Le monde est ma paroisse

Des chansons à boire aux chants doxologiques


Par leurs paroles et leur musique, John et Charles WESLEY ont l'un et l'autre beaucoup apporté à l'hymnologie chrétienne ; leur l'influence s'est fait sentir dans toutes les dénominations. A eux deux, ils ont composé plus de 6500 hymnes au service du message du salut : ce sont « les chants d'une expérience personnelle, où l'on retrouve les étapes successives de la repentance, la conversion, la justification, le pardon et la sanctification dans la vie du pèlerin chrétien.... » (J.S. CURWEN, Studies in Worship-MusicLondres, 1880, p.12)
D'où ont-ils tiré leur inspiration musicale ?
Andrew WILSON-DICKSON, auteur de « Histoire de la musique chrétienne » (éditions Brepols, Paris, 1994, 116 p.), estime que la communauté morave de Herrnhutt a exercé tellement d'influence sur John WESLEY qu'il a eu à coeur de traduire un certain nombre de leurs cantiques et de reprendre des mélodies allemandes jusqu'alors inconnues en Angleterre. Toujours selon ce spécialiste, le grand compositeur HAENDEL a écrit trois mélodies sur des textes de Charles WESLEY, de même qu'un autre compositeur de cette époque, J.F. LAMPE.
Avec un souci majeur : faire en sorte que leurs chants soient abordables pour tous et chantables par tout le monde. D'où la propension des frères WESLEY d'adapter avec plaisir des mélodies populaires de toutes origines au risque de déplaire à la hiérarchie de l'Église, ajoute A. WILSON-DICKSON.
Des tavernes ?
Auraient-ils pour autant basé la mélodie de certains cantiques sur des chansons à boire du XVIIIe siècle ? Dans leur souci d'évangéliser l'homme de la rue, les frères WESLEY auraient-ils sanctifié des chansons de taverne braillées par des ivrognes en y insérant de nouveaux textes ? Leur zèle évangélique les aurait-il poussé à faire une chose pareille ? L'idée tient-elle la route ou est-elle erronée ? Est-ce un mythe, est-ce vrai ou faux ?
L'hymnologue patenté de l'EEM, Dean Mc INTYRE, s'élève en porte à faux contre cette thèse dans les colonnes de deux journaux américains (The Washington Times et Christian Times). EEMNI s'en est fait l'écho.
Mc INTYRE est formel : « L'histoire des tavernes est un mythe. Connaissant leur sens esthétique et théologique, il est impensable qu'ils aient pu agir ainsi. » D'après lui, cette thèse erronée trouve son origine dans le fait que les frères WESLEY prêchaient l'Évangile dans des lieux publics où les gens qui avaient besoin de Jésus avaient l'habitude de s'assembler.
On applique également cette théorie aux cantiques du réformateur allemand Martin LUTHER. « Il y a un peu plus de marge d'interprétation avec LUTHER », dit-il. « Mais les frères WESLEY n'auraient jamais pensé à cela. »
Un malentendu notoire
M. Mc INTYRE, fils de pasteur, compositeur et titulaire d'un doctorat en musicologie, explique que la légende est probablement née il y a des générations d'un malentendu et d'une interprétation erronée des termes « bar tune » ou « bar form », qui font référence au nombre de vers répétés dans un chant. Mc INTYRE confirme que les frères WESLEY ont utilisé le modèle de la « bar form » lorsqu'ils ont composé nombre de leurs cantiques les plus célèbres. Un individu ignorant les règles de la poésie médiévale a probablement entendu le mot « bar form » en relation avec John WESLEY et en a conclu que les oeuvres du compositeur de cantiques étaient basées sur des chants de tavernes. « Par ignorance, les gens ont commencé à dire que c'était une musique de bar ou une chanson à boire », dit M. Mc INTYRE. « Mais si l'on étudie les notes des frères WESLEY en marge de leurs cantiques ou de leurs préfaces, on n'y trouve absolument aucune trace de cela. »
Une source d'inspiration non mondaine
Mc INTYRE a confié à « Christian Times » : « Je sens que j'ai le devoir de mettre les choses au point. Il est simple de comprendre comment la confusion a pu naître, dans la tête d'une personne non informée, entre les termes " bar form " ou " bar tune " et une chanson de bar, de gargote, une chanson à boire ou quelque autre terme indiquant qu'il s'agit de musique accompagnant la consommation de boissons alcooliques. En relation avec le chant des cantiques, WESLEY exhortait les chrétiens à " chanter spirituellement ", une remarque qui exclut tout simplement que des paroles de cantiques puissent être chantées sur les mélodies de chansons à boire. Que ce soit dans des recueils de cantiques ou dans d'autres ouvrages, on ne trouve aucune indication selon laquelle WESLEY aurait encouragé l'utilisation de chansons à boire pour chanter des hymnes pieux. »
Un principe valable de nos jours
Mc INTYRE en tire la conclusion pour aujourd'hui : si les frères WESLEY trouvaient inacceptable la reprise de chansons à boire lors des cultes, on ne peut guère justifier l'introduction de nos jours dans les cultes de l'Église de styles musicaux provenant du monde. Dès lors, demande Mc INTYRE, est-il juste « que des chrétiens utilisent dans leur culte les musiques qu'ils entendraient dans un bar ? Si le raisonnement de WESLEY à l'égard des méthodistes de son temps demeure valable pour notre temps, alors la réponse est non », conclut Mc INTYRE.
De la souplesse, de l'ouverture, SVP !
Dans le même article, Mc INTYRE nuance néanmoins sa critique en avouant ne pas avoir à titre personnel de problème avec cette idée « de chansons à boire, pour justifier l'utilisation actuelle de musique populaire pour atteindre nos contemporains », dit-il.
Surtout qu'on a depuis toujours emprunté sinon imité volontiers des airs populaires ou séculiers en vue de modifier l'atmosphère du culte dominical ou d'attirer des gens non intéressés par l'Église et son message, sans faire nécessairement scandale. L'Armée du Salut, par exemple, a excellé dans l'art d'adapter des airs de la rue pour toucher les masses populaires d'Angleterre et des États-Unis.
Mais les droits d'auteurs modernes ont imposé de sérieuses restrictions à cette pratique.
C'est ainsi que l'Église Évangélique Méthodiste avait mis les paroles d'un cantique sur une mélodie tirée de « Edelweiss », un air composé pour la revue musicale « The Sound of Music » de RODGERS et HAMMERSTEIN ; les producteurs ont intenté une action en justice pour obliger l'Église à renoncer à utiliser cette mélodie.. « Ce que vous pouvez faire aujourd'hui, c'est imiter un style », dit M. Mc INTYRE, « mais le copyright fait en sorte qu'une oeuvre originale ne peut pas être modifiée et cela est très bien ainsi. »
En guise de conclusion, je dirais seulement que nous ne devons surtout pas hésiter à chanter un chant nouveau au Seigneur en y mêlant du vieux et du moderne, en y mettant du sien comme en s'inspirant de la culture ambiante, mais du mieux possible, Soli Deo Gloria.
Jean-Philippe WAECHTER