Prédication de l'évêque

Cieux et terre se touchent

Patrick Streiff, évêque


« Oui, je vous le déclare, c’est la vérité : vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme ! » Jn 1.51


Voici la prédication que l’évêque a apportée lors du culte d’ordination le 19 juin dernier à Zürich en clôture à la Conférence Annuelle 2011 de l’Eglise Evangélique Méthodiste Suisse /France / Afrique du Nord (16-19 juin 2011). Autres textes de référence Gn 28.10-22 ; Mt 6.19-21

Où le ciel et la terre se touchent-ils ? La célèbre fresque du cycle de la Création de la Chapelle Sixtine montre effectivement la main de Dieu tendue en direction de la main de l’être humain. Les deux doigts se touchent presque, mais pas tout à fait.

Où le ciel et la terre se touchent-ils ? Nous avons entendu deux lectures bibliques : celle du rêve de Jacob à Béthel, où les anges montent et descendent une échelle qui relie Jacob avec le ciel ; et celle tirée du Sermon sur la montagne au sujet des trésors que nous devons amasser au ciel et non sur la terre. Qu’est-ce que tout cela a à voir avec l’objectif fondamental de la Conférence annuelle et le thème prioritaire d’hier samedi : « amener des hommes et de femmes à devenir des disciples du Christ » ?

Le rêve de Jacob

Permettez-moi de commencer par une observation au sujet du rêve de Jacob. Ce rêve fait partie de l’histoire de sa vie. C’est une histoire intense et pleine de tensions. Jacob est en fuite. Il a en quelque sorte choisi la fuite en avant pour ne pas avoir à revoir son frère. Il fuit vers des parents, mais il doit tout laisser derrière lui, le milieu familier et plus particulièrement l’étroite relation avec sa mère. Pour lui, le soleil se couche – au propre comme au figuré. Dans cette phase très angoissante et incertaine, il rêve d’anges qui établissent un lien entre sa situation sur terre et le ciel. Grâce aux anges, le ciel touche la terre. Et Jacob entend la voix de Dieu qui lui promet que Dieu sera auprès de lui, qu’il le ramènera à sa terre natale et fera de lui le père d’un peuple innombrable. À cet instant, cieux et terre se sont touchés et un effroi sacré réveille Jacob. Depuis ce rêve, le monde a changé pour lui.

Chant de la CA 2011

Cieux et terre se touchent

et la paix fleurit parmi nous,

Quand des humains renoncent à leur suffisance

pour prendre un chemin tout neuf,

Quand des humains se donnent,

se souviennent de l’amour

et prennent un chemin tout neuf,

Quand des cœurs humains s’aiment,

sans peur et sans haine.


Non pas qu’il soit délivré de toutes les difficultés. Bien au contraire, car il sera exploité et trompé par son oncle. La vie ne devient pas plus simple pour Jacob. Ce n’est pas le rêve d’une vie heureuse. Et pourtant, le monde a changé parce que maintenant, pour Jacob, Dieu est présent dans ce monde.

Dieu côtoie nos abîmes

Le récit biblique révèle une vérité profonde : Dieu devient proche des êtres humains dans les abîmes de la vie. Le ciel et la terre ne se touchent pas là où des humains parviennent à atteindre des sommets. L’histoire de la Tour de Babel constitue à cet égard un avertissement exemplaire contre la présomption de ceux qui s’illusionnent en pensant que tout est faisable. Le ciel et la terre se touchent – Dieu merci – au milieu des contraintes et des bassesses de la vie. Dieu rencontre Jacob lorsqu’il est en fuite ; il rencontre Moïse dans le désert, après qu’il a tué un surveillant égyptien ; Jonas dans le ventre du poisson, après qu’il a été jeté à la mer ; Paul, lorsqu’il est littéralement à terre, jeté bas par son cheval. C’est dans les tréfonds de la vie que Dieu devient proche des humains.

La grâce de la résilience

Jörg Rieger, un méthodiste allemand qui enseigne maintenant aux États-Unis, nomme dans son nouvel ouvrage « Grace under Pressure » (la grâce sous pression) ces situations où l’on touche le fond comme étant ce lieu qui a été et est encore familier aux méthodistes, là où ils sont restés un mouvement de renouvellement. Il cite des exemples du travail de l’Église en Afrique et en Asie ou parmi les pauvres des grandes villes d’Amérique du Nord. La force transformatrice de la grâce se manifeste chez les personnes qui vivent une existence extrêmement difficile. Elle se manifeste chez des personnes vivant des situations limites et entraîne des élans de renouveau. Les autres personnes, celles qui vont bien et qui s’assurent de tous côtés, souhaitent s’épargner de pareils risques et de telles dépendances. C’est pourquoi les êtres humains doivent d’abord prendre conscience eux-mêmes de leur détresse et tenir le coup, pour pouvoir apprendre à mettre leur espérance en Dieu. Vous qui recevez aujourd’hui un mandat pastoral dans l’Église ou qui êtes ordonnés, je vous encourage à apprendre à mettre votre espérance en Dieu quand vous atteignez vos limites.

L’heure de sortir de nos zones de confort ?

Dans les discussions relatives à la diminution des effectifs de membres dans notre Eglise et à la stratégie, on a souvent mentionné que cela exerçait une pression et que la croissance n’est pas faisable. Oui, elle n’est pas faisable. Nous l’avons toujours souligné. L’objectif fondamental que nous nous sommes fixé en tant qu'Église, pose des questions profondément spirituelles. N’avons-nous pas, en tant qu’individus et en tant qu'Église, trop passé notre existence chrétienne dans les zones confortables d’une vie régulière et bien sécurisée ? Avons-nous perdu l’expérience d’être touchés par la grâce de Dieu au cœur de la détresse ?

Cieux et terre se touchent en Jésus

Où le ciel et la terre se touchent-ils ? Au début de l’évangile de Jean, Jésus revient au rêve de Jacob et dit, faisant allusion à son propre chemin : « En vérité, en vérité, je vous le dis : vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme. » (Jn 1.51) Le ciel et la terre se touchent dans la vie de Jésus. Son parcours l’a mené tout particulièrement vers les nécessiteux. Il a bien sûr aussi recherché le contact avec les décideurs de son peuple, il s’est mis à table avec eux, mais il a vu que sa mission consistait à annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres, proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté. (Lc 4.18). Le ciel et la terre se sont touchés sur le chemin de vie de Jésus.

Oser une vie de disciple


Dans le Sermon sur la montagne, Jésus appelle par conséquent ses disciples à amasser des trésors dans le ciel et non sur la terre. Nous arrivons ainsi à la deuxième lecture. Wesley a souvent fait référence à ce texte. Non parce qu’il aurait eu tendance à fuir le monde. Bien au contraire. Il a relié l’accumulation de trésors dans le ciel aux « œuvres de la miséricorde », c’est-à-dire à l’action de faire du bien à des personnes dans le besoin. Les méthodistes de Suisse et de France accumulent-ils vraiment des trésors dans le ciel ? Dans l’affirmative, les dons à Connexio, notre réseau pour la mission et la diaconie, cesseront au deuxième semestre de reculer pour au contraire recommencer à croître – et un alléluia reconnaissant parviendra d’Amérique latine, d’Afrique, du Cambodge, d’Europe centrale et des Balkans au secrétariat. Dans l’affirmative, les églises locales pourront rapporter que l’Évangile a touché de nouvelles personnes et a transformé leurs vies, qu’elles sont devenues amies et amis de l’église ou même qu’elles ont prononcé les vœux du baptême et qu’elles se sont fait admettre dans l’alliance de la communauté. Dans l’affirmative, des méthodistes ont renoncé à bien des choses agréables et ont osé s’engager dans des services et des rencontres présentant des risques et le rayonnement de leur église s’est accru. Dans l’affirmative, des hommes et des femmes se laisseront appeler, aussi à l’avenir, à un ministère pastoral ordonné pour contribuer à bâtir l’Église et la guider dans sa mission. Dans l’affirmative… Oui, si vous êtes prêts à accumuler des trésors dans le ciel, comme Jésus a encouragé ses disciples à le faire.

Alors cieux et terre se touchent

Où le ciel et la terre se touchent-ils ? De la manière la plus visible en Jésus, le Fils de l’homme et Fils de Dieu. Et par conséquent aussi partout où des femmes et des hommes cherchent la communion avec lui et osent une vie de disciple avec lui. La vie nouvelle du disciple est thématisée par les trois premiers couplets du cantique de notre Conférence. Le premier couplet fait allusion à la conversion : Quand des humains renoncent à leur suffisance pour prendre un chemin tout neuf, cieux et terre se touchent et la paix fleurit parmi nous. Le deuxième couplet fait allusion à la foi active dans l’amour : Quand des humains se donnent, se souviennent de l’amour et prennent un chemin tout neuf, cieux et terre se touchent et la paix fleurit parmi nous. Le troisième couplet fait allusion au chemin que nous parcourons en commun : Quand des cœurs humains s’aiment, sans peur et sans haine, cieux et terre se touchent et la paix fleurit parmi nous.

Ainsi, accumulez des trésors dans le ciel en vivant sur terre comme disciples de Jésus Christ. Amen