Evangélisation mondiale (2)

AFFIRMER LA VERITE DANS UN MONDE ENCLIN AU RELATIVISME

Mark L. Y. Chan


Le monde a toujours abrité des idéologies et confessions religieuses nombreuses et variées.

Ce pluralisme religieux s’est accentué en Occident en raison de la mondialisation et des migrations entre les pays. La facilité des déplacements modernes provoque un rapprochement géographique des adeptes de différentes religions. Nous rencontrons des personnes d’autres races et apprenons à connaître leurs cultures et leurs croyances grâce à la télévision et Internet. Les mosquées, les temples et les restaurants non-occidentaux reflètent de plus en plus la nature diversifiée des nombreuses sociétés occidentales.

Confrontés à de nombreux dieux et seigneurs

Ce phénomène est récent en Occident, mais en Asie le pluralisme a toujours été de mise ; pratiquement toutes les grandes religions du monde ont vu le jour et existent encore aujourd’hui sur le continent asiatique. En Afrique, l’Église a grandi aux côtés des religions traditionnelles, ainsi que de l’islam. La grande majorité des chrétiens vit donc de nos jours aux côtés de personnes se réclamant d’autres confessions. En cela, nous sommes un peu comme les premiers chrétiens qui proclamèrent Jésus comme Sauveur et Seigneur face aux nombreux dieux et seigneurs du monde gréco-romain. Comme l’Église primitive, nous sommes appelés à étreindre, incarner et déclarer la vérité selon laquelle Dieu s’est révélé de façon définitive et ultime en Jésus-Christ. Grâce à sa mort et sa résurrection, les pécheurs peuvent trouver le pardon et se réconcilier avec Dieu. Alors comment pouvons-nous proclamer le caractère définitif du Christ étant donné le pluralisme religieux et la relativisation de toute prétention à la vérité qui l’accompagne souvent ?

Les chrétiens doivent apprendre à travailler avec les adeptes de différentes religions pour le bien commun, sans compromettre leur foi. Certains déclarent que l’harmonie sociale ne peut être réalisée que si les croyants renoncent à leurs affirmations exclusives de vérité. L’Église doit relever le défi de démontrer le contraire.

La vérité tribalisée

Certains anciens penseurs chrétiens cessèrent de proclamer le caractère unique du Christ qu’ils remplacèrent par le pluralisme. Alors que sur le plan descriptif personne ne peut nier le pluralisme social et la coexistence des religions, ces penseurs adoptèrent un pluralisme métaphysique, partant du principe que toutes les religions sont des voies d’accès à Dieu (ou à la réalité divine ultime), qu’elles sont aussi valables les unes que les autres et qu’aucune religion ne peut prétendre détenir la vérité. Ils se rapprochent ainsi involontairement de l’hindouisme Vedanta. « Jésus n’est qu’une des nombreuses voies d’accès à la réalité divine ultime, un avatar parmi les nombreuses manifestations possibles du divin ». Ce clivage entre la « spiritualité » et toute religion spécifique est en harmonie avec notre culture post-moderne. Le souci majeur qu’elle pose aux chrétiens se trouve dans son aspect déstructurant : elle rejette toute vérité absolue et les métarécits qui donnent un sens à la vie. Il s’agit d’une relativisation de la vérité. Les conséquences pour l’Église dans son ensemble sont énormes, alors qu’elle tente d’incarner l’Évangile dans son intégralité et de l’apporter au monde entier.

Les postmodernes disent que nous n’avons pas accès à la vérité globale absolue ; tout ce que nous avons, ce sont des vérités, des récits construits au sein de nos communautés sans aucune validation extérieure. La vérité est donc tribalisée. Comme il n’existe pas de plate-forme neutre permettant d’évaluer les récits concurrents, nous devons accepter la multiplicité des points de vue mutuellement exclusifs. La vérité est constituée de tout ce qui se dégage de cet affrontement. Ainsi la vérité est définie par le pouvoir, et ceux qui se réclament de la vérité absolue sont perçus comme cherchant simplement à imposer leur volonté aux autres.

Les pluralistes postmodernes sont par conséquent méfiants à l’égard des autorités religieuses et de leurs déclarations. Pour eux, l’affirmation que Jésus est la vérité incarnée pourrait bien servir de couverture à l’impérialisme colonial, au chauvinisme culturel ou à l’intolérance religieuse.

La vérité privatisée

Le même soupçon s’applique à la morale — les catégories de « juste » et « mauvais » seraient des tentatives pour imposer notre point de vue aux autres. Pourquoi devrions-nous accepter les définitions d’autres personnes sur le bien et le mal ? Le bien et le mal deviennent ainsi une question d’interprétation privée. Les postmodernes n’ont aucune raison de dénoncer comme des conduites inacceptables les expériences sur les embryons, le commerce avec les régimes corrompus, l’aide financière à des sociétés véreuses. L’opportunisme et le pragmatisme économique conduisent à de nombreux questionnements. Qu’est-ce qui est utile ?

Qu’est-ce qui répond le mieux aux besoins d’une personne ? Qu’est-ce qui correspond à ses aspirations ? Un tel individualisme peut sembler ironique, compte tenu de l’accent placé par le postmodernisme sur la collectivité. Méfiant à l’égard de l’autorité et sans aucune norme transcendante pour le guider, l’individu se replie sur sa propre autorité. La vérité n’est pas seulement tribalisée, elle est privatisée.

Ces considérations affectent profondément notre perception de la spiritualité. Ceux qui ont une vision pluraliste de la réalité spirituelle peuvent pratiquer leur piété sans religion institutionnelle. Ils sont libres de choisir les idées religieuses qui leur conviennent et de façonner une spiritualité à leur propre image. Cette liberté est attrayante. Pour eux, tout désaccord avec cette approche constitue une démonstration de naïveté, d’arrogance, d’irrespect et d’intolérance envers les autres cultures et religions. On nous dit que les opinions absolutistes ne font qu’accentuer les tensions interreligieuses et les conflits intercommunautaires et, dans certains cas, incitent même à la violence.

Pour éviter la polarisation de notre monde fragmenté, « comment devons-nous donc affirmer la vérité de l’Évangile aujourd’hui ? » Il nous faudrait, selon eux, adopter une approche pluraliste de la religion et une attitude relativiste envers la vérité. Que devons-nous faire de ces critiques et de ces revendications ? Comment devons-nous donc affirmer la vérité de l’Évangile aujourd’hui?

L’amour plutôt que la tolérance

Connaître la vérité n’entraîne pas une intolérance arrogante. Ce serait confondre conviction avec condescendance ou désaccord avec comportement désagréable. Lorsque les relativistes répètent avec insistance qu’il n’existe pas de vérité universelle, ils soutiennent cette affirmation comme une vérité universelle ! Ainsi, le relativisme est aussi absolutiste que l’affirmation selon laquelle Jésus est « le Chemin, la Vérité et la Vie », et peut aussi être accusé d’intolérance. La foi chrétienne condamne l’arrogance et ne tolère pas une attitude de supériorité envers les personnes d’autres croyances. Bien sûr, l’histoire du christianisme comporte des exemples de chrétiens fanatiques et de pratiques honteuses dans le domaine de la mission. Mais ces ratés regrettables de l’Église ne mettent pas en cause la foi chrétienne. Les chrétiens ont le devoir d’être des gens remplis de patience et d’humilité afin de porter à tous « les paroles de la vie ». Les chrétiens sont appelés à l’amour plutôt qu’à la tolérance, de manière à refléter l’amour de Dieu pour tous, y compris les relativistes zélés, les pluralistes optimistes et les athées agressifs. En affirmant la vérité face au relativisme, nous avons affaire à des personnes et pas seulement à des idées. Le relativiste est une personne de chair et de sang avec tous les besoins et les désirs d’un être humain fait à l’image de Dieu. Gagner le relativiste pour le Christ est plus important que de trouver les bons arguments pour contrer ses raisonnements. Une crise économique mondiale ou une catastrophe naturelle ne font aucune distinction entre un relativiste et un exclusiviste. Lorsqu’un partisan du relativisme souffre, c’est rarement la solidité de notre argumentation en faveur de la vérité qui va l’attirer. Il ou elle sera davantage touché si des chrétiens remplis d’amour lui témoignent concrètement de l’intérêt. Nous ne pouvons pas réchauffer le relativisme mais nous pouvons envelopper d’une couverture un relativiste transi de froid.

Partager la vérité du Christ

Notre humanité commune est un bon point de départ pour partager la vérité du Christ. Nous pouvons aborder honnêtement la question des a priori dans le contexte sécurisant d’une amitié véritable où la confiance se gagne et consolide le respect mutuel. Les chrétiens peuvent apprendre à semer des graines de doute salutaires sur le terrain du relativisme en mettant en question sa capacité à fonctionner comme approche pour guider notre existence. Peut-on vivre vraiment sans référence à la vérité absolue ? Combien de personnes ont réellement  besoin d’être persuadées de la différence entre Mère Theresa et Pol Pot ? Même lorsque des gens nient la vérité de Dieu, celle-ci l’emporte parce qu’elle est cohérente et convaincante : elle sonne vraie au regard de la vie. Cette reconnaissance est un élément de la grâce commune de Dieu.

Dans notre climat relativiste, il est facile pour l’Église de perdre confiance dans l’Évangile comme « la puissance de Dieu pour le salut » et de renoncer à proclamer le Christ comme le seul chemin vers Dieu. Pour se garder du découragement, les chrétiens ont besoin d’être sérieusement fondés sur la vérité de l’Écriture et la connaissance du Christ. Aussi le travail d’affirmer la vérité dans notre monde doit commencer « à la maison » — dans la vie, le culte, et la catéchèse des disciples dans nos églises évangéliques.

Croire à la vérité absolue va à l’encontre de l’esprit de notre époque. Nous pouvons nous attendre à rencontrer l’opposition, la moquerie et l’exclusion. À cet égard, nous devons nous rappeler que celui qui était la vérité incarnée, que Jean décrit comme « plein de grâce et de vérité », est devenu 'vérité-crucifiée' entre les mains de ceux qui ont cherché à éteindre la lumière de la vérité. Pourtant, l’obscurité n’a pas eu le dernier mot. La lumière a percé le tombeau de Jésus et dans la résurrection du Christ, nous observons la ‘vérité-justifiée’! 

Traduction Jean-Philippe Waechter et Jonathan Hanley

Photo : Mark L. Y. Chan est professeur au Trinity Theological College, à Singapour. Il est membre du « Groupe de travail théologique » de Lausanne.

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