (citons Blandine, mise à mort à Lyon en 177, Irénée, Anselme 1033-1109, qui a rédigé le célèbre Proslogion, Bernard de Clairvaux, Thomas d'Aquin, etc., ainsi que les innombrables abbayes, monastères, prieurés, qui ont couvert le territoire français au Moyen-Age.
La France n'est donc pas une terre de mission mais une terre de sécularisation.
Il y a un véritable enracinement de la foi dans l'histoire : une Église vivante est une Église qui a des racines ! Soyons fiers de nos racines (à l'image de l'exhortation de Paul d'être pleins d'orgueil dans le Seigneur, dans Romains 5. 11 ou 1 Co 1.31 par exemple).
Posons-nous une question: qui d'entre nous connaît réellement son histoire, l'histoire de son Église Évangélique Méthodiste? Pourquoi "évangélique"? Et qu'est-ce que le méthodisme? Que vous disent des noms tels que WESLEY, WHITEFIELD, BOOTH? 
Les Églises pauliniennes: crise au sein de l'alliance, les païens se convertissent!
1. Rappel des faits
Selon la chronologie de la vie de Paul, que l'on peut tenter de reconstituer à partir des données des Actes et des Galates, l'apôtre s'est converti vers 34. Vers la même époque en gros, l'Église d'Antioche a été créée, la première Église d'origine pagano-chrétienne, suite à l'annonce de l'Évangile par des chrétiens venus de Jérusalem. Vers 43-44, Barnabas cherche Paul et va à Antioche de Pisidie. Environ un an et demi plus tard, ils partent pour le premier voyage missionnaire et vont à Chypre (de là où vient Barnabas), puis en Asie Mineure et finalement rentrent à Antioche (Ac 13-14). En 48/49, ils montent à Jérusalem pour le premier "concile" de l'histoire de l'Église (ch. 15).
2. Un séisme théologique: les païens se tournent vers l'Évangile
L'entrée des païens dans le peuple de Dieu a provoqué une grande crise dans l'Église primitive. Après le retour de Paul et de Barnabas (Ac 14.27-28) à Antioche suite à leur tournée missionnaire à Chypre et en Galatie du Sud, Pierre revient les voir, mais il prend peur car il les voit manger avec les païens convertis. Barnabas prend alors le parti de Pierre et Paul se retrouve seul avec ces païens convertis. Par la suite, Paul apprend que d'anciens juifs sillonnent la Galatie en disant qu'il faut se faire circoncire pour atteindre la "perfection", prétendant qu'on ne peut être un bon chrétien qu'en étant d'abord un bon juif.
3. Un renouvellement théologique, une innovation "ecclésiologique".
Au coeur de la pensée judéo-chrétienne, on a l'affirmation que la vie chrétienne commence par la nouvelle naissance et continue par l'obéissance (c'est d'ailleurs ce que disait WESLEY).
Paul devait faire comprendre aux anciens juifs que le statut juridique d'un païen converti changeait à partir du moment où il recevait Jésus-Christ. Il parle donc d'une foi chrétienne, dans laquelle les oeuvres juives (par exemple la circoncision) ne servent plus à rien. Bien que la vérité fondamentale n'ait pas changé, la formulation s'est modifiée: l'entrée des païens dans l'Église a suscité un approfondissement théologique.
Ce renouvellement théologique s'est accompagné d'une incroyable innovation "ecclésiologique", qui a tendu à relativiser les réalités qui divisent les hommes. Car en Jésus-Christ, "il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni libre, il n'y a plus ni homme ni femme"; tous, en effet, sont un (Ga 3.28). Pour les Romains, les esclaves étaient des "choses", alors que Paul les traite en êtres humains responsables ; parmi les anciens de l'Église d'Antioche de Syrie, on trouve un noir (Niger) au même titre que quelqu'un qui a été élevé aux côtés d'Hérode Antipas; Paul donne une grande place aux femmes dans ses écrits, contrairement aux usages de l'époque, etc.
Paul est quelqu'un qui a voulu vivre la vérité de l'Évangile dans l'ouverture aux nouveautés.
4. Une époque de pluralisme et de communautarisme culturel
Le pluralisme de notre époque qui regroupe en un même lieu chrétiens catholiques, protestants ou orthodoxes, athées, musulmans, juifs, bouddhistes, adeptes de la spiritualité "new age", matérialistes, etc. ressemble beaucoup plus à ce que Paul a connu qu'à la situation de nos pays durant le Moyen ge. Paganisme, judaïsme, stoïcisme, épicurisme, occultisme, cultes à mystères, hédonisme et jeux du cirque se côtoyaient au premier siècle. Ne nous faudrait-il donc pas, nous aussi, avoir le courage de reformuler la vérité de l'Évangile pour notre temps? Luther (au XVIe siècle) était obnubilé par sa culpabilité, d'où l'importance de la justification pour lui, mais aujourd'hui, les gens ne sont-ils pas plus sensibles aux notions d'esclavage et de libération?
5. Et nous?
Aujourd'hui, on constate l'importance de l'amour dans l'Église, d'offrir à nos voisins de l'amour et de les accueillir, afin d'aider les gens à redécouvrir le sens de Dieu, tout en incarnant la nouveauté dans la vie de l'Église. Nous devons modifier nos formes pour nous adapter à nos contemporains.
La difficulté pour nous est de trouver un équilibre nouveauté ­ tradition, de vivre le thème de la nouveauté, de la réalité nouvelle du peuple de la nouvelle alliance, tout en étant conscients que privilégier la nouveauté au détriment de la tradition produit la superficialité.

L'Église au XXIe siècle: quelques enjeux stratégiques
Selon Rm 12.2, notre intelligence doit être transformée, renouvelée. Au travers du dynamisme de Paul, nous pouvons être amenés nous aussi à réfléchir, à approfondir notre pensée. Par exemple, quand il arrivait dans une ville, il allait d'abord dans les synagogues prêcher l'Évangile.
Quand en 57, il écrit son épître aux romains, sa réflexion a beaucoup mûri par rapport à son épître aux galates, écrite environ dix ans plus tôt (en 48). Par exemple, quand il parle de la circoncision, il a réalisé entre-temps qu'Abraham a été justifié en Gn 15, alors que la circoncision n'est apparue que plus tard (Gn 17). Ce qui fait que la justification précède la circoncision et donc il n'est pas nécessaire que les païens convertis se fassent circoncire.
Et nous, réfléchissons-nous à l'Évangile que nous prêchons, ou répétons-nous simplement ce que nous avons appris? Parler par exemple de repentance n'a plus aucune pertinence dans le monde d'aujourd'hui, mais il est important d'avoir une réponse pertinente à la question: "Qu'est-ce que l'homme?"
Consacrons-nous du temps à communiquer l'Évangile intelligemment, en répondant aux interrogations des gens?
Réflexion sur l'Église
On constate une évolution théologique chez Paul sur l'Église entre ses épîtres aux corinthiens et aux éphésiens: dans Cor et Rm, l'Église est vue comme le corps de Christ alors que dans Éph et Col, Christ est la tête de l'Église. Dans Cor et Rm, Paul développe l'image grecque du corps : tout chrétien a sa place dans ce corps. Alors que dans Éph et Col, l'Église et le chrétien forment un corps tous ensemble, il y a une sorte d'unité organique.
Ne devrions-nous pas aussi réfléchir à notre définition de l'Église? Réfléchissons-nous vraiment à ce qu'implique l'unité de l'Église, avec notre multitude de dénomination? Par exemple favoriser les relations entre Églises d'une même localité...
D'autre part, Paul réagit face à l'hérésie du protognosticisme au premier siècle en parlant du logos - cher aux stoïciens - mais pour dire que ce logos est devenu homme pour nous sauver. Dans beaucoup de domaines (l'homosexualité par ex.), nous nous satisfaisons de dire "C'est une hérésie! " sans réfléchir à pourquoi c'en est une. Nous sommes appelés à réfléchir à notre responsabilité en tant que chrétiens.
Dernier exemple: dans toutes les épîtres du NT adressées à des Églises, il n'y a aucune exhortation à évangéliser, alors que nous nous culpabilisons si souvent si nous n'avons amené personne à Christ la dernière année. Dans 1Cor 9.16, Paul dit: "Malheur à moi si je n'évangélise!", pas : "Malheur à vous".
L'évangélisation est un ministère réservé à certains, mais tout chrétien est appelé à incarner la nouveauté de l'Évangile, à être un témoin de cette Bonne Nouvelle là où il est, à répondre avec douceur aux interrogations des autres. Ceci entraîne une revalorisation des ministères, et encourage chacun à ne pas se culpabiliser, mais à être un témoin là où il est.
Priez et réfléchissez à votre manière de communiquer l'Évangile et de répondre aux questions de votre entourage.
Christian BURY (aidé pour les deux premières parties par un article paru dans l'Info-FEF 89, septembre 2001, p. 9-15).