CONSULTATION INTERNATIONALE "CAPE TOWN 2010"

Plaidoyer pour le dialogue entre Chrétiens et Musulmans

Chawkat Mouccarry

Traduit et adapté par André Souchon


Ce document s’inscrit dans le prolongement de « Cape Town 2010 », troisième congrès de Lausanne sur l’évangélisation du monde (octobre 2010). Le dialogue ne s’oppose pas à la mission, nous explique le théologien d’origine arabe, Chawkat Mouccarry. Il applique ce principe aux relations des chrétiens avec les musulmans.

Les chrétiens évangéliques (dont je partage la théologie) opposent souvent dialogue et mission ; Pour moi, ces deux mots sont non seulement compatibles, mais ils doivent s’épauler l’un l’autre.

Mon parcours

Tout en étant chrétien, j’ai passé mon enfance dans une société à majorité musulmane. J’ai découvert à l’école que je possédais un trésor à faire connaître à mes amis musulmans en discutant religion avec eux. Ils voulaient en savoir davantage sur le Christianisme et moi, sur l’Islam au point que j’ai eu le droit d’assister aux cours de religion islamique. Le professeur me demandait souvent de donner mon avis sur certains sujets.

À Paris, après mes études de Théologie chrétienne, en tant qu’Arabe chrétien, et poussé par des questions posées au sein des Groupes Bibliques Universitaires, j’ai étudié l’Islam plus à fond, à la Sorbonne, ce qui m’a valu de revoir mes principales convictions chrétiennes que j’avais souvent prises comme allant de soi.

Après douze années d’enseignement sur l’Islam à la faculté de théologie « All Nations Christian College » en Angleterre, je travaille depuis trois ans pour World Vision5 qui est une organisation humanitaire chrétienne œuvrant dans 20 pays à majorité musulmane, avec un personnel principalement musulman dans des lieux comme l’Afghanistan, la Mauritanie et la Somalie. Donner une formation sur le Christianisme et l’Islam à tout notre personnel permet d’apprendre les uns des autres sur nos convictions respectives et souvent sur notre propre foi !


Qu’est-ce qu’un dialogue ?

Le dialogue implique l’effort délibéré d’entrer dans une relation authentique, respectueuse et réciproque, la volonté d’écouter, de comprendre, d’être prêt à apprendre et à être contesté ; c’est aussi le désir d’atteindre une mutuelle compréhension, sachant que l’objet du dialogue reste l’Islam et le Christianisme, ainsi que leurs conséquences pour les individus et les groupes, ici-bas et dans l’au-delà.

Pendant des siècles, les Chrétiens occidentaux ont négligé ou affronté le monde musulman. Aujourd’hui, certains Chrétiens tentent d’évangéliser les Musulmans dans la confrontation en attaquant l’Islam dans une guerre des mots qui déclenche souvent une contre-attaque encore plus violente. De plus, toute démarche polémique est incompatible avec « l’Évangile de paix » (Ep 6.15) relatif à l’amour, à la réconciliation et au pardon.

Le dialogue Chrétiens-Musulmans devient souvent une apologétique (défense de la foi) pour deux raisons au moins : d’abord, le Christianisme et l’Islam revendiquent des vérités conflictuelles sur la révélation de Dieu, qui pour les Chrétiens atteignent le sommet en Jésus-Christ, et pour les Musulmans, avec le Coran. La seconde : l’Islam accepte le Christianisme en tant que religion révélée par Dieu mais, en même temps, il rejette le cœur de l’Évangile (la divinité du Christ, sa crucifixion et sa résurrection). La « défense » de la foi chrétienne (voir 1Pi 3.15) doit se faire « avec respect et douceur ». Même dans un débat animé, le Chrétien doit s’interdire toute polémique, toute attaque personnelle et tout argument moqueur à l’égard des Musulmans et de leur religion.

Portée et résultats du dialogue

Le dialogue va plus loin que le simple engagement verbal. C’est un style de vie : attitude ouverte envers les autres, accueillante, même à l’égard de ceux qui sont différents, voire adversaires. Ainsi compris, le dialogue devient rencontre à troisniveaux comme celle de Jésus avec la Samaritaine (Jn 4.1 – 26) :

- Chrétiens et Musulmans se rencontrent en tant qu’êtres humains partageant les mêmes besoins et aspirations, joies et peines, espoirs et combats.

— Ils se rencontrent en tant que croyants monothéistes ayant en commun de nombreuses croyances et valeurs éthiques, en dépit d’une divergence d’opinions quant à celles-ci.

- Chrétiens et Musulmans prétendent être témoins de Dieu. Écarter l’obstacle des immenses malentendus sur nos fois réciproques fait partie intégrante du dialogue et rejoint ainsi le témoignage.

On mesure la qualité du dialogue à ses résultats : une meilleure compréhension de la foi de l’un comme de l’autre ; des relations améliorées entre les deux communautés, le renforcement de leur engagement social. Le dialogue est aussi une excellente école de tolérance. Il nous aide à surmonter notre indifférence, nos préjugés, notre égocentrisme, notre fanatisme et notre orgueil spirituel.

La conversion : résultat légitime du dialogue ? Oui, il est parfaitement légitime pour des croyants qui prennent au sérieux les prétentions exclusives de leur religion, d’essayer de persuader leur entourage. Il n’y a rien de mal à espérer et même à attendre que certaines personnes qui ont examiné sérieusement ces prétentions, prennent une décision qui va transformer leur vie à la suite d’un dialogue libre et transparent. Notre prétendue tolérance demeure vide de sens, si nous n’acceptons pas la conversion comme résultat possible du dialogue.

Quelques pistes

Le Coran comporte de nombreux éléments sur le Christianisme et les Chrétiens, tandis que la Bible ne pouvait rien dire au sujet de l’Islam. Jésus nous a donné un commandement sur la façon d’aborder les gens en général : « Tout ce que vous voulez que les gens fassent pour vous, vous aussi, faites-le de même pour eux : c’est là la Loi et les Prophètes » (Mt 7.12). Quel rapport souhaitons-nous que les Musulmans aient avec nous et avec notre foi ? Voici quelques implications pour nous, Chrétiens.

Aimer notre prochain exige que nous manifestions du respect envers les Musulmans et ce qui constitue le cœur de leur identité : leur Prophète, leur religion, et leur Livre. Cette attitude nécessite d’éviter les questions pièges, les commentaires désobligeants et un langage incendiaire. Il est vrai que certains Musulmans ne respectent pas les recommandations du Coran pour discuter avec les Juifs et les Chrétiens « de la meilleure façon possible » (Sourate 29 : 46). Mais ce n’est pas une excuse pour que les Chrétiens s’adonnent à une critique dévastatrice de l’Islam. Il faut formuler nos critiques mais de la manière la moins offensive, en prenant soin de les justifier. Jésus enjoint ses disciples d’observer d’un œil critique les prophètes autoproclamés (Mt 7.15-20) ; dans la même veine, il leur commande également de s’examiner eux-mêmes (Mt 7.1-5,21-23).

Faisons preuve d’équilibre et comparons ce qui est comparable : cessons de comparer les Chrétiens modérés avec des extrémistes musulmans, ou le Christianisme idéal avec l’Islam populaire, de beaux textes bibliques avec des passages qui font problème dans le Coran et vice versa. Ce faisant, les Chrétiens ne doivent pas oublier ce que dit l’Ancien Testament sur la guerre sainte, la polygamie, le code pénal, le prophétisme et la théocratie.

Il nous faut étudier l’Islam et agir en amis avec les Musulmans. Servons-nous des documents islamiques en adoptant une attitude humble désireuse d’apprendre. Reconnaissons que la communauté musulmane est gardienne de sa propre tradition : ce sont eux qui sont les interprètes autorisés de leurs Écritures. Certaines approches tendent à christianiser l’Islam, d’autres à le diaboliser ; aucune d’elles ne rend justice à l’enseignement islamique qu’il faut considérer pour ses propres mérites.

Toute approche chrétienne de l’Islam doit s’incarner dans la vie, manifester de la sympathie et un esprit critique, davantage dans le souci du Musulman que de l’Islam. Disciples du Christ, nous avons la double obligation d’aimer nos prochains musulmans comme nous-mêmes et de leur communiquer la Bonne Nouvelle. Non seulement ces obligations sont inséparables mais la seconde s’effectue le mieux comme expression de la première. Le dialogue est, en fait, le moyen privilégié de « dire la vérité dans l’amour » (Ep 4.15) aux Musulmans aussi bien qu’à d’autres confessions religieuses.

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