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Une histoire insolite
Aux îles Fidji : un village se repent de son passé anthropophage
Aux îles Fidji, baptisées à une époque les îles cannibales, l'anthropophagie était une pratique répandue, où la chair humaine était comparée à du «grand cochon» jusqu'à son interdiction à la fin du XIXe siècle. Thomas BAKER en fut l'une des dernières victimes. 
Australien d'origine, Thomas BAKER était arrivé aux îles Fidji en 1859. Il avait alors présenté une dent de baleine au chef, une offrande censée le prémunir contre la férocité des tribus des montagnes. «Je ne redoute pas les indigènes et nous espérons leur apporter du bien», avait écrit le missionnaire dans la dernière lettre à sa femme, selon sa correspondance conservée au musée des îles Fidji.
En 1867 survint le drame, le pasteur méthodiste Thomas BAKER et 8 de ses acolytes périrent de la main des habitants de Nubutautau, un village farouche et reculé de l'archipel du Pacifique sud.
Le chef des indigènes, Nawawabalevu, conduisit à l'extérieur du village le révérend méthodiste BAKER et huit de ses collègues fidjiens avant de les abattre avec de longues haches de guerre. Il jeta leurs corps dans un ravin puis les récupéra dans une rivière. Celui du révérend aurait été placé au sommet de la pile de cadavres puis dépecé sur un rocher avant de faire l'objet d'un festin.
Sauf les bottes...
Dans des récits de l'époque, un témoin de ces actes de cannibalisme racontait : «Nous avons tout mangé, à l'exception de ses bottes». L'une d'elles est d'ailleurs aujourd'hui exposée au musée des îles Fidji. Elles ont malgré tout bouilli dans la marmite avec le légume local, le bele.
La légende dit que le pasteur BAKER a été dévoré pour avoir osé toucher à un peigne du «ratu», transgressant ainsi une interdiction absolue de toucher à la tête du chef du village. On raconte qu'il aurait tenté de lui prendre son chapeau, sans savoir que toucher un cheveu de la tête d'un chef fidjien est tabou. Mais les historiens mettent en doute cette version, évoquant plutôt une querelle de chefs qui aurait mal tourné.

Cet acte de cannibalisme sur ce missionnaire serait à l'origine d'une malédiction séculaire selon les quelque 200 membres de la communauté de Nabutautau. Ils s'estiment victimes d'un mauvais sort car le village situé dans les montagnes intérieures de la principale île de l'archipel, Viti Levu, est privé de la végétation luxuriante dominante dans la région, et ses 120 habitants luttent pour se nourrir. Le village ne dispose ni d'école, ni de routes ou d'équipement médical, il voit toutes ses demandes de subventions repoussées et le cannabis y fait des ravages. «Nous croyons que nous sommes victimes d'un sort et nous devons demander pardon pour ce qui s'est passé. Une fois cela fait, nous serons à nouveau purs», a récemment déclaré le «ratu» (chef) Filimoni Nawawabalevu, septuagénaire et petit-fils du chef qui tua le missionnaire.
Car depuis le massacre, Nabutautau est un village maudit estiment ses habitants: plusieurs lignées familiales ont disparu, aucun enfant n'a réussi à dépasser le stade du lycée
«Nous devons faire face à tant de difficultés», explique le «ratu» Filimoni Nawawabalevu C'est son grand-père, alors «ratu», qui avait mené le missionnaire à la mort sur le rocher, aujourd'hui recouvert de peintures représentant des pages de la Bible.
«Les autres Fidjiens veulent que nous soyons punis pour ce qui s'est passé», estime Thomas Baravilala, un ancien du village. Les enfants du village doivent ainsi chaque week-end parcourir 25 km à pied à travers la jungle pour rejoindre une école.
136 ans après cet acte de cannibalisme, les descendants fidjiens entendent lever la malédiction abattue sur leur communauté en se repentant de leur passé anthropophage. Ils demanderont pardon aux onze descendants du révérend BAKER venus faire le voyage depuis l'Australie, regrettant profondément tout ce qui s'était passé. Ils verseront des larmes en présentant leurs excuses aux descendants du missionnaire australien tué et mangé par leurs ancêtres cannibales. La communauté espère que les descendants australiens du religieux accepteront leurs excuses.
En recevant les journalistes dans son village, M. Baravilala a lancé: «Dites au monde que nous demandons pardon et nous recevrons peut-être plus d'aide».
Dans ce but, les habitants de ce village fidjien ont organisé une cérémonie de réconciliation en présence de la famille de Thomas BAKER.
Pour la cérémonie, un bulldozer a tracé une «route» sur les derniers kilomètres menant au village et deux W.C. flambant neufs ont été installés avec quelques plaques de tôle ondulée pour assurer l'intimité des invités.
«Les larmes sont venues du fond de notre coeur car nous avons très longtemps attendu ce moment», a déclaré le représentant du village, Tomasi Baravilala.
La famille de Thomas BAKER, qui connaissait le destin tragique de leur aïeul, ignorait en revanche que les villageois se considéraient maudits. «Moi et ma famille sommes plus que contents de pouvoir leur venir en aide de quelque manière qu'ils le souhaitent», a affirmé Geoff LESTER, arrière-arrière-petit-fils du missionnaire. «C'est notre foi: lorsque nous devenons chrétiens, nous sommes libérés de la malédiction. Le seul fait de voir où mon arrière-arrière-arrière grand-père s'est rendu pour promouvoir l'Évangile est quelque chose d'exceptionnel et voir où il est mort est une expérience que je n'oublierai jamais», a déclaré un descendant, Dennis RUSSELL.

Rupture de la chaîne de la malédiction
Au milieu d'un cercle de tentes érigées au coeur du village, la cérémonie s'est ouverte par le rituel du Kava, une boisson traditionnelle. Son point d'orgue a été «la rupture de la chaîne de la malédiction», symbolisée par un lâcher de ballons effectué par la famille de Thomas BAKER.
Des jeunes du village ont aussi joué une pièce où le pasteur local brandissait la hache qui aurait servi à tuer le pasteur BAKER. Un descendant du religieux, M. LESTER, a indiqué que sa famille était stupéfaite par l'importance donnée à cet événement. «Ils pensaient que ça allait être une petite cérémonie et ils se retrouvent à côté du premier ministre et du grand conseil des chefs coutumiers», a-t-il confié.
Tous ensemble, ils ont participé à un rite de réconciliation plutôt complexe, l' «ai sorotabu», qui, espère-t-on à Nubutautau, lèvera le mauvais sort. Pendant l' «ai sorotabu», 100 dents de cachalot ont été remises aux onze descendants du missionnaire méthodiste. En son temps, le missionnaire avait lui aussi effectué une telle offrande, censée alors le prémunir de la férocité des tribus des montagnes. Les villageois ont également restitué à la famille la bible de BAKER, son peigne et les semelles de ses bottes.
«J'espère que cet événement sera utile au peuple de Fidji et aux habitants de ce village», a déclaré Geoff LESTER, soulignant que son arrière-arrière-grand-père «était venu ici en ayant conscience des risques et en sachant ce qui pourrait arriver». Le président fidjien Laisenia Qarase a pour sa part qualifié de «très bel acte» l'initiative des villageois de Nabutautau. Il n'a en revanche pas fait mention d'une quelconque rallonge budgétaire pour le village malgré son repentir.
No comment !

JP Waechter