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Leymah Gbowee, artisan de paix

Marie-Noëlle von der Recke,

Secrétaire générale de Church and Peace, Laufdorf (D)


Le 10 décembre 2011, trois femmes ont reçu le prix

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 Nobel de la Paix. L’une d’elle, Leymah Gbowee, a été mentionnée dans les périodiques et blogs mennonites dès sa nomination, car elle a obtenu en 2007 un Master de transformation des conflits dans une Université mennonite des USA. En réalité, c’est bien après les événements qui ont contribué à la faire connaître qu’elle a étudié là-bas. La rubrique Actu du mois réalisée conjointement avec la revue mennonite Christ Seul nous dresse le portrait de Leymah Gbowee, militante des droits de l’homme et artisan de paix exemplaire récompensée par ce prestigieux Prix.

La barbarie au pouvoir

Les faits remontent à 2003. Le Liberia, épuisé par la guerre qui a amené le sinistre président Taylor au pouvoir, est secoué par une nouvelle vague de folie meurtrière. La population est prise entre forces gouvernementales et rebelles qui mettent le pays à feu et à sang. Les premières victimes sont les femmes, violées systématiquement, et les enfants, mutilés ou enrôlés comme combattants.

Les femmes en première ligne

C’est alors que Leymah Gboweh, assistante sociale et mère de famille, elle-même victime de la guerre, se lève. Avec des femmes chrétiennes et musulmanes, elle organise un mouvement de protestation contre la guerre. Leur slogan : « nous sommes fatiguées de la guerre, nous sommes fatiguées de courir… Nous voulons la paix ». Leurs armes : des T-shirts et des turbans blancs, la prière et le chant. Leur méthode : une présence embarrassante sur le passage du Président jusqu’à ce qu’il reçoive leur requête et entre en négociation avec les rebelles. Suit une vigile entêtée sur le lieu des négociations jusqu’à l’obtention de résultats tangibles : le tyran s’exile, les combattants sont désarmés, des élections démocratiques ont lieu. Un film relate les épisodes du mouvement qui a mis fin à 14 ans de guerre.

Sans atours

Qui d’entre nous ne se sentirait impuissant face à des problèmes aussi graves ? Or voilà qu’une poignée de femmes résolues est parvenue à faire l’impossible, avec des moyens dérisoires : elles n’ont ni pouvoir officiel, ni programme politique, et une seule requête : « we want peace ». Elles sont vêtues d’un accoutrement ridicule pour des femmes d’habitude élégantes. Peu de vidéos ont été tournées sur la campagne, les journalistes estimant ces femmes « pitoyables » malgré leur nombre. Quel encouragement !

Avec l’atout de la foi

Je suis convaincue que la victoire de ces femmes s’explique par le fait que leur lutte a été pour beaucoup un combat spirituel : leur « uniforme » blanc évoquait la paix et s’inspirait d’Esther qui prit le deuil avant de plaider la cause de son peuple auprès du roi.

Prière de supplication, chant, pleurs ont porté le mouvement, surtout dans les moments délicats.

Un esprit de réconciliation a uni chrétiennes et musulmanes — car « les balles ne font pas la différence ».

Non-violence à toute épreuve

Des actions décisives eurent lieu à des moments cruciaux où tout était bloqué. Les négociations stagnant, les femmes envahirent le lieu où elles se déroulaient. Menacée d’expulsion, Leymah dit, dans un mouvement de désespoir inspiré, qu’elle faciliterait le travail de celui qui la menaçait en ôtant ses vêtements, geste symbolique synonyme de malédiction dans cette culture. Les négociations reprirent et aboutirent enfin.

Leymah et ses compagnes ont fait preuve d’une endurance exemplaire. La paix obtenue, le mouvement continua jusqu’au désarmement des combattants et aux élections.

Un modèle à suivre

Un tel combat spirituel est à la portée de tous ceux qui se réclament de l’Évangile et de l’action de l’Esprit de Dieu dans notre monde. Il montre l’impact que peut avoir l’engagement de gens ordinaires, armés de leur seule foi, sur le cours de l’histoire.

En 2007, Leymah Gbowee a étudié dans une institution mennonite et reçu les bases théoriques de ce qu’elle avait fait sur le terrain. C’est aux heures les plus sombres de sa vie, alors que, victime d’un partenaire abusif, elle avait trouvé consolation dans les promesses d’Esaïe 54 que sa carrière d’artisan de paix avait véritablement commencé.