Jubilé des Soeurs de béthesda

« Quitter, suivre, servir… »

par Sœur Marlyse Kroenig

Soeur Any et Soeur Marlyse ont fêté respectivement 40 et 60 années d’engagement à la suite du Christ lors d’une mémorable célébration le dimanche 4 septembre à l’église Saint-Pierre-le-Vieux de Strasbourg. Dans son intervention, Sœur Marlyse Kroenig s’est laissé guider par ces trois verbes : « Quitter, suivre, servir », pareil pour le pasteur Yves Parrend dans sa prédication, dont nous publions des extraits.
Quitter

Ce terme représente, pour nous, quelque chose de bien concret, un vécu tout récent. Il y a exactement un an — moins six jours — que les Sœurs — la Communauté des Sœurs — avons quitté notre lieu de vie sis 1 rue du Général Ducrot.

Qu’avons-nous quitté au juste ?

- Une maison d’habitation située dans l’enceinte de Béthesda?

- Un lieu géographique ?

- Un environnement et un style de vie qui nous assuraient confort et sécurité ?

Nous avons aussi quitté — permettez-moi l’expression — le giron de l’association diaconale Béthesda, même si nous en restons des membres actifs.

Enfin, nous avons quitté une activité qui était, pour nous toutes, une vocation : la vocation première de Béthesda, en l’occurrence les soins aux malades. Oui, nous avons quitté une activité valorisante et un statut reconnu qui nous conféraient reconnaissance et identité.

Comment avons-nous quitté ?

- Par la force des choses, comme on dit couramment ?

- Par le concours des circonstances, des événements, du fait de l’évolution de la société ?

- Par manque de vocations ?

- Par contrainte ou avions-nous la possibilité de choisir ?Autant de questions que nous pourrions nous poser.Il restera toujours une part de mystère dans le cheminement de notre Communauté. Nous ne voulons pas gommer la difficulté de ce « quitter »… Pourtant, j’ose dire et affirmer que Dieu était présent dans ce « quitter », ce « lâcher prise ». Et avant que nous-mêmes puissions imaginer la suite du chemin, Dieu avait déjà tout prévu.

Aujourd’hui est pour nous :

- Un jour de joie, une fête de reconnaissance ;

- Un jour pour nous souvenir de la bonté du Seigneur ;

- Un jour pour considérer le chemin parcouru.

C’est aussi un jour pour rechercher, toujours à nouveau, la présence et la volonté de notre Dieu sur nos vies, nos œuvres, nos paroisses et nos communautés.Écoutons encore la Parole du Seigneur : « Vends tout ce que tu as », «Va-t-en de ton pays, de ta patrie, de la maison de ton père », « Quitte tes inquiétudes, tes soucis », « Quitte tes tourments », « Quitte… ». La parole du Seigneur est digne de confiance. Nous pouvons lui faire pleine confiance.

Quitter, oui, mais en vue de quoi ?
Quitter pour suivre

Suivre est un acte de foi. C’est toujours un défi à relever. Pour ce « quitter » et ce « suivre », dans notre vie personnelle, nos vies communautaires, il faut un appel, une parole qui nous met en route. Une parole exigeante, certes, mais une parole crédible. Jésus nous l’adresse et ne se lasse pas de nous l’adresser.

Pouvons-nous l’entendre, la recevoir avec cette promesse : « Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie » ?

Quitter, oui ; suivre, oui, mais en vue de quoi ?

Servir

Nous habitons maintenant dans une maison, au 21du Quai Zorn, un peu comme une grande famille. Cette structure rend davantage possible et visible la vie communautaire. Dès le matin, nous nous retrouvons toutes autour de la même table pour le petit-déjeuner et ensuite à la chapelle pour un moment de prière.

La vie communautaire prend une autre dimension. C’est là que nous découvrons un des services possibles. Ce n’est plus en premier le service vers l’extérieur. C’est peut-être davantage « être » que « faire » ; être là les un(e)s pour les autres.

Lors de la dédicace du Home, en octobre l’année passée, nous avions formulé ainsi notre vocation :

- Vivre la communion fraternelle dans l’engagement d’être là les uns pour les autres ;

- Servir Dieu et le prochain d’un cœur joyeux ;

- Offrir l’aide et l’accueil comme le reflet de la grâce et de l’amour de Dieu.

Ce projet, ce service, est en devenir. Dieu accorde une vision au départ et ensuite il nous fait découvrir son plan, au fur et à mesure que nous avançons : « Être là les uns pour les autres ; offrir aide et accueil aux personnes en situation de crise ou de détresse ».

Qui est suffisant pour ces choses ?

« C’est là qu’interviennent l’appel de Dieu et la grâce pour y répondre ».

Il est vrai que nos forces sont bien limitées et que nous nous sentons bien petites des fois. Nous nous savons soutenues par la prière de beaucoup. Le Cercle des amis est une réalité tangible — comme le sont d’ailleurs les liens et les relations avec d’autres communautés et paroisses. Toutefois, je ne vous cacherai pas ma préoccupation, en somme toute légitime. Pourrons-nous satisfaire à cette vocation qui nous est confiée au Home ? Que sera notre Communauté demain ? Le service de diaconesse est-il révolu ?

J’ai posé mes questions à Dieu et j’ai eu deux réponses :

- La première : « Marlyse, ne te tourmente pas à ce sujet, c’est mon affaire ! »

- La deuxième : « Priez le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers dans sa moisson ».

Quitter – suivre – servir

Au fur et à mesure que nous avançons dans la vie chrétienne, Dieu nous dépouille de bien des choses. Pourtant, nous ne sommes pas appauvris. D’autres valeurs prennent sens et place dans nos vies. Que Dieu nous aide à être fidèles dans le service qu’il nous confie aujourd’hui.

Quitter pour suivre, quitter pour servir

Suivre Jésus, selon le pasteur Yves Parrend

Le pasteur Yves Parrend a axé sa prédication sur la double thématique «quitter pour suivre, quitter pour servir » inspiré de Lc 18.28-30 : «Pierre dit alors : « Voici, nous avons tout quitté pour te suivre ».
Et Jésus leur dit : « Je vous le dis, en vérité, il n’est personne qui, ayant quitté à cause du Royaume de Dieu, sa maison, ou sa femme ou ses frères, ou ses parents ou ses enfants, ne reçoive beaucoup plus dans ce siècle-ci et dans le siècle à venir, la vie éternelle ».

Nous sommes en Angleterre au XVIIIe siècle et un homme va faire l’expérience du « quitter » à trois reprises :
- La première fois c’est, alors qu’il est enfant, dans des conditions d’urgence et qu’il saute par la fenêtre de la maison familiale en proie aux flammes : « quitter in extremis, pour survivre ! » ;
- La seconde c’est, quelques années plus tard, lorsqu’avec son frère et deux missionnaires, il s’embarque pour la Géorgie (dans le sud des États-Unis) pour annoncer l’Évangile aux indigènes : « quitter pour témoigner ! » ;
- La troisième c’est, lorsqu’en 1738, à l’âge de trente-cinq ans, cet homme se décide à prêcher hors les murs de sa paroisse avec une méthode nouvelle, sur les places publiques, prêchant la grâce de Dieu, l’éducation et la justice, un évangile social guidé par la prière, la joyeuse nouvelle du salut : c’est «quitter pour ouvrir une nouvelle étape, un chemin de vie et de fidélité ! ».
Cet homme, vous l’avez reconnu, il s’appelle John Wesley, né en 1703 à Epworth au Centre Est de l’Angleterre.
Il quitte chaque situation antérieure pour vivre, suivre et servir ; et « quitter » pour Wesley, c’est naître de nouveau, naître d’en-haut !
Bénis soient ces témoins, hommes et femmes à travers l’histoire, qui s’inscrivent à la suite du Christ…..et béni soit le Seigneur qui nous rassemble autour de sa parole aujourd’hui, autour de la communauté des sœurs de Béthesda, et en cette église particulièrement pour le jubilé de deux d’entre elles : Sœur Anny et Sœur Marlyse.
Nous sommes ici dans la diversité du protestantisme alsacien et plus largement de la famille chrétienne dans la cité.
Nous sommes rassemblés dans l’une des plus anciennes églises de la ville, dont l’édifice actuel date de 1382, faisant suite à l’ancienne église romane qu’atteste encore la présence de maçonneries mérovingiennes et carolingiennes.
Cette église témoigne, jusque dans sa belle et récente rénovation, de la nécessaire adaptation du témoignage chrétien aux mutations du monde, et néanmoins de sa permanence.
Au cœur de cet édifice et des communautés qui s’y rassemblent, une seule chose nous importe : le Seigneur Dieu, Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, et sa venue à notre rencontre en Jésus-Christ…
Jésus qui appelle inlassablement à quitter le désespoir, la tristesse et la résignation, pour s’ouvrir à sa lumière et à son royaume de justice et de paix ;
Jésus qui dit : « viens et suis-moi » et qui appelle chacun de nous à marcher sur un chemin de vie ;
Jésus qui invite aujourd’hui, dans la confiance, à quitter ce qui nous entrave pour le suivre – à quitter ce qui nous lie, pour servir librement Dieu et le prochain.
« Quitter pour suivre, quitter pour servir », tel est le thème de la méditation de ce jour, à travers le dialogue de Pierre et de Jésus.
Je renvoie, en ce qui concerne la personne de Pierre, au très remarquable ouvrage d’Oscar Cullmann (« Pierre, disciple, apôtre, martyr », Delachaux et Niestlé, Neuchatel, 1952).
Le texte de ce jour nous situe dans la troisième partie de l’Évangile de Luc qui nous raconte le voyage, la pérégrination de Jésus depuis la Galilée au nord, où il a grandi, jusqu’à Jérusalem, lieu de sa Passion.
Cette partie, qui va du chapitre IX au chapitre XIX, est faite d’enseignements et de rencontres, d’étonnements et de joies, de miracles et de guérisons, de questions et de réponses.
Et c’est une question qui est à l’origine du dialogue de Pierre et de Jésus, celle d’un homme en dehors du cercle des disciples qui demande ce qu’il faut faire pour «?hériter la vie éternelle ».
Et la réponse de Jésus tombe, brève, simple, laconique : «?Quitte tout, viens et suis-moi ! ».
Une parole qui place face à soi-même : on le fait ou on ne le fait pas ! Et si notre homme n’a pas ce courage, les disciples, eux, ont eu ce courage : « voici, dit Pierre, nous avons tout quitté pour te suivre !? »
Et c’est vrai qu’ils ont tout laissé, les 12 et les autres aussi qui constituaient le cercle des disciples : leurs filets, leurs maisons, leurs familles pour s’engager dans une grande aventure, celle de l’Évangile à la suite du Christ.
Le texte de ce jour apparaît dans les trois Évangiles synoptiques : Matthieu, Marc, Luc, les deux premiers ajoutant encore d’autres choses à la liste des choses auxquelles les disciples ont renoncé.
Et le commentaire de François Bovon, professeur de Nouveau Testament, étudie avec précision tous ces éléments montrant comment les disciples passèrent du cercle familial initial – ce lieu où Dieu nous a mis, nous a placés – au cercle élargi de la grande famille spirituelle des frères et des sœurs avec lesquels on partage un même projet de vie.
Au fond, passer d’un cercle à l’autre, ça s’appelle grandir, accéder à l’autonomie, trouver la bonne distance.
C’est une manière de naître, quand on est jeune encore, ou homme et femme de naître de nouveau à une vie adulte.
Quitter est une nécessité.
Et ça peut se faire de multiples manières :
- Je pense à l’enfant qui quitte le confort du sein maternel, et ça s’appelle vivre, même si les obstacles se dressent aussitôt ;
- Je pense, en cette période de rentrée scolaire aux étudiants qui partent loin ou aux jeunes, collégiens ou lycéens, qui entrent en internat et pour qui ça va être un peu difficile. ;
- Je pense au choix des diaconesses entrant dans la joie du ministère et pour qui s’accomplir en Christ fut aussi renoncer, jusque dans l’époque récente pour entrer au home du Quai Zorn pour un nouveau projet ;
- Je pense à Daniel Bourguet, prieur de la Fraternité des Veilleurs au-dessus de Saint-Jean-du-Gard, et tous ceux et celles qui ont fait vœu de pauvreté. Ils ont répondu à l’appel du Christ, au « laisse tout, viens et suis-moi », et montrent le chemin de la fidélité. Ils ne sont pas seuls, ils sont juste devant.
Celles et ceux qui ont choisi cette route nous honorent de leur présence : sur ce chemin, suivre et servir ne sont qu’une seule et même chose ! Ils ont répondu, comme répondit un jour Abram et sa famille quittant Ur en Chaldée pour marcher vers la terre promise.
Oui, c’est bien cela qui est en jeu : marcher vers l’espérance, et l’espérance réalisée, non pas quelque utopie, mais vers le Royaume où Dieu sera tout en tous, et dont, comme dit Saint Paul, nous avons déjà les arrhes.
La parole du Christ en ce jour fait écho à celle du Créateur en Genèse 12 : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père et va dans le pays que je te montrerai ».
Et Abram, vieux déjà s’est pourtant mis en mouvement répondant à l’appel du Seigneur, appel de la vie à elle-même.
Je crois que quitter doit être un accomplissement, que les promesses doivent être plus fortes que les renoncements et que Jésus nous enseigne qu’il faut accepter parfois de perdre un peu pour gagner beaucoup. Le chrétien alors, comme le dit Luther, sera « libre seigneur sur toute chose, libre serviteur de tous ».
Si nous quittons nos illusions, nous perdons peu de chose, mais nous gagnons beaucoup de cette vérité de l’être à laquelle nous aspirons.
Il ne faut pas que quitter soit une souffrance, auquel cas l’amertume demeurerait ; il faut que ce soit une libération – comme Lazare fut libéré de ce qui l’entravait.
Alors, nous pourrons suivre, dans cette liberté que Dieu nous donne d’assurer des ministères, pastoraux ou laïques, durables ou provisoires pour autant qu’ils soient fidèles.
Suivre Jésus implique trois choses :
- Premièrement, une rupture avec le passé, d’où la parole de Pierre « nous avons tout laissé », s’appliquant à chacun de façon particulière, en fonction de sa propre histoire, et qui tourne autour de la question « qu’est-ce qui m’entrave ? Qu’est-ce qui m’empêche de vivre ? ». Je pense ici au constat fait par Albert Schweitzer disant « il y a tant de gens qui n’ont jamais éclos ! », et invitant à vivre dans la liberté que Dieu donne.
- La seconde, c’est que suivre implique une participation à la destinée du Christterrestre, qui fut de lumière, de courage et de Passion. Pour cela, nous croyons qu’en même temps que la charge qu’il nous confie, Dieu nous donne aussi la force de l’exercer. Suivre, c’est aussi porter sa croix.
- En troisième lieu, celui qui suit Jésus reçoit la promesse de participer au salut offert par le Christ. C’est une espérance pour aujourd’hui, c’est aussi une espérance pour demain et pour l’éternité des temps. La récompense de la fidélité, c’est la couronne de la vie !
La réponse du Christ à Pierre est une formidable parole d’encouragement à tous ceux qui s’engagent sur ce chemin.
Cette réponse fut comprise comme telle (un encouragement) par Pierre et les autres disciples, puis par toutes les communautés chrétiennes depuis la première église.
« Suivre » ouvre à la louange, à l’obéissance et au service.
Celui qui suit Jésus sait qu’il peut lui faire confiance et s’en remettre à lui, car il montre un chemin de vie. Il est ce chemin !
A Dieu seul la gloire !
Amen