Spécial CPDH « Priorité à l’éthique »

EN MARGE DU CONGRES EUROPEEN D'ETHIQUE (25 au 27 mai 2005)

"Priorité à l'éthique"

Interview exclusive de

Daniel Rivaud délégué général du CPDH

(Comité Protestant Evangélique pour la Dignité Humaine)

Propos recueillis par Jean-Philippe Waechter

Daniel Rivaud, délégué du Comité Protestant Evangélique Pour la Dignité Humaine (CPDH) répond aux questions du rédacteur sur les missions que s'assigne le CPDH à la veille de son Congrès à Strasbourg

Le XXIe siècle religieux.... et éthique ?
ENroute (ER) : André Malraux a prédit que le XXIe siècle serait religieux, et l'histoire immédiate lui donne raison. Mais ne conviendrait-il pas non plus de parler de siècle éthique à l'heure où l'on a hâte de remettre en question les valeurs fondamentales ?

Daniel Rivaud (DR) : Le mot éthique est utilisé de plus en plus à l'heure actuelle, on pourrait presque dire galvaudé, car il peut revêtir des aspects complètement différents et qui sont parfois bien loin des valeurs chrétiennes auxquelles nous nous référons. Néanmoins, nous ne pouvons que nous réjouir de ce désir de notre société de clarifier certains débats, même si c'est sous couvert d'humanisme, et de réfléchir à la portée des actes que nous posons aujourd'hui. Mais nous devons le faire de manière lucide.
Débacle des moeurs ?
ER : En gros, peut-on parler en règle générale de déliquescence des murs, de débâcle morale aujourd'hui? C'est un portrait au vitriol excessif ou le reflet de la réalité ?

DR : Il y a eu d'autres époques avec ses moments de débâcle morale. Il ne faudrait pas noircir outre mesure l'époque dans laquelle nous vivons. Mais il est indéniable qu'il y a une accélération des mutations et une perte des repères traditionnels dans notre société. C'est une des raisons pour laquelle les chrétiens doivent réfléchir à ces repères et voir de quelle manière ils peuvent les proposer à la société, non dans une défense passéiste et conservatrice, mais dans le souci de témoigner ce qui sera toujours « une bonne nouvelle ».
Comment réagir ?
ER : Réagir à cette évolution, c'est une chose, mais peut-on le faire sans tomber dans les travers du moralisme et du pharisaïsme ?

DR : On pourrait aussi ajouter le légalisme !
ER : Il y a beaucoup de risques dans cette opération ?

DR : Il y a toujours des risques à prendre position ! L'enseignement de Jésus est clair à ce sujet. C'est d'ailleurs peut-être une des raisons pour lesquelles nos milieux évangéliques sont parfois silencieux, victimes du syndrome de la minorité Voire d'une forme de fatalisme. Il est important, - et c'est un des buts du Congrès Européen d'éthique -, de réfléchir et de pouvoir prendre position en évitant les écueils cités précédemment. C'est certainement un des plus grands défis. Nous sommes dans un siècle où la communication a beaucoup d'importance. Nous devons donc être très attentifs à la manière de dire les choses, même si sur le fond nos convictions restent les mêmes. Lors d'un Séminaire à la Faculté libre de Théologie Réformée d'Aix-en-Provence, Henri Blocher parlait de « la nécessité de s'adapter sans s'adultérer ».
S'adapter sans adultérer le message
ER : Il s'agit donc de tenir compte de l'évolution sans altérer le message ni adultérer le message, a-t-il dit ? C'est précisément à ce type d'exercice que vous vous livrez depuis des années déjà. Telle est votre raison d'être, réfléchir en amont aux questions éthiques pour proposer des bases et des repères aux hommes de notre temps ?

DR : Depuis sa création en novembre 1999, notre association a toujours eu le souci, d'une part de réaffirmer les repères donnés par la parole de Dieu, d'autre part de rendre les chrétiens et les églises attentifs et soucieux de ce que nous avons à dire et de le dire de manière crédible notamment dans le débat public.
ER : Partant de la conviction que la Bible apporte toujours des convictions des indications précieuses pour l'homme de notre temps sur ces questions de pointe.

DR : L'homme est un tout. C'est la raison pour laquelle nous intégrons régulièrement des facteurs psychologiques, sociaux, médicaux, dans notre réflexion. Mais il est évident que si cette réflexion n'est pas fondée sur la Parole de Dieu, elle perd ses repères essentiels. Les dérives que nous pouvons constater actuellement dans certains milieux viennent certainement en bonne partie de la perte de cette référence.
Les missions du CPDH : rebondir sur l'actualité
ER : Précisez-nous les divers aspects du ministère du CPDH.DR : D'une part anticiper sur l'actualité, de façon à pouvoir y réfléchir non pas tranquillement mais en tout cas de manière sereine et de pouvoir aussi réfléchir aux fondements que nous voulons poser. Puis d'autre part, - c'est aussi une des spécificités du CPDH -, de coller à l'actualité et de pouvoir faire entendre un point de vue protestant évangélique au cur de l'actualité.
ER : D'où la publication de vos bulletins mensuels ?DR : Cela s'exprime davantage à travers nos communiqués de presse, puisque nous avons mis en place un mode de fonctionnement qui nous permet d'adresser un communiqué dans les 24/48 heures par rapport à un fait d'actualité sur lequel il nous semble que nous devons réagir à environ 200 médias nationaux et régionaux. Nous avons également une « veille » sur l'actualité avec des informations diffusées sur Internet au fur et à mesure. À cela se rajoute le « CPDH Actualités », revue de presse mensuelle à laquelle on peut s'abonner et que l'on peut recevoir par courrier ou par e-mail.
L'impact
ER : Est-ce que ces appels et ces prises de position passent inaperçus ou atteignent leur but ? Sont-ils relayés par les médias de nos jours ? Jusqu'ici, on a peut-être l'impression, en tant que minorité, de prêcher dans le désert ? On a du mal à se faire entendre dans la jungle des médias et surtout dans un second temps de peser dans les choix politiques de la nation ? Bref, est-ce que la communication passe ?DR : Il faut du temps pour se faire « repérer » et encore plus pour se faire entendre ! D'autant plus que nous avons été quasi absents de la scène publique pendant des décennies. Aujourd'hui, nos communiqués sont repris, y compris parfois par l'AFP, mais d'une manière ponctuelle, en fonction du sujet. Le « politiquement correct » fonctionne particulièrement bien dans le monde des médias et à moins d'utiliser la provocation comme le font certains lobbies, il n'est pas facile de se faire entendre. En fait, nos positions sont rarement politiquement correctes ! Mais notre souci de communiquer dans un langage qui soit accessible et dégagé de "tout patois de Canaan", et notre réaction rapide qui colle à l'actualité, fait que nos prises de position et nos communiqués peuvent néanmoins intéresser les journalistes honnêtes, et il y en a encore, Dieu merci ! Mais nous ne « misons » pas tout sur les médias. En effet, nous lançons également régulièrement des actions d'interpellation des élus Gouvernement, députés, sénateurs, en encourageant et en donnant les moyens aux chrétiens de le faire eux-mêmes. C'est beaucoup plus efficace ! Les politiques le savent : une personne qui réagit, c'est 500 personnes qui pensent pareil. Ce n'est pas rien !

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Le Congrès, évènement majeur

ER : Et l'organisation d'un Congrès Européen d'éthique en mai prochain à Strasbourg est une sorte de consécration de votre volonté de marquer les médias et l'opinion publique sur ces questions.

DR : Nous avons toujours eu le souci d'une interpellation qui s'adresse autant à l'Eglise qu'à la société. C'est la raison pour laquelle nous préparons une Déclaration finale, qui s'adressera d'une part aux chrétiens et aux Eglises, ce qui est notre première « cible », et d'autre part aussi à la société. « En Route » pourra certainement s'en faire l'écho.
ER : Et vos invités sont de tous les horizons religieux et politiques ?

DR : Horizons religieux, certainement. Politiques, pas vraiment, nous n'aimons pas les extrêmes, d'un côté comme de l'autre !
Le choix de Strasbourg hautement symbolique
ER : Notons le choix de Strasbourg, capitale européenne comme lieu du Congrès. Ce choix n'est pas anodin, quand on sait que cette institution n'a pas prévu d'inclure dans le préambule de sa nouvelle Constitution une référence explicite à l'héritage judéo-chrétien. C'est de la provoc de faire la séance inaugurale à ce Colloque dans l'enceinte du Parlement Européen ?


DR : Le choix de tenir la séance inaugurale du Congrès au Parlement Strasbourg est, avant toutes choses, symbolique et aussi l'expression, justement, de notre souci d'utiliser les moyens de communication actuels en phase avec la société et donc de nous permettre d'aller à la rencontre des gens et non pas d'attendre toujours qu'eux viennent à notre rencontre.
Réflexions tous azimuts
ER : Si votre démarche est offensive, elle n'en demeure pas moins respectueuse

DR : Respectueuse des personnes, certainement. Cela fait partie du message de l'Évangile. Mais cela ne nous empêche pas en effet de prendre position clairement sur des choix de société ou des comportements qui sont des atteintes à la dignité de l'homme créé à l'image de Dieu.
ER : Sur trois jours, vous entendez couvrir tout le domaine de l'éthique, cela représente un défi colossal ? D'où ces questions :- le début et la fin de vie, la question de l'avortement et de l'euthanasie, autant de sujets sensibles, et aussi la part de l'héritage du judéo-christianisme dans l'histoire européenne, la question du couple hétérosexuel face aux doléances homosexuelles, l'évolution de nos sociétés dites laïques, etc...

DR : Il est évident que nous ne ferons que survoler ces grands thèmes. Ce sont des pistes de réflexion que nous voulons proposer et qui devront se poursuivre. Mais c'est vrai que nous relevons un défi relativement important. Et les 30 orateurs qui se succéderont pendant ces trois jours sont à la mesure du défi !
ER : En ateliers, les participants aux Colloque auront également l'embarras du choix, preuve comme quoi l'éthique recouvre énormément de domaines fondamentaux de la vie courante et pose à chaque fois la question de la place de l'homme dans la société.
L'éthique sociale est aussi de mise
DR : Notre souci, en abordant ces questions d'éthique, était de ne pas nous cantonner à l'éthique sexuelle, mais de pouvoir aborder l'éthique dans toute sa diversité. Il y a des domaines où nos milieux protestants évangéliques francophones sont traditionnellement pauvres dans leur réflexion et notre souhait est de pouvoir encourager aussi la réflexion dans ces domaines moins habituels pour nous mais tout aussi importants.
ER : Comme l'environnement et le développement durable ?

DR : Par exemple
ER : Ou le rapport entre société riche et pauvreté, ou la richesse dans notre société ou la pauvreté

DR : Pas tant dans sa dimension sociale, qui n'est pas directement dans notre créneau, et où d'autres sont plus à même d'aborder de tels sujets, mais dans une réflexion de fond sur des notions de partage, de confrontation à l'échelle planétaire, même si nous voulons l'aborder sous l'angle de notre responsabilité en tant que pays européens francophones.
ER : Ce congrès a donc une dimension européenne. Je relève la présence du responsable de l'Alliance Evangélique européenne à ces travaux.

DR : En effet, en plus des Alliances évangéliques de France, de Suisse romande et de Belgique francophone qui sont partenaires, nous aurons également le plaisir d'avoir le Secrétaire général de l'Alliance Evangélique européenne pour la prédication du dimanche matin. Ce sera une manière de manifester ce souci de réfléchir ensemble au-delà de nos appartenances ecclésiales et géographiques. Ces sujets ont depuis longtemps franchi les frontières !
ER : Bon congrès, Daniel Rivaud !