Au-delà de nos frontières

Au Cambodge: des raisons d'espérer

De retour du Cambodge où, avec une délégation de CONNEXIO, nous avons pu visiter, du 24 janvier au 10 février 2004, quelques-unes des 120 jeunes communautés méthodistes, je voudrais vous partager quelques impressions fortes et qui m'ont interpellé.
Ce sont autant de sujets de reconnaissance et de raisons d'espérer en l'avenir, avec la conviction que « Celui qui a commencé (au Cambodge) une oeuvre bonne, en poursuivra l'achèvement, jusqu'au jour de Jésus-Christ»

Première Conférence Annuelle de l'Église Méthodiste au Cambodge

La nouvelle Église méthodiste de Banteay Meanchey (district de Sandan)

Le 29 janvier 2004 les pasteurs et délégués laïques des communautés méthodistes cambodgiennes se sont réunis à Phnom-Penh, avec les envoyés des différentes missions, pour tenir ensemble la 1re Conférence Annuelle de cette jeune Église unie, constituée à partir de l'oeuvre de 4 missions.
Ouverte par un culte avec célébration de la sainte cène, cette première assemblée constitutive a posé ensuite les premiers jalons pour la mise en place d'organes, statuts et règlements nécessaires à l'organisation de la vie de l'Église. Prions pour qu'un nombre de plus en plus grand de chrétiens cambodgiens puisse prendre en mains les nouvelles responsabilités. La Conférence Annuelle s'est terminée par l'envoi solennel des pasteurs et responsables laïques dans leurs paroisses d'affectation.
Le rayonnement d'un orphelinat
30 Janvier
 : à une vingtaine de km de la capitale nous découvrons avec ravissement, en rase campagne, le pimpant « village d'enfants » créé par la Mission Méthodiste de Singapour : 8 pavillons de 16 orphelins et « parents » cambodgiens chacun, entourés de fleurs et reliés par des allées couvertes à un grand réfectoire commun, à des salles de culte et d'études, hébergeant les 128 orphelins recueillis. Un cabinet médical et dentaire permet d'assurer les soins nécessaires aux enfants lorsque des médecins et dentistes missionnaires sont de passage. A ces moments les habitants des villages voisins peuvent aussi venir pour bénéficier de soins.
«Les besoins matériels des enfants sont à peu près satisfaits maintenant», dit Carol, missionnaire méthodiste qui dirige l'orphelinat. « Il reste maintenant le travail le plus important et le plus difficile: répondre à leur besoin d'amour »
A ma question : « Existe-t-il des Églises chrétiennes dans les villages voisins?», Carol répond : « Non, pas encore, mais la semaine dernière, le chef du village le plus proche est venu nous demander si nous pourrions venir assurer des "cours sur la Bible" dans sa maison » 
Quel magnifique témoignage !
«Vivre » la sainte cène à Kompong Thom
Dimanche 1er février : Une « Église » (en réalité la maison du pasteur débarrassée des meubles) bondée, de beaux chants cambodgiens entraînés par un groupe de louange dynamique, une participation joyeuse des enfants et d'un important groupe de jeunes, qu'il est beau de louer l'Éternel dans la « grande assemblée » de Kompong Thom ! Prions et agissons pour que bientôt le projet de construction d'Église puisse démarrer afin que tous ceux qui le désirent puissent y trouver une place.
Au moment de la sainte cène, le pasteur Ven Voun Chen demande au groupe de jeunes de venir sur l'estrade pour accompagner la lecture des paroles d'institution de la cène par des chants et des gestes. Plusieurs des jeunes, chrétiens depuis peu, sont tellement émus à l'évocation du corps du Christ brisé pour nous et de son sang versé pour la rémission de nos péchés, qu'ils ne peuvent retenir les larmes Ma prière : «Seigneur renouvelle en chacun de nous cette fraîcheur de perception, cette profonde sensibilité, face à l'immensité de ton amour révélé par ton sacrifice à la Croix!»
Vaches d'Église et banque de riz
Ce dimanche après-midi, après avoir été secoués sur une mauvaise route pendant 1 h _ nous arrivons à l'Église Méthodiste du village de Phum-Srê entouré de rizières, de cocotiers et de palmiers à sucre. 
Accueil enthousiaste de la communauté qui offre aux visiteurs des noix de coco avec une paille pour boire le délicieux jus.
Accompagnés par un petit orchestre d'instruments traditionnels, nous célébrons le culte dans la simple mais fonctionnelle Église en bois construite par la communauté avec de l'aide extérieure.
A la fin du culte, le pasteur Peou-Phalla nous explique comment l'Église, en plus de l'annonce de l'Évangile, aide la population à lutter contre la pauvreté :
Après avoir commencé avec une vache, l'Église possède maintenant un « troupeau » de trois vaches gardées et soignées par des membres de la communauté. Les veaux produits par ces vaches sont ensuite remis à ces personnes qui pourront les vendre au marché ou les élever et s'en servir pour tirer charrues et charrettes.
Les enfants de l'école du dimanche de l'Église Évangélique Méthodiste de Mulhouse seront certainement heureux d'apprendre que, grâce à leur don, le troupeau compte maintenant une vache de plus !
Cette communauté gère aussi une «banque de riz»: lorsque la récolte a été bonne, les paroissiens sont invités à déposer un ou plusieurs sacs de riz dans la réserve de l'Église. Quand le riz vient à manquer avant la nouvelle récolte, les villageois peuvent venir emprunter du riz, en payant une petite redevance ; l'argent ainsi recueilli servira à ceux qui n'ont aucun autre moyen pour se procurer leur riz quotidien. On pense à Joseph en Égypte.
Le soir, Phalla réunit dans l'Église tous les enfants, adultes et personnes âgées qui faute de moyens et d'occasions n'ont pu apprendre à lire. Grâce à ces cours d'alphabétisation, le nombre de ceux qui peuvent lire la Parole de Dieu a considérablement augmenté.
N'est-ce pas là un exemple porteur d'espérance de chrétiens qui s'efforcent de vivre leur foi dans toutes les dimensions de leur vie, avec l'aide d'autres Églises certes, mais surtout en prenant eux-mêmes les initiatives à leur portée pour venir en aide aux plus démunis d'entre eux ?
«Le coeur de l'homme médite sa voie, mais c'est l'Éternel qui affermit les pas» (Prov 16.9)
Que le Seigneur continue à réaliser cette promesse pour la communauté de Phum-Srê et pour toutes celles qui, comme elle, prient et agissent en comptant sur son aide puissante et fidèle.
Daniel HUSSER


ALGÉRIE

"Les musulmans: un défi, un danger, un cadeau pour nos Eglises et nos sociétés?"

Il est 5h30 du matin. Le muezzin appelle à la prière. J'apprécie celui de Constantine. Son appel est plus mélodieux, plus agréable à l'oreille. La dernière fois, à Oran, je l'ai ressenti comme une agression pour mon oreille. Mais quelque soit la ville, à chaque fois je suis étonné de la fidélité et de l'engagement avec lesquels ces hommes s'adonnent à la prière, que ce soit dans la mosquée ou dans les lieux de prière de l'aéroport, voire au bord d'une route de montagne ou en pleine ville. Ils m'interpellent et je me dis: quel cadeau d'avoir la prière.

La ville de Constantine

«Les musulmans : un défi, un danger, un cadeau pour nos Églises et nos sociétés?»
Tel était l'intitulé du colloque proposé par l'Église catholique et l'Église réformée du canton de Vaud et ouvert aux Églises évangéliques. Cette rencontre a attiré à St-Maurice du 27 au 29 janvier 2004, 60 à 70 pasteurs, prêtres, travailleurs sociaux et autres personnes confrontées dans leur quotidien ou par intérêt à ce défi que pose l'islam non seulement à notre monde occidental mais aussi au dialogue entre religions et particulièrement au christianisme.
Mon expérience avec les communautés chrétiennes en Algérie, en milieu musulman, a éveillé en moi l'intérêt pour la participation à ce colloque.
D'entrée, nous avons entendu des phrases situant bien la question et témoignant de ce défi que nous ne pouvons esquiver :
«Dieu est amour et communion. Aimer Dieu, c'est aimer l'autre. Et il ne faudrait pas aimer Dieu de travers». (Pierre BUSCHER, évêque auxiliaire de Lausanne).
Ou encore : «Le dialogue religieux n'est pas une mode, mais une nécessité». (Philippe BAUD, prêtre catholique et fondateur du centre catholique d'études de Lausanne).
L'affrontement entre chrétiens et musulmans est-il inéluctable ou y a-t-il un espace de dialogue possible? Entre croyants monothéistes, pouvons-nous partager nos interrogations et pouvons-nous cheminer et découvrir Dieu?
«L'homme est ennemi de ce qu'il ignore». Ceci s'applique largement aux relations entre musulmans et chrétiens. Et déjà la relation se charge d'agressivité à cause de la peur de l'autre, des clichés rapportés et souvent déformés.
Le dialogue «interreligieux» ne conduit en rien au relativisme. Les différences ne doivent pas être passées sous silence. Les autres veulent savoir qui nous sommes. D'où la nécessité de ne pas faire des amalgames ou des raccourcis simplistes en jugeant globalement. L'islam en Algérie n'est pas le même qu'en Arabie saoudite. 
Il existe dans le milieu musulman une multiplicité « d'islam » ne facilitant pas le dialogue avec l'ensemble. D'autre part la différence dans les attentes des musulmans à l'égard de leur religion est bien souvent comparable aux différences perçues dans notre propre société.
Christian DELORME (surnommé «le curé des Minguettes»), prêtre à Lyon, l'a bien montré dans sa présentation concernant la situation des musulmans en France. 
Voici les différentes sortes d'islam :
- Islam sécularisé qui ne cherche pas à s'imposer, qui bricole avec sa foi (un peu comme certains chrétiens). Ne demande pas forcément d'encadrement ; c'est un islam libéral, individualisé. On ne l'entend quasiment pas.
- Islam légitimiste officiel, qui s'aligne sur les pays d'origine. Les Marocains écoutent les discours du Ramadan. La mosquée de Paris est, politiquement, fortement liée au groupement marocain.
- Islam militant piétiste visant la « réislamisation des musulmans » ; il est souvent comparé aux Témoins de Jéhova. C'est d'abord une attitude piétiste, peu politisée. Mais il est militant, visible, sans vouloir bouleverser la société.
- Islam politique Il n'exige pas seulement de pouvoir vivre sa foi, mais il pense qu'il a quelque chose à dire à la société. L'exemple type est Tariq Ramadan. Cet islam est présent dans tous les médias, les dialogues, dans la société et la politique. Il perturbe la société et les Églises (et pas seulement avec la question du voile; il exige aussi des horaires séparés hommes ­ femmes dans les piscines, etc.)
Au cours de ce colloque nous avons aussi entendu des témoignages poignants de personnes engagées dans le travail avec les musulmans et qui sont une interpellation réelle pour l'Église, comme par exemple celui de Jean-Pierre BARBEY, aumônier des «cités interdites», centre de réfugiés de Vallorbe.
Il y a 3-4 ans, l'état décide de déplacer à Vallorbe le centre d'accueil de Genève, dans lequel vivent environ 250 personnes, hommes, femmes, familles, enfants. En général, il y a 30 personnes chaque jour qui entrent et autant qui partent de ce centre. 82 pays ont déjà passé par là. Il n'existe aucun lieu d'intimité pour les familles et ces personnes vivent dans la promiscuité et le bruit continuel. Pas de possibilité d'intérioriser les souffrances et les drames vécus par chacun. Un petit lieu d'aumônerie a été ouvert et permet la rencontre, c'est un lieu de pacification pour ceux qui vivent la foi chrétienne. Immédiatement la question s'est posée: comment offrir cette possibilité aussi aux musulmans. A Vallorbe il n'existe aucun lieu permettant aux musulmans de se rencontrer le vendredi. Il ne s'est trouvé aucune communauté chrétienne disposée à mettre une salle ou un lieu à disposition. Partout incompréhension et peur de faire de nos Églises des mosquées. L'Église catholique pensait que c'est le domaine politique qui devait s'en occuper. Si le curé proposait une salle, c'est le conseil de paroisse qui s'y opposait. L'Église du Réveil elle non plus ne pouvait accepter, affirmant que sa mission était d'annoncer la vérité et d'aller chez les musulmans pour annoncer Jésus-Christ. Et cet aumônier de conclure : difficile de faire comprendre à mes frères chrétiens l'urgence de faire un pas en avant pour construire quelque chose avec les musulmans.
Bien d'autres questions ont encore été soulevées au cours de ce colloque de trois jours qui n'avait pas pour but d'établir de grandes résolutions. Mais peut-être pouvons-nous faire nôtre l'appel de l'un des participants qui demandait que chacun au cours de cette année fasse une action avec ou pour nos frères et soeurs musulmans.

« Laisserons-nous à notre table un peu d'espace à l'étranger ?
Trouvera-t-il quand il viendra un peu de pain et d'amitié ?
Laisserons-nous à nos paroles un peu de temps à l'étranger ?
Trouvera-t-il quand il viendra un coeur ouvert pour l'écouter ?
Laisserons-nous à nos fontaines un peu d'eau vive à l'étranger ?
Trouvera-t-il quand il viendra des hommes libres et assoiffés ?
Laisserons-nous à nos Églises un peu d'espace à l'étranger ?
Trouvera-t-il quand il viendra des coeurs de pauvres et d'affamés ?
Ne laissons pas mourir la terre, ne laissons pas mourir le feu,
Tendons nos mains vers la lumière, pour accueillir le don de Dieu ».
(Arc en Ciel, n° 317)
Daniel NUSSBAUMER