Partager sa foi dans l’espace public (4)

Plaidoyer pour une laïcité ouverte... à la spiritualité

Jean-Philippe Waechter Pasteur


Si nous fêtons en cet automne 2005 la loi centenaire du même nom consacrant la séparation des pouvoirs relgieux et politique et la liberté de culte dans notre pays, en 2001, un autre anniversaire était célébré en grande pompe, la loi associative. Le rédacteur d’En route, alors président de Radio Espoir, a apporté sa modeste contribution au débat sur la libre expression dans le domaine public lors du rassemblement initié par le Conseil Général du Lot-et-Garonne le 29 septembre 2001, « Terre d'Assos ». Ci-dessous un court extrait de son intervention qui n’a pas perdu de sa pertinence. Ceux qui le souhaitent retrouveront l’intégralité de sa conférence (pdf 24 ko) à cette url



Svp, ne tombons pas dans le laïcisme, qui prône l’exclusion du religieux des différentes sphères publiques et le réduit à ne plus être qu’une affaire privée : une conception laïciste de la religion affiche la volonté déclarée de restreindre au maximum les possibilités d’existence des religions, voire la passion de les anéantir. Le principe de laïcité n’est pas inféodée à une philosophie explicitement antireligieuse. Le combat pour la laïcité ne se confond pas avec un combat contre les religions. Tout au contraire. La dimension spirituelle chez l’homme est chose sacrée à ne pas refouler.
Sources et ressources spirituelles
La laïcité a ses acquis, la séparation des pouvoirs, la franche distinction entre les Eglises et l’Etat et il n’est certainement pas question de revenir dessus. La société gagne néanmoins à repérer et à retrouver ses sources comme d’autres leurs marques. Elle gagne aussi à faire l’inventaire de ses ressources spirituelles; Dieu sait qu’elles sont nombreuses. L’Europe a en effet à son actif un drôle de bagage spirituel ou religieux - ne chipotons pas sur les mots, les deux termes sont appropriés-, et la laïcité bien comprise n’exclut pas cette dimension mais la fait jouer à plein régime, la laïcité n’est pas l’exclusion de la liberté de croyance, elle en est l’accomplissement.
La laïcité comme neutralité religieuse ?
La laïcité est souvent comprise comme neutralité religieuse, càd., absence de philosophie officielle, refus de prendre position sur les questions ultimes que rencontre toute existence humaine. Or la laïcité n’est pas dans le mutisme sur les options qui divisent, mais dans la capacité d’écouter et d’accueillir la parole de l’autre personne comme autre dans le dialogue.
La laïcité à l’épreuve du dialogue
La culture laïque signifie l’aptitude acquise à s’écouter les uns les autres dans l’amitié, sur des choix ultimes et opposés. En ce sens, je désire souligner que la laïcité en terre associative n’est pas le silence sur ce qui divise, mais la patience d’écouter et de comprendre ceux ou celles dont les options métaphysiques s’opposent aux miennes. 
Je plaide pour une laïcité ouverte, qui reconnaisse à chacun le droit de discuter librement sur tous les sujets, sans que personne ne crie au scandale, qui permette aux gens ayant des convictions fortes de s’exprimer jusque dans l’espace public sans que personne ne cherche à les rabrouer. La laïcité que j’appelle de mes voeux prend le temps et la peine d’écouter l’autre et d’être interpelée par l’autre, le différent, l’étranger à ma culture et à mes convictions propres, car même si, sur certains points, j’ai des lumières, je ne suis pas la lumière du monde. Tout au plus suis-je pour l’autre un témoin, qui lui rapporte ce que j’ai entendu, un relais, qui lui transmet ce que j’ai a reçu, un poteau indicateur, qui lui indique le chemin à suivre dans sa quête de sens et de valeur.
Face aux gens du Kazakhstan venus l’écouter (en 2001), Jean-Paul II affirmait que, même dans un Etat laïc, il fallait affirmer et défendre cet espace réservé au dialogue et au témoignage, le droit du croyant à témoigner publiquement de sa foi. « Une religiosité authentique, disait le pape, ne peut se réduire à la sphère privée, ni ne peut être enfermée dans des espaces étroits et marginaux de la société ».
Admet-on vraiment, suffisamment, dans notre société ce droit au partage, cette liberté d’expression jusque dans l’espace public ? Ce droit d’entrer en dialogue entre citoyens de cultures et de convictions différentes, et de pousser ce dialogue aussi loin que possible, càd le droit de partager avec l’autre le fond de sa pensée, comme d’écouter son vis-à-vis, de le laisser exprimer ses convictions à lui ? Agir ainsi, c’est participer à l’édification d’une société plus humaine, c’est faire oeuvre citoyenne, c’est apporter sa pierre à l’édification d’une société plus fraternelle, c’est concourir à renforcer la démocratie.
Pour finir, j’exprimerais le souhait: que quand un chrétien, un communiste, un socialiste, un bouddhiste ou un musulman témoigne de ses convictions les plus profondes, nous évitions de le taxer de prosélytisme, sous prétexte qu’il communique ses convictions, car cela revient à lui demander de se taire et de se terrer : tais-toi, terre-toi ou tire-toi. On peut porter un témoignage crédible de ses convictions, dans la « douceur du dialogue » sans qu’une telle prise de parole soit tout de suite assimilée à une tentative de prosélytisme, péché suprême pour certains, pour les Taliban comme pour ceux qui leur ressemblent.
Dieu nous garde dans nos contrées d’une telle intolérance, j’espère que jamais notre société s’inspirera d’un tel modèle! Notre pays a déjà trop souffert par le passé de l’intolérance religieuse et philosophique de ses dirigeants pour que nous tombions de nos jours dans le même travers. Au moins que les leçons de l’histoire portent !