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Pouvoirs renversés et mission de réconciliation de l’Église

Par Jean-Claude Girondin


Actu est à présent une rubrique commune à deux mensuels, Christ Seul, l’organe de l’Église mennonite et ENroute. Pour ce numéro, JC Girondin évoque le rôle que l’Église de Jésus-Christ peut jouer dans des pays aussi différents que la Côte d’Ivoire, la Tunisie ou l’Égypte tous déstabilisés après un grave conflit ou une franche dictature : sa mission placée sous le signe de l’écoute, de la compassion et de la réconciliation sera sacerdotale.

Depuis plusieurs mois, des événements sociaux et politiques agitent certaines parties du monde arabo-musulman. En Afrique, le départ manu militari du président Laurent Gbagbo de la Côte d’Ivoire au profit de son adversaire politique Alassane Dramane Ouattara a suscité la polémique.

D’un côté, nous avons assisté avec surprise à la chute de deux dictateurs (Tunisie, Égypte) et de l’autre à une contestation continue du pouvoir corrompu en Syrie de Bachar el Assad et au Yémen du président Ali Abdullah Saleh. Des bouleversements qui ont surpris le monde occidental !

Comme chrétien, je me réjouis du départ de ces dictateurs qui dirigeaient d’une main de fer ces pays tout en se faisant appeler « bienfaiteurs » (Lc 22.25) avec la complicité et les compliments du monde libre.

Mission sacerdotale

Quelle interpellation pour l’Église de Jésus-Christ dans sa mission ?

Je pense d’abord à la mission de médiation sacerdotale de l’Église. Comme image de Dieu, elle rend visible à la suite de Jésus-Christ, la présence de Dieu parmi les hommes. Après avoir écouté les joies et les peines humaines, elle les traduit devant Dieu en action de grâces et en intercession.1 Deux gestes liturgiques qu’illustre admirablement cette prière d’un esclave noir affranchi : « Seigneur, nous n’sommes pas c’que nous devrions être, nous n’sommes pas c’que nous voudrions être, nous n’sommes pas c’que nous serons. Mais, grâces te soient rendues : nous n’sommes pas c’que nous étions. »

Je crois que l’Église est appelée à se réjouir de ce que ces pays ont été délivrés de leurs oppresseurs. Dieu est à l’œuvre dans l’histoire de ce monde qu’il a créé (Gn 1-2) et qu’il aime (Jn 3.16), qui lui appartient avec tous ses habitants et ses richesses (Ps 24.1) et dont il veut le bien (Jr 9.7)). Dans sa grâce, il agit en changeant les temps et les circonstances. Oui ! Car ces Tunisiens, Égyptiens et Ivoiriens (ou leur pays) ne sont pas encore ce qu’ils devraient être et ils sont toujours privés de « compassion et de vérité », de « justice et de paix ».

Nous devons reprendre à notre compte pour eux ce que Jérémie dit à propos d’Israël « rechercher le shâlom pour ces pays » (Jr 29.7). C’est une question de justice économique et sociale (Am 5.24).

Part de la non-violence

Ma deuxième remarque porte sur l’action pacifique des jeunes de ces pays arabes. Elle nous montre que la non-violence dans la lutte pour le changement social n’est pas dépassée. Croyons-nous en la pertinence de l’action non-violente aujourd’hui ?

Réconciliation & reconstruction

Enfin, c’est la question du rôle de l’Église dans le processus de restauration nationale. Ce qui est en jeu, c’est la réconciliation ou la reconstruction sociale. Comment vivre ensemble après des années de dictatures, de violences et de souffrances ? Comment faire pour que les victimes d’hier ne deviennent pas les bourreaux de demain ? Les chrétiens de ces pays ont de grands défis à relever ! Quel rôle l’Église a – t-elle joué dans les conflits en Côte d’Ivoire ? S’est-elle compromise ? En quoi l’Église a-t-elle été actrice dans la transformation sociale ou du statu quo ? Va-t-elle s’atteler à son rôle de réconciliation ?

Acteur et non spectateur

Le chrétien ne subit pas l’histoire. Il agit dans l’histoire comme en témoigne l’exemple de Joseph à la cour de Pharaon (Gn 41) et Daniel à Babylone. Question pour nous : comment allons-nous accompagner les populations des pays mentionnés ? La prière est aussi contestation de la réalité, y compris devant Dieu. Dans la contrainte, la domination, l’esclavage, la prière affirme aussi l’indépendance de tout être humain. « Personne ne pourra empêcher un homme ou une femme enchaîné d’intercéder ; aucun dictateur ne privera ses opposants de la prière et l’exemple des premiers martyrs chrétiens en est une illustration. »2.

Notes

1 Jean Ansaldi, Le combat de la prière, de l’infantilisme à l’esprit d’indépendance, Poliez-le-Grand, Ed. du Moulin, 2001, p. 76-77.

2 Élisabeth Larthomas, Prier aujourd’huiObstacles — Opportunités — Enjeux,Alençon, Ed. Calamus, 2009, p. 89.