Histoire

Conviction et tolérance…

Daniel Husser esquisse la pensée de John Wesley sur le chapitre de l’« esprit œcuménique » dans une série d’articles que nous publions à compter de ce numéro et qui sont des parties de la conférence publique qu’il a présentée à Strasbourg le 22 octobre 2012 à Strasbourg dans le cadre du Conseil Protestant de Strasbourg (CPS).


L’« esprit œcuménique » de John Wesley (1703-1791) : son message dans l’histoire et pour notre actualité (1)

Daniel Husser

Conviction, tolérance…, voilà deux concepts qui, pris isolément, sont aussi respectables que recommandables. Leur cohabitation n’est cependant ni évidente ni facile et fait courir le risque de déboucher, de part et d’autre, sur des voies et attitudes extrêmes.

Avoir de fortes convictions personnelles peut, en effet, rendre intolérant et, inversement, une large tolérance peut être le signe d’un manque de solides convictions. Mais plutôt que de disserter philosophiquement sur la relation entre les deux concepts, nous vous invitons à fixer votre attention sur un homme qui s’est efforcé de les concilier, dans son environnement social, politique et religieux de l’Angleterre du XVIIIe siècle. Cet homme, c’est John Wesley qui, avec ses disciples appelés  « Méthodistes », a apporté un vivant témoignage d’« esprit œcuménique », un témoignage dont l’interpellation se prolonge jusque dans notre actualité du XXIe siècle.

Pour suivre la pensée et l’action de John Wesley, nous utiliserons au maximum des documents de première main, tels que son Journal (tenu de 1735 à 1790), ses sermons et sa correspondance.

Il est certain qu’au cours d’une soixantaine d’années, la pensée de John Wesley a pu connaître diverses évolutions, comme cela est le cas pour tout homme. Cependant, les citations que nous avons choisies dans différents temps de sa vie, manifestent une remarquable convergence pour ce qui concerne l’importance donnée à l’esprit œcuménique, dans la confrontation entre convictions et tolérance.

Les articles qui vont suivre seront présentés en deux grandes parties :

A. La difficile relation entre convictions et tolérance

B. De l’histoire à l’actualité du XXIe siècle

LA DIFFICILE RELATION ENTRE CONVICTIONS ET TOLÉRANCE

…Dans les relations de John Wesley avec les catholiques

Dans une Irlande à forte majorité catholique, le Réveil méthodiste pénètre en 1747, par une première visite de John Wesley. De nombreuses conversions ont lieu, chez des protestants comme chez des catholiques, ce qui suscite de violentes réactions de la part des clergés des deux confessions. L’année 1750 fut la plus pénible. À Cork, John Wesley et ses disciples durent faire face à des foules hostiles, à des forces de l’ordre passives, à des projectiles et au saccage des lieux de réunion. Malgré ces attaques, John Wesley n’abandonne pas la partie et fera par la suite encore 40 voyages en Irlande. Ébranlé par cette explosion de haine et de violence, John Wesley réfléchit à la meilleure manière d’y faire face, et publie deux textes d’une importance capitale :  « La lettre à un catholique romain » et son sermon sur le  « catholic spirit » ( « catholic », dans le sens de  « universel, œcuménique »)

«La lettre à un catholique romain »

Voici un extrait de l’introduction de la Lettre :

 « Vous avez entendu 10.000 histoires sur nous qui sommes communément appelés protestants et si vous n’ajoutez foi qu’à 1000 d’entre elles, vous devez avoir une opinion très dure à notre sujet. Pourtant cela est contraire à la règle de notre Seigneur : Ne jugez pas afin de n’être point jugés. Cela aurait, de plus, de très mauvaises conséquences, vu que cela nous inciterait à avoir nous aussi, des pensées dures à votre égard…

…Je ne pense pas que toute l’amertume soit de votre côté. Je sais qu’il y en a de trop aussi du nôtre ; il y en a tant que je crains qu’un certain nombre de protestants soient en colère contre moi parce que je vous écris de cette manière et qu’ils disent que je vous témoigne trop d’indulgence.

Je vais donc m’efforcer de dissiper aussi calmement et paisiblement que possible ce qui fait la raison d’être de votre inimitié, en vous exposant ce que sont notre foi et notre pratique, afin que vous puissiez comprendre que nous ne sommes pas tous des monstres, comme vous l’avez peut-être imaginé… »

Dans le corps de la lettre, John Wesley appelle à ne pas juger sans avoir essayé de comprendre, attire l’attention sur la différence entre  « opinions » et  « beliefs » ou  « essentials » (éléments fondamentaux de la foi) relève qu’il existe suffisamment d’éléments communs dans la foi et la pratique des uns et des autres, pour qu’il soit possible de s’encourager mutuellement à l’amour et aux bonnes œuvres et il affirme, en conclusion  « …même si nous ne pouvons pas, en toutes choses, penser de la même façon, nous pouvons aimer de la même façon. Il y a un point sur lequel personne ne peut douter un seul moment :  « Dieu est amour et celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu en lui  « .

Le sermon sur l’« esprit catholique »

Dans le sermon sur le  « catholic spirit « , John Wesley élargit encore cette pensée :

 « Parmi les chrétiens, où sont ceux qui s’aiment les uns les autres comme Dieu nous en a donné le commandement ? Que d’obstacles sur cette voie ! ... Tous les enfants de Dieu peuvent être unis dans l’amour et, tout en conservant les légères différences qui les distinguent, ils peuvent marcher les uns et les autres dans l’amour et les œuvres charitables. « 

Pour ce sermon, John Wesley avait choisi deux textes de l’Ancien Testament : 2R 10.15 et Jr 35.3-10. Ils racontent la rencontre entre Jéhu, roi d’Israël et Jonadab, patriarche d’une tribu nomade, les Récabites, qui s’intégrera dans le peuple d’Israël tout en conservant ses particularités.

John Wesley  met en relief, à propos de cette rencontre, une question, une réponse et une invitation : Jéhu demande à Jonadab :  «  Ton cœur est-il aussi sincère envers moi que mon cœur l’est envers le tien ? « , puis, après la réponse affirmative de Jonadab, Jéhu l’invite :  « alors, donne-moi ta main « . Sur la base des paroles de cet entretien, John Wesley adresse alors à ses auditeurs et lecteurs les exhortations suivantes :

 « …que les petits points particuliers soient laissés de côté…Si ton cœur est comme mon cœur, si tu aimes Dieu et tous les hommes, je ne demande rien d’autre: donne-moi ta main... :

…aime-moi, comme un frère en Christ, un concitoyen de la nouvelle Jérusalem,…

…recommande-moi à Dieu dans tes prières,…

…provoque-moi à l’amour et aux bonnes œuvres,…

…fustige-moi amicalement, sans craindre de me reprendre dans tout ce qui t’apparaît comme volonté de l’accomplissement de ma volonté, plutôt que de la volonté de Celui qui m’a envoyé.

…Ces mêmes choses, par la grâce de Dieu, je suis disposé à les accorder moi aussi à celui qui est sincère envers moi. « 

Enfin, résumant sa pensée, John Wesley pose la question : mais, finalement, qu’est-ce qu’un homme animé d’un  « catholic spirit «  ? Et, avec la question, il donne aussi la réponse : 

 «  Ce sont tous ceux 

*  qui croient au Seigneur Jésus, quelles que soient leurs opinions,

*  qui aiment Dieu et les hommes,

* qui, joyeux de plaire à Dieu et craignant de l’offenser, sont attentifs à s’abstenir du mal et sont zélés pour les bonnes œuvres et

* qui portent continuellement dans leur cœur, de l’amour pour tous leurs frères. « 

Les fondamentaux priment sur les opinions

L’invitation adressée aux catholiques comme aux protestants d’accorder plus d’importance aux  « essentials « , bases communes de la foi, qu’aux  « opinions «  est certes génératrice de paix. Une question qui montre la difficulté de cette démarche se pose cependant :

Existe-t-il des limites indiscutables entre  « opinions «  et essentials «  ?

Ce qui est  « opinion «  pour les uns, peut, au contraire, être considéré comme  « essential » pour d’autres, comme cela apparaît par exemple à propos de la question du baptême.

Alors que, pour les baptistes, le baptême des croyants, par immersion, était une condition sine qua non d’admission dans leurs communautés, les communautés méthodistes admettaient « tous ceux qui ont le désir de sauver leur âme », quelle que soit leur origine.

Pour John Wesley, loin de vouloir mettre en question la signification du baptême, les priorités étaient ailleurs que dans des discussions et polémiques sur les modalités d’administration du baptême. C’est ainsi qu’il écrit à son correspondant Gilbert Boyce, le 22 mai 1750 :

 «  Certains pensent que le mode d’administration du baptême est déterminant pour le salut d’une personne…Je souhaiterais que leur zèle se concentre sur quelque chose de meilleur que sur la question de savoir si quelqu’un sera immergé ou aspergé. Je ne peux pas prendre la responsabilité devant Dieu de ne perdre qu’un peu de mon temps précieux. Je peux utiliser chaque heure de ce temps pour répandre son amour  parmi les hommes.

Devrais-je alors, au lieu de faire cela, attaquer ou défendre telle ou telle forme de pratique ecclésiale ?

C’est à un autre service que je me sens appelé. Mon service ne doit pas produire des anglicans ou des baptistes, mais des chrétiens, des hommes et des femmes remplis de foi et d’amour ».