Droit de citer

Cet incroyable besoin de croire, Julia Kristeva, Bayard, 2007, 18 € Recension du livre par GEF

Chez tout homme, il y a cette quête de l'amour total. L'Évangile relance indéfiniment la pensée et permet de dépasser toutes nos misères. Un livre à découvrir !

Que fait le lecteur « chrétien » quand, par égarement, il effleure un titre venu de nulle part, étranger à la littérature pieuse et édifiante dont il se conforte, généralement écrite en patois de Canaan ?

L’écarte-t-il d’un revers de la main, à jamais prémuni contre tout questionnement, méfiant par principe à toute analyse de la foi qui ne soit pas patentée, ou bien, s’avisant qu’après tout il est libre, et que sa foi, avant tout, est éveil, intelligence éclairée et renouvelée, commence-t-il à lire, fût-ce crayon en main ?

Alors, d’un livre comme celui-ci, il peut comprendre.

Comprendre que l’approche agnostique peut nous apporter beaucoup, par ses interprétations de la foi, qui nous obligent à les tester, à débattre, cette fois Bible en main, mais sans la prestance de celui qui harangue parce qu’il sait, lui.

Comprendre que, probablement, la foi se greffe sur ce profond besoin d’un Père aimant que, même une psychanalyste freudienne comme Kristeva, place en deçà, plus profond, que la fameuse théorie – souvent caricaturée – du Père œdipien (qui, lui, nous fait sortir de la fusion imaginaire originelle, accéder à l’ordre du symbolique, du langage), plaçant ainsi la quête d’un amour total mais non fusionnel à la racine de notre être.

Comprendre que, même d’un point de vue athée, l’Évangile dispose d’un pouvoir d’élévation culturelle, en tant qu’il nous exhorte à transformer, inlassablement, nos vécus affectifs, des plus libidinaux jusqu’aux plus exaltés, en langages divers, par la sublimation – qui est moins édulcoration moralisante de nos pulsions que réélaboration, relance indéfinie de la pensée, dépassement de toutes les stagnations que nos misères et nos passions entretiennent, faisant de nous des paralytiques de l’âme.

Comprendre enfin que bien plus encore que tout humanisme (non, ce n’est pas un gros mot, comme se plaisent à le propager certains, arrimés à leurs dogmes), l’Évangile accomplit un travail de singularisation inégalé. Singularisation, c’est-à-dire non pas simple individualisation de chacun comme particulier qui pense sa différence suffisamment établie par ses performances de consommation, mais développement en profondeur et en finesse de notre subjectivité comme étant ouverte sur l’universel, comme ayant besoin de l’autre, comme désirant se tourner vers le prochain tout en sachant qu’elle ne peut le captiver, encore moins l’idolâtrer, mais le rencontrer mieux dans la perspective de la Grâce…

Quel intérêt de découvrir cela alors qu’on pense déjà l’avoir, le savoir ?

L’intérêt de revivre indéfiniment cet émerveillement : notre foi résiste à l’analyse, à la critique, bien plus, elle en sort purifiée, rajeunie, avide de débats (qui ne sont pas les vaines discussions que d’aucuns invoquent pour s’en protéger).

Surtout quand force nous est de constater que l’auteur de ce livre connaît admirablement… la Parole – puissance de renouveau dont nous ne sommes pas propriétaires.

EXTRAIT

« En détaillant ainsi les fondations de l’individuation, l’écoute analytique ne prétend pas mettre à plat la complexité des expériences religieuses. Elle se contente d’ouvrir des perspectives d’observations et de théorisations qui, en permettant une compréhension plus complexe de l’appareil psychique, révèlent combien le besoin de croire est constitutif du sujet parlant, 'avant' toute construction religieuse à proprement parler, et bien sûr à l’intérieur de la sécularisation elle-même. Un 'chantier' à peine esquissé, et dont il nous revient de continuer l’édification. Car je suis persuadée qu’en prenant au sérieux ce besoin de croire préreligieux, nous pourrions mieux affronter non seulement les dérives intégristes des religions dans le passé et jusqu’à aujourd’hui, mais aussi bien des impasses des sociétés sécularisées. Notamment l’incapacité de ces dernières à instaurer une autorité, laissant, de ce fait, la place libre à la violence d’un côté, à l’automatisation de l’espèce de l’autre. »

Page 39 - Editeur Bayard - date d’édition : 2007 -