Du vécu

Réflexions après une agression

Hugh Johnson

pasteur


Le pasteur Hugh Johnson, à la tête, pendant 43 ans, de l'Eglise Evangélique Méthodiste (EEM) d'Alger (Algérie), a subi une agression mercredi le 19 janvier 2005 qui a failli lui coûter la vie: un inconnu l'a poignardé d'un coup de couteau. Pour ENroute, il revient sur cet épisode dramatique et témoigne des leçons qu'il en a tirées.

J'avais entendu que deux personnes avaient été agressées à Alger juste avant mon retour d'une tournée aux Etats-Unis. Cela m'a surpris, parce que les choses semblaient se calmer après ce qu'on a convenu d'appeler « la décennie noire ». J'étais d'autant plus surpris que j'ai eu la joie d'en recevoir une d'elles dans la cour du Temple, et elle ne m'en a même pas parlé. C'était après sa visite que d'autres m'en ont parlé, et que j'ai appris que c'était ce même ami qui m'avait serré dans ses bras à mon retour à Alger. On m'a dit qu'après l'attentat contre lui, il est allé à pied à l'hôpital pour se faire faire deux points de suture, et qu'il est rentré chez à pied immédiatement après.
Quelques jours plus tard, l'Ambassadeur de Grèce a annoncé que le 19 janvier, veille de l'Aïd Elfitr et aussi de la célébration de la Semaine de Prière pour l'Unité des Chrétiens, une fête serait observée à la communauté des Orthodoxes grecs. Plusieurs personnes m'ont dit qu'elles voulaient y assister, et j'ai décidé d'y aller. Finalement la seule qui s'était présentée était une soeur de Grandchamp. Nous nous sommes mis en voiture, j'ai fermé la porte du garage, et je sortais par le portail donnant sur la rue Reda Houhou. C'était au moment où j'ai franchi le portail qu'un homme m'a heurté en courant, me forçant contre le mur du local. Il a pris la fuite, et je ne l'ai vu que de dos. C'est alors que je réalisais que j'étais la troisième victime, mais j'étais loin de penser que c'était plus grave que les autres attentats. J'ai mis ma main sur le dos, et en ce faisant j'ai fait tomber le couteau de boucher. La lame, d'une longueur de vingt centimètres et d'une largeur de deux centimètres, en était ensanglantée jusqu'à la manche en bois. J'ai averti les personnes au coin de la rue qui ont essayé d'attraper l'agresseur. J'ai demandé aux passants de dire à la soeur qui m'attendait dans la voiture de la fermer et de retourner à la maison. Un des passants a arrêté une voiture, demandant au chauffeur de me conduire vite aux urgences du grand hôpital d'Alger. Miraculeusement, il a fait le trajet à l'heure de pointe (09h30) en cinq minutes. Je saignais abondamment, et au moment où nous sommes arrivés au service des urgences, j'ai perdu connaissance.
Quand, quelques minutes après, je me suis réveillé, le service avait déjà commencé à me soigner, en premier lieu par des tentatives d'arrêter l'hémorragie. J'ai entendu l'annonce toutes les quelques secondes de la baisse de la tension artérielle, ainsi que la réduction de la respiration et la diminution du pouls. Après l'annonce de six sur quatre, la baisse s'est arrêtée, car l'hémorragie avait été maîtrisée. Il y avait une équipe d'une dizaine de spécialistes qui s'occupaient de moi. Ils faisaient tout pour me sauver, travaillant avec ferveur et compétence. J'ai été tout de suite après conduit en ambulance à la salle d'opération, et ensuite au service de réanimation. Chaque personne a pris soin de se présenter et de me dire quelle était sa fonction.
Voilà pour les premiers temps. Je suis resté dans ce service pendant plus d'une semaine. De là, j'ai été reçu chez des amis pour la période de convalescence qui a duré encore deux semaines, avec des retours à l'hôpital pour des contrôles.
On m'a demandé, après, qu'elles étaient mes pensées. Cela peut sembler curieux, mais tout d'abord, je n'avais pas du tout peur. La mort n'a jamais été pour moi un ennemi à redouter. Pendant tout ce temps-là, j'avais l'impression d'être en dehors de moi-même, à regarder ce qui se passait autour de moi, sur moi, en moi. Je ne sentais pas de rancune envers cette Algérie qui m'avait accueilli pendant plus de quarante ans, je ne pouvais pas imaginer que l'Islam en lui-même m'aurait fait cela, et je n'avais pas non plus une haine pour celui qui m'avait fait ce coup-là. Mais je ne comprenais pas. J'essayais de comprendre, mais je n'arrivais pas à le faire. Et, en tout cela, la peur ne m'a jamais gagné, ni la pensée de fuir ce pays pour chercher refuge ailleurs. Cela aurait été, dans mon esprit, un mauvais témoignage, voire un contre-témoignage. Ce serait inadmissible.
J'ai eu la conviction que ce que j'avais dit aux autres à maintes reprises était juste. Dieu ne nous envoie pas la souffrance, tout comme il ne nous en épargne pas, mais je sais qu'il nous accompagne dans l'épreuve, nous saisissant spirituellement la main pour dire sa présence dans tous les dangers. Je sais d'expérience personnelle ce que signifie marcher dans la vallée de l'ombre, et y être accompagné par le Seigneur. J'ai essayé pendant tout ce temps-là de faire comprendre cela à ceux, tant du personnel soignant, que des frères et soeurs de l'Eglise qui, eux aussi, m'ont accompagné. Je sais que ce message est passé, parce que le Seigneur était non seulement avec moi, mais aussi avec tous ceux qui m'entouraient, de loin ou de près. Je me sentais renforcé par l'amour fraternel, par la prière de chacun de ceux qui me remettaient au Seigneur, par la conviction de tout un chacun que la victoire était au bout de l'expérience, que la souffrance fait partie de notre cheminement avec le Seigneur.