Spécial méthodisme

Le monde manque cruellement de vrais témoins


Point n’est besoin de présenter le pasteur Éric Denimal connu pour ses ouvrages de vulgarisation, dont « La Bible pour les Nuls », lu par plus de 100 000 personnes. Dans la même veine, il sort ces jours-ci « Le protestantisme pour les Nuls » chez le même éditeur First Éditions. Un chapitre y sera consacré au méthodisme. Ici, en exclusivité pour les lecteurs d’En route, il revient sur l’héritage spirituel du méthodisme et plaide pour que se lève à l’instar de John Wesley une génération de chrétiens engagés et conséquents qui rendent compte ici et maintenant de l’efficacité de l’Évangile en paroles et en actes.

Éric Denimal, auteur

Cohérence entre foi et conduite

Ce qui peut changer le monde durablement, ce sont des chrétiens qui refusent d’être spectateurs de l’Histoire s’écoulant sous leurs yeux, et qui décident d’entrer dans cette Histoire en en devenant acteurs. La plupart du temps, personne d’authentique ne prémédite de devenir un homme (ou une femme) providentiel ; on s’engage simplement et les circonstances font le reste… Avec des coups de pouce venant d’en haut.

John Wesley est sorti de l’anonymat à partir du moment où il a mis en cohérence sa foi, son sens du devoir et ses actions ; cette pertinence qui devrait être légitime et évidente chez tout témoin du Christ demeure finalement assez rare puisque les « Wesley » manquent cruellement aujourd’hui. Un autre élément extérieur est déterminant pour faire d’un homme un grand homme : le temps dans lequel il décide de vivre ces cohérences.

Histoire personnelle et histoire générale

Faut-il le rappeler ? Wesley a œuvré dans un temps de crise exceptionnel et critique, et c’est en pareille situation que les destins se jouent, que les personnalités émergent et que, hélas, les lâchetés se multiplient, les fatalismes tuent. Or, ce sont les réactions face au quotidien qui changent assez les histoires personnelles pour bousculer le cours de l’Histoire générale.

Le père du méthodisme – qui n’est qu’une expression vivante de la foi réelle – a grandi dans une Angleterre où le seuil de pauvreté est effrayant et affolant. Les riches sont alors de plus en plus riches, confisquant sans hésitation et avec l’aide de l’État, les terres agricoles aux pauvres. Le gouvernement, inconstant et donnant d’une main ce qu’il prend de l’autre, tente alors de rééquilibrer les inégalités en accordant des prestations sociales telles que beaucoup décident d’en profiter. Ainsi, les familles nombreuses reçoivent des subsides, ce qui entraîne une hausse des natalités que les familles ont du mal, malgré tout, à supporter. Et les caisses du Royaume se vident.

Pour appesantir cette situation déjà précaire, une succession d’intempéries et de mauvaises saisons déséquilibrent les finances fragilisées des plus démunis, et rendent difficiles les conditions de vie de tous. Les populations rurales désertent les campagnes pour grossir des villes mal adaptées à ce surplus de familles pauvres. Le nombre de vagabonds explose. L’avenir est incertain pour beaucoup…

Dans ce contexte, la désespérance est telle que le besoin d’un retour à Dieu s’impose. C’est un phénomène souvent observé : dans les temps de malheur, les églises se remplissent et dans les périodes d’abondance, elles se vident.

Analyses et réactions

John et Charles Wesley vont veiller à vivre, dans ce monde à la dérive, une plus grande dévotion personnelle à l’égard du Dieu vénéré dans la famille. Leur sentiment religieux les conduit à une recherche scrupuleuse et honnête de spiritualité, loin d’un formalisme devenu stérile. Le méthodisme peut surgir… Et il va pouvoir restaurer et vivifier une église enlisée, une population fatiguée, un royaume à l’agonie.

On peut, bien sûr, analyser et commenter les circonstances d’hier et d’avant-hier pour saluer le courage, l’abnégation et la piété des frères Wesley. Mais le plus intéressant et le plus utile est de constater qu’il y a bien des similitudes avec leur époque et celle que nous traversons ici et maintenant. Oserons-nous mettre nos orgueils en sourdine et reconnaître que nous sommes dans une crise qui ressemble fort à celle du XVIIIe siècle, que la désespérance de nos contemporains est aussi dramatique qu’au temps des enclosures anglaises, que la pauvreté jette aujourd’hui dans la rue trop de gens, que le moral de nos contemporains est au plus bas… On en arrive à espérer un homme (ou une femme) providentiel, mais on est aussi tellement blasé par les discours mensongers et les promesses chimériques et insoutenables que les attentes deviennent insensées. Or, le besoin évident de changements offre des opportunités redoutables aux faux messies et aux régimes totalitaires qui, tapis dans l’ombre de nos malheurs, sont prêts à profiter de nos incohérences et de nos faiblesses coupables pour imposer une ligne despotique perçue comme salvatrice.

Ne pas se tromper dans nos attentes

Et donc, il nous faut de nouveaux Wesley – autrement dit de vrais chrétiens audacieux – qui osent redire le poids et l’efficacité de l’Évangile, qui redonnent le sens du Dieu à retrouver, qui acceptent les sobriquets pour défendre le message du Christ et qui plaident pour des libertés individuelles intelligentes. Au risque de bousculer les églises trop bien installées et qui se sont figées dans des habitudes devenues des traditions inamovibles et mortifères. Car si nous attendons des solutions des institutions religieuses sclérosées, soucieuses de leur image et fières d’une représentativité relative, nous ne pourrons voir évoluer les choses. Et si nous espérons des audaces indispensables venant des politiques qui sont souvent responsables des situations dans lesquelles nous sombrons, nous oublions que le salut vient d’ailleurs.

Depuis un siècle, plusieurs idéologies ont été imposées au nom de l’égalité, de la laïcité, de la solidarité, de la démocratie, de la République… Et les faillites ont toujours été au rendez-vous. Ces idolâtries modernes, même si elles sont nées au travers d’esprits généreux, ont d’ores et déjà prouvé leurs limites et leurs écueils. Il y a des relents de nécrose dans toute initiative qui manque du souffle de Dieu !

Ces constatations ne devraient pas étonner les chrétiens qui savent que le seul recours en temps de crise, est en Dieu. Un Dieu que nous ne pouvons cantonner dans le domaine privé, au nom fallacieux du respect mutuel, car c’est dans le domaine public que l’homme est en train d’agoniser. Et c’est en rendant public l’Évangile que nous sauverons nos contemporains. Ce que disait John Wesley en son temps devrait venir nous stimuler tous : « Je considère le monde entier comme ma paroisse, par où je veux dire que, en quelque partie du monde que je me trouve, je considère que c’est mon droit et mon devoir strict d’annoncer à tous ceux qui veulent m’entendre la bonne nouvelle du salut ».

Entreprendre au nom du Christ

Puisque nous avons en nous une partie de l’héritage wesleyen et plus encore, l’Esprit d’un Dieu toujours vivant, nous ne pouvons pas rester insensibles à la situation actuelle du monde et espérer seulement ou simplement en un retour du Christ pour mettre fin au mauvais temps. Sauf si nous prenons en compte cette réalité : à chaque fois qu’un chrétien s’engage réellement pour ses frères en humanité, au nom de l’Évangile, il amorce un certain retour du Christ. C’est pourquoi, au lieu de nous lamenter – un psaume d’incantation trop fredonné dans nos communautés – il nous faut cesser de subir et décider de prendre en main les destinées d’une humanité pour qui nous restons lumière et sel. C’est en revisitant notre propre spiritualité et les engagements qui doivent en découler, que nous transformerons, dans un premier temps, notre cœur, notre amour pour Dieu et ensuite, par voie de conséquence, notre amour pour le prochain.

Nous pensons trop souvent que pour agir dans le monde, il nous faut être amis des gens du monde, acceptés et appréciés, mais notre rôle ne sera jamais que celui du samaritain et non du prêtre ou du lévite. Et quand bien même nous serons enfin capables de soigner le blessé oublié sur le bord du chemin, et de payer pour lui, nous ne serons jamais que des Samaritains, c’est-à-dire des gens qui ne sont pas vraiment acceptés. Mais le Christ ne disait-il pas : « Ils m’ont haï, ils vous détesteront aussi ! »

Un siècle après Wesley, dans la même Angleterre toujours malade, Dieu a suscité William Booth, parce que Dieu ne veut jamais laisser un temps, un siècle ou une génération sans témoins. Or, aujourd’hui, il manque de ces témoins audacieux qui se lèvent et qui bousculent assez l’église et le monde pour faire briller une lumière qui manque trop souvent à l’un comme à l’autre.

Qui sera le prochain Wesley, le prochain Booth*, le prochain ?…

La crise est là, la désespérance est là, la peur est là ; il ne manque que vous et moi dans le combat au nom de Celui qui a tout donné pour que chacun retrouve les sources de la vraie vie!

* Ndlr : William Booth (1829-1912) a été pasteur méthodiste dans les quartiers pauvres à l’est de Londres avant de fonder l’Armée du salut.


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