Les Évangéliques : présent et devenir

Les Evangéliques et les défis de l'heure

Stéphane Lauzet, secrétaire général de l'Alliance Evangélique Française répond à nos questions

interview réalisée par jp.w


Malmenés par certains media (le Nouvel Observateur par exemple) et encensés par d'autres (Réforme), les évangéliques cherchent leur voie au coeur de ce pays où plane l'ombre d'un laïcisme virulent. Qui de mieux sinon le pasteur Stéphane Lauzet, Secrétaire général de l'Alliance Evangélique Française (AEF) pour nous en parler en ce mois où se multiplient les rencontres entre croyants et communautés de tous bords (Dans le prochain numéro d'EN ROUTE, la seconde partie de l'interview consacrée au positionnement des évangéliques face à la montée du laïcisme pur et dur comme face à la question de l'entrée de la Turquie dans l'UE).
Le PEF
En Route (ER) : On connaît le PAF, le paysage audio-visuel français ? Il existe aussi le PEF, le paysage évangélique français. Comment se présente le monde évangélique français en 2004/2005 ? De par tes fonctions de Secrétaire général de l'AEF, tu es bien placé pour en parler.
Stéphane Lauzet (SL) : Je crois que le paysage protestant évangélique français (PPEF) se présente toujours sous une couleur dynamique, mais le dynamisme dont il fait preuve mérite d'être analysé un peu plus finement : on se rendra compte alors que ce dynamisme n'est pas forcément synonyme de croissance. Il y a plus d'églises évangéliques mais y-a-t-il plus de chrétiens ? Avons nous réellement une influence sur la société ? Je relève cependant quatre points qui me paraissent significatifs. D'abord, on a beaucoup parlé en 2004 des évangéliques , mais pas toujours en bien. Ils ont été confrontés, peut-être pour la première fois, sinon à de l'opposition frontale, en tout cas à une succession de mauvaises informations, à des présentations tendancieuses - l'article du Nouvel Observateur, dont tout le monde a entendu parler en est la parfaite illustration -. Le regard de nos media sur la situation nord-américaine, la foi affichée de Georges W. Bush ont provoqué un double phénomène : la découverte des évangéliques par les médias et dans le même mouvement le parasitage de notre image de chrétiens évangéliques français.

Des chiffres

Depuis 1970, 1100 églises locales supplémentaires ont été implantées en France métropolitaine et dans les DOM.Actuellement, leur nombre s'élève à 2014, dont 1852 en métropole.(Annuaire Evangélique 2005)

Le deuxième élément à souligner, c'est la volonté de plus en plus marquée de la part des évangéliques d'être reconnus. Cette soif de visibilité les amène quelquefois à manifester ou à prendre des positions un peu rapides, à envoyer des communiqués de presse un peu à tort et à travers.
Troisièmement, je constate que les évangéliques commencent à subir ici ou là quelques petites tracasseries administratives, sous couvert de la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat. Rien de bien méchant mais il faut être conscient que s'amorce un mouvement qui n'a pour seul objectif que de cantonner la foi et son expression dans la sphère du privé. Il faut être vigilant.
Quatrième remarque que je ferai sur le monde évangélique à l'heure actuelle : je note, avec satisfaction, les efforts qu'il fait pour casser cette impression d'éparpillement qu'il donne et pour tenter d'être plus unis et de renforcer ses liens. Le CNEF (voir encart), à ce titre, mérite tous nos soins, car c'est la première instance qui regroupe l'ensemble du monde évangélique. Chacun de ses participants accepte de s'attacher à l'essentiel, au coeur de la foi, aux réalités centrales. Le CNEF a besoin encore de temps pour prendre sa pleine mesure mais il est riche de promesses.


Le CNEF

CNEF : Conseil national des évangéliques en France. Il a été créé au cours d'une série de réunions qui ont eu lieu entre 2001 et 2003. S'y retrouvent l'AEF, la FEF, les ADD, les Eglises évangéliques membres de la Fédération protestante de France, la mouvance charismatique et pentecôtiste. Le CNEF se présente comme « une plate-forme en vue de renforcer les liens et la visibilité du protestantisme évangélique français, dans le respect de ses diversités ».(d'après Réforme)

Unité sur l'essentiel loin des extrêmes
ER : Mais comment parvenir à ce recentrage sur une ligne modérée et consensuelle, quand, aux frontières, d'un côté le fondamentalisme frise l'intégrisme et de l'autre le charismatisme l'illuminisme ?
SL : Les termes de la question montrent la difficulté de la tâche. Des pas significatifs ont été franchis, je fais référence aux demandes de pardon qui se sont exprimées; je fais aussi référence au fait que des gens qui ne se côtoyaient pas, maintenant acceptent de se voir régulièrement, de parler ensemble, de prier ensemble... Il y a encore beaucoup de travail mais de grands pas ont déjà été faits. Les coeurs des leaders ont été touchés, maintenant, il faut qu'à la base les choses se transmettent mieux et là il y a encore du travail. Les chrétiens de dénominations différentes ont donc forcément besoin de faire un travail de connaissance, de reconnaissance et puis de remise en cause de chacun. Qu'est-ce qui fait l'essentiel de ma foi ? Qu'est-ce qui est de l'ordre de la culture d'église, mais qui n'est pourtant pas l'essentiel de la foi ? Ces questions sont importantes à se poser et la façon d'y répondre aura une incidence sur la qualité des relations.
Les spécificités de l'approche évangélique
ER : Justement, l'essentiel peut-il se traduire par les quatre points avancés souvent par les sociologues pour décrire le mouvement évangélique, la conversion, le biblicisme, le militantisme, le crucicentrisme ?
SL : Oui, il me semble qu'on a là une bonne définition de ce qu'est l'évangélique. Cette définition mérite d'être quelque peu affinée et dans ce sens, quand le CNEF se donne comme déclaration de foi la déclaration de foi de l'Alliance, on a là quelque chose qui permet aussi de dire un peu plus que ces quatre points et permet de balayer ce que j'appellerai les fondamentaux de la foi chrétienne et de pouvoir manifester un accord sur ces points. Le problème ce n'est pas tant ce que les gens croient ou ne croient pas, mais plutôt la manière dont ils vivent leur piété. C'est là où l'on va avoir des difficultés : vous pouvez être tout à fait en très bonne relation avec un chrétien ou un pasteur d'une obédience complètement différente de la vôtre, mais dès que vous êtes avec lui dans son lieu de culte, ou réciproquement, les choses peuvent être un peu plus difficiles.
La question des limites
ER : Est-ce qu'à l'Alliance Evangélique on s'interroge sur la question des limites et des frontières : qu'est-ce qui est protestant évangélique et qu'est-ce qui ne l'est pas ? Je pense qu'il y a un débat au sein du protestantisme.
SL : La question est en effet délicate mais il me semble qu'un homme comme Stott, dans l'ouvrage édité par la Ligue, « La foi évangélique, un défi pour l'unité » nous aide à y voir clair. Pour lui, la foi évangélique n'est pas une innovation récente mais, en citant Luther, « rien d'autre que ce que les Pères de l'Eglise, les apôtres et Christ notre sauveur lui même ont enseigné ».Il affirme que c'est « le courant principal du Christianisme, avec des chrétiens qui n'ont aucune peine à réciter le symbole des apôtres et celui de Nicée sans aucune réserve mentale ». Je vous renvoie aussi à ce que dit Sébastien Fath, avec les quatre points qui caractérisent l'évangélique. 
Pour nous et dans la suite de ce que je viens de dire, quand quelqu'un devient membre de l'Alliance Evangélique, on s'attache à être au clair sur sa déclaration de foi ou plus exactement on vérifie s'il est en accord avec la déclaration de foi de l'Alliance Evangélique. On s'interroge aussi sur sa pratique dans les relations avec les autres communautés. Comment la collaboration se vit-elle avec les autres communautés protestantes sur le terrain, comment est-il perçu, comment lui-même perçoit-il les autres ? On voit vite si la personne, qui peut être au demeurant un très bon évangélique est quelqu'un d'ouvert ou s'il vit sur un repli.

Le point de vue d'un sociologue

Les évangéliques insistent traditionnellement surtout sur 4 points :« 1. La conversion, c'est-à-dire le changement radical de vie suite à l'expérience religieuse, en l'occurrence, la rencontre avec le Christ.

2. Le biblicisme, la centralité de la Bible comprise non seulement comme contenant la Parole de Dieu, mais comme étant aussi véritablement cette Parole, parfaitement normative dans tous les domaines de la vie.

3. Le militantisme, qui incite le chrétien converti à traduire son expérience par un engagement, un témoignage qui implique, à mon sens, assez nettement une « Eglise de professants », dans laquelle on entre suite à la profession personnelle de sa foi.

4. Le crucicentrisme, dont parle le théologien anglican évangélique John Stott. Cette centralité de la croix invite à lire l'événement de la croix comme le point crucial de l'histoire humaine, le salut ne passant que par la croix. C'est un thème en principe très rémanent dans les prédications évangéliques. »

Sébastien Fath, sociologue (in religioscope.com/info/articles/005_evangeliques_fr.htm)

Au-delà de tout clivage

ER : Traditionnellement, l'Alliance Evangélique fait preuve d'ouverture et favorise le lien entre les croyants; selon la définition que donne le pasteur J.A. de Clermont, président de la Fédération Protestante de France devant les évêques de Lourdes, le terme d'évangéliques est à prendre au sens générique, général, généreux et génial : « sont évangéliques, ceux qui placent au cur de leur foi le message évangélique et ce qui en fait le noyau central, la passion et la résurrection du Christ ». A ce compte, même des catholiques peuvent se dire évangéliques ? Cela heurte?

SL : Mais bien évidemment, au sein de toutes les Eglises trinitaires, il y a des évangéliques. Mais une telle définition pose plus de problèmes qu'elle n'en résout, car il modifie le sens de l'appellation et en restreint singulièrement la portée. L'usage de ce vocable est très spécifique, et Christophe Sinclair, dans l'ouvrage qu'il a dirigé aux Presses Universitaires de Strasbourg, « Actualité des protestantismes » le montre bien .Au fil des siècles, la notion a évolué mais Sinclair note qu'« aujourd'hui, une partie des Eglises issues de la Réforme s'est approprié ce terme pour se désigner et pour signifier sa volonté d'une définition relativement précise de la foi, de la pratique et de l'identité chrétiennes dans le sens d'un protestantisme orthodoxe, piétiste et congrégationaliste » Il faut faire avec, tout en se réjouissant que la fidélité ne soit pas l'apanage d'une dénomination ou d'une frange du christianisme.

ER : Il n'y a pas d'exclusivisme.

SL : Il n'y a pas d'exclusivité. Cela étant dit, il y a quand même un cadre à mettre. La question est très délicate, et pour reprendre la formulation du président de la FPF, remplaçons le mot d'évangélique par le mot de protestant. Pourrait-on dire la même chose ?

ER : Un catholique peut-il être un protestant ?

SL : Voilà,La Semaine Universelle de Prière

ER : Oui, mais pas nécessairement ! L'Alliance Evangélique, réseau très dense s'étendant à travers le monde, fait la promotion de la prière entre Eglises, entre croyants à l'échelle locale, en janvier toutes les années depuis 1846. Parle-nous de cette entreprise de foi et de la forme que cette Semaine Universelle de prière prend cette année ?

SL : Effectivement, cette semaine de prière a été déclarée en 1846. La réalité, c'est que la première a commencé en janvier 1847 et, sauf erreur de ma part, elle n'a jamais été interrompue. Elle rassemble un peu partout des chrétiens pendant une semaine, autour d'un même thème avec cette idée par derrière que si les chrétiens prient ensemble il y a beaucoup de choses qui peuvent se passer par après. Cette Semaine n'est pas toujours suivie de façon identique selon les pays, selon la géographie, mais elle reste quand même un élément très fort et très structurant de l'Alliance Evangélique en Europe. Pendant une semaine, des millions de chrétiens prient ensemble et se laissent guider par une même thématique. C'est le Notre Père qui a été retenu cette année et l'Alliance Evangélique Norvégienne a préparé la première mouture reprise par un comité français. Je suis reconnaissant en tout cas de cette thématique retenue, car on est là avec un texte fondamental, une parole du Seigneur sur la prière Ce n'est pas mauvais de se remettre tout ça en mémoire.Ceci dit, la nouveauté de cette année mérite d'être saluée. Le livret est diffusé en Suisse Romande et au Luxembourg. C'est la première fois.

ER : C'est la francophonie qui s'associe...

SL : On commence et cela ne se fait pas sans difficultés techniques, mais c'est réjouissant. Cette année, il semble que les livrets ont été demandés plus tôt, alors même qu'ils sont sortis plus tard . Pratiquement les 25000 exemplaires sont épuisés mais il est toujours possible d'aller sur le site Internet pour avoir les textes (www.alliance-evangelique.org)