De l’histoire à l’actualité du 21e siècle

Conviction et tolérance selon John Wesley (3)


Dernier volet de l’étude substantielle de Daniel Husser consacré à la « difficile relation entre convictions et tolérance selon John Wesley (JW) ». Même datées, ses remarques ne sont pas surannées dans notre société sécularisée et multiculturelle. Daniel Husser tente de le démontrer.

Le message et l’exemple œcuménique de JW peuvent-ils encore nous interpeller ou nous encourager dans notre actualité, 221 années après sa mort?

Daniel Husser

Risque du repli identitaire

Il est évident que notre environnement religieux, politique, et social est bien différent de celui dans lequel a vécu JW. En Europe, nous sommes passés d’une société où le fait religieux occupait une place importante à une société de plus en plus laïque ou même déchristianisée, dans laquelle les chrétiens pratiquants sont devenus minoritaires. Cette évolution a eu pour conséquences le développement… de replis identitaires, de groupements intégristes ou fondamentalistes.


Dans une interview de septembre 2012, dans l’hebdomadaire La Vie, Mme Elisabeth Parmentier constate que «… Les replis identitaires ne concernent pas seulement les catholiques, mais toutes les Églises qui perdent leurs jeunes et se crispent sur leur propre projet ». Un tel repli peut prendre des formes passives ou militantes et aboutir, à la limite, à des dérives intégristes ou fondamentalistes plus ou moins dures qui, par leur radicalisme, excluent de fait toute approche œcuménique. « Le fondamentalisme afflige toutes les communautés religieuses et refuse le vivre ensemble… » avait regretté le Pape Benoît XVI en 2010, et ce constat a été confirmé, en octobre 2012, par l’échec des négociations entre le Vatican et les intégristes de la Fraternité sacerdotale St Pie X.

Face aux tentations de repli identitaire

« Je pense que nos contemporains, dans leur quête spirituelle, ne raisonnent pas en termes de concurrence, mais en termes de crédibilité. Des Églises concurrentes n’apportent pas un témoignage crédible. Il faut une offre partagée. » Elisabeth Parmentier

Du côté protestant, il existe également un certain nombre d’églises, notamment dans la mouvance évangélique, pour lesquelles toute forme de coopération œcuménique, surtout avec les Catholiques, est le signe d’une compromission condamnable et pernicieuse.

En ce qui concerne les musulmans, dont l’importance numérique et l’influence étaient bien moindres dans l’Angleterre du XVIIIe siècle qu’elles ne le sont aujourd’hui en Europe occidentale, leurs extrémistes, djihadistes ou salafistes, minoritaires mais très actifs, posent actuellement, par leur intolérance, des problèmes de sécurité publique de plus en plus grands. Leur haine des Juifs vient malheureusement renforcer les tendances à l’antisémitisme toujours latentes en Europe.

Ainsi, dans un article du 17 octobre 2012, Bernard Henri Levy écrit : « L’antisémitisme nouveau est arrivé. Face à ce phénomène, face à l’image révoltante de synagogues, de magasins kasher, d’écoles juives qui,… dans toute l’Europe prennent des allures de camps retranchés, la seule question qui vaille est désormais : Que faire ? »

Face au déchainement de haine et d’intolérance

Oui, que faire devant cette montée d’intolérance et de haine ?


L’appel de JW au dialogue, au respect et à l’amour aurait certainement besoin d’être encore lancé, à l’intention des extrémistes de tous bords, mais entendu aussi par tous ceux qui, face à ces situations, sont tentés de se laisser aller à des amalgames et jugements injustes. Animé du même esprit de tolérance, Benoît XVI a, pour sa part, lancé cet appel, en septembre 2012, lors de son voyage au Liban :

« Il faut que l’ensemble du Moyen-Orient comprenne que les musulmans et les chrétiens… peuvent vivre ensemble, sans haine, dans le respect des croyances de chacun ».

Développement et progrès des relations œcuméniques

La présence et l’agitation des extrémistes des différentes religions ne doivent pas nous faire oublier que, dans le monde et particulièrement en Europe, les contacts et dialogues inter-protestants, entre protestants et catholiques et entre catholiques et orthodoxes, se sont multipliés et intensifiés tout au long des XIXe, XXe et XXIe siècles. Face à une société de plus en plus déchristianisée, multireligieuse ou athée, les chrétiens engagés de tous les camps ont compris qu’il était important et urgent de rechercher une unité croissante.

Annoncer ensemble l’Évangile

Dans quel but ? Pour établir des contrats sophistiqués de bonne entente et de non-agression entre chrétiens ? Ne serait-ce pas plutôt pour être capables de communiquer ensemble l’Évangile de Jésus-Christ au monde, comme cela était aussi le but suprême de JW, ainsi qu’il l’a exprimé dans son Journal du 11 juin 1739 : « Je considère le monde entier comme ma paroisse. C’est pourquoi, où que je sois dans le monde, je considère comme mon devoir et ma dette d’annoncer la bonne nouvelle de l’Évangile à tous ceux qui sont prêts à l’écouter ».

Témoignage en commun

S’il vivait encore, JW aurait certainement eu beaucoup de joie en prenant connaissance de l’important accord signé conjointement, en janvier 2011, par les représentants de l’Église catholique, du Conseil Œcuménique des Églises et de l’Alliance Évangélique mondiale. Il s’agit d’un document de 4 pages (texte complet disponible sur le site eemni http://eemnews.umc-europe.org/2011/juillet/08-02.php) intitulé :

« Témoignage chrétien dans un monde multireligieux : recommandations de conduite »


Sans hésiter, JW aurait pu signer les articles concernant le témoignage chrétien et les recommandations pour leur mise en œuvre, dont voici quelques extraits :

Les fondements du témoignage chrétien

La mission fait partie de la nature même de l’Église. Proclamer la Parole de Dieu et rendre témoignage au monde sont fondamentaux pour tout chrétien. Pour autant, il est nécessaire de faire ces choses en accord avec les principes de l’Évangile et en manifestant respect et amour pour tous les êtres humains.

C’est un privilège et une joie pour les chrétiens de rendre compte de l’espoir qui les habite, et de le faire avec courtoisie et respect (1Pi 3.15).

Jésus-Christ est le témoin suprême (Jn 18.37). Le témoignage chrétien participe de son témoignage qui prend la forme de proclamation du royaume, du service du prochain, et de don total de soi-même, même si cet acte de don mène à la croix. Comme le Père a envoyé son Fils dans la puissance de l’Esprit Saint, les croyants sont envoyés en mission pour témoigner en parole et en action de l’amour du Dieu trinitaire.

Recommandations :

Les chrétiens sont appelés à faire preuve d’intégrité, charité, compassion et humilité, et à surmonter toute arrogance, tout mépris et sentiment de supériorité (Ga 5.22).

Les chrétiens sont encouragés à consolider leur propre identité religieuse et leur foi, tout en approfondissant leur connaissance et leur compréhension des autres religions.

Les chrétiens devraient continuer d’établir des relations de respect et de confiance avec les tenants de religions différentes, afin de faciliter une compréhension mutuelle approfondie, une réconciliation et une bonne coopération pour le bien commun.

Un ordre ne se discute pas, il s’exécute

Un témoignage commun sur de telles bases est-il actuellement possible, réalisable ? A-t-il des chances d’être entendu ?

Je laisse la réponse et le mot de la fin à John Wesley :

« Nous ne devrions pas demander si une mission est exécutable, mais plutôt si elle est ordonnée. Quand l’appel du Seigneur a retenti, nous sentons que, d’une façon ou d’une autre, nous avançons, que ce soit comme Pierre, à la surface des eaux, ou comme Israël, à travers les flots ».

22.10.2012