La vie de notre Église en Afrique du Nord


Pasteur Hugh Johnson: Un attachement à une terre et à un peuple


— Propos recueillis par JP Waechter

À l’occasion de la Conférence annuelle 2012 à Frutigen, nous avons interrogé le pasteur Hugh Johnson sur son parcours pastoral en Algérie, — plus de 45 ans de ministère — et l’évolution de l’Église en Afrique du Nord. Vaste panorama couvert dans l’espace d’un bref interview. Vrai défi !


Saint Augustin

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Avant d’être terre musulmane, l’Algérie a suscité de grands hommes de Dieu, dont Saint Augustin (IVe siècle), « un homme au cursus assez particulier », au mode de vie diamétralement opposé à la foi chrétienne avant de passer par une véritable conversion : « À un moment donné, il a eu une expérience spirituelle qui lui a réchauffé le cœur, un peu comme John Wesley et a déterminé la suite de son existence ». Ce Père de l’Église a eu le souci de l’unité de l’Église : St Augustin « se situait en face des Donatistes, le groupe puritain de l’Église qui s’opposait à d’autres convertis, loyaux à l’État romain. De ce fait, les Donatistes traitaient les adhérents aux « Romains » de renégats. Il y a eu beaucoup de conflits entre ce qu’on appelait l’église de Rome et les Donatistes, ce qui a fini par affaiblir l’Église d’Afrique du Nord, au point qu’elle était quasiment inexistante à l’arrivée de l’islam au VIIe siècle».

La colonisation française

Le christianisme disparaîtra de la place jusqu’au XIXe siècle avec l’arrivée des Français : il y a eu « d’abord l’Église catholique et en 1840 c’est au tour de l’Église réformée de venir servir les militaires et les colons/fermiers qui s’étaient installés en Algérie. C’était là le début du protestantisme en Afrique du Nord ».

Le méthodisme

Aussi curieux que cela puisse paraître, le méthodisme a fait son apparition en terre algérienne par le biais du méthodisme français, nous explique Hugh Johnson : « Un français de la Drôme passait en train entre Bejaïa (qui s’appelait Bougie à cette époque-là) et Alger (peut-être en sens inverse). À un moment donné, il a regardé les collines et vu des agglomérations assez denses, un village kabyle et arabe aussi. Il s’est dit : « ces gens-là ont aussi besoin d’entendre l’Évangile ». Sans plus, il a été en France pour taper du tambour de façon à ce que les gens soutiennent une installation méthodiste en Afrique du Nord. À partir de la Kabylie, l’Église méthodiste s’est implantée en Algérie : « C’était vers 1883. Le premier pasteur méthodiste en Algérie venu s’installer à Bougie était un Allemand.... À partir de là, l’Église méthodiste a commencé à développer ses activités et à se répandre… ». Son développement sera freiné considérablement par les événements qui secoueront l’Afrique du Nord, la crise des années 30 et la seconde guerre mondiale : « Le tout avait affaibli l’implantation. Mais l’implantation s’est faite presque partout en Algérie, en deux endroits en Tunisie (Sfax et Bizerte) ».

Son engagement missionnaire

Hugh évoque les conditions de son départ en Algérie dans les années 50. Pour le moins que l’on puisse dire, il n’était pas partant pour ce pays, mais Dieu en décidera ainsi : «… On m’a suggéré d’aller en Algérie et honnêtement quand on m’a proposé l’Algérie, ça m’a semblé être « une sorte de maladie ». Ma première réaction a été négative. Le pasteur qui a essayé de me recruter me disait : ‟voilà, il y a une série de livres, de brochures, etc.... à lire, tu comprendras mieux ce qu’est l’Église en Algérie. Tu vas découvrir qu’avec chaque lettre Dieu t’appelle en Algérie‟. Il avait raison ».

Le coup de pouce décisif viendra de sa fiancée d’alors, Fritzi devenue son épouse : « Avant même le mariage, je lui avais parlé de cet appel. Et sa réponse a été bouleversante. Elle m’a dit : « quand est-ce qu’on y va ? »

Il faut dire que le pasteur Hugh Johnson était de fait particulièrement bien préparé pour venir dans ce pays musulman vu sa maîtrise des langues sémitiques (arabe et hébreu). Son évêque relèvera sa forte habileté dans les langues et lui déclarera sans ambages : « je suis admiratif de voir la facilité avec laquelle tu apprends les langues et je vais t’envoyer en Kabylie, parce que personne ne veut apprendre cette langue-là ». Le voilà parti pour se familiariser avec le berbère dont il deviendra rapidement familier.

Et c’est le démarrage d’une mission passionnée, passionnante au milieu de la population locale à l’hospitalité légendaire : « Les liens se tissent assez rapidement et des gens se rapprochent de nous… Ils ont toujours eu cette hospitalité et ils continuent à l’exercer ».

La mission n’était pas tâche facile dans le contexte de la guerre d’indépendance qui ne disait pas encore son nom, couplée au conflit séculaire entre Kabyles et Arabes considérés comme des envahisseurs. Les troubles publics ont obligé le pasteur à faire preuve de beaucoup de prudence : « Cela a posé des problèmes dans nos relations avec les autorités, car ils avaient l’impression que nous prenions parti pour la cause des Kabyles avec qui ils étaient en opposition. Aussi étions-nous davantage reconnus par les Berbères ».

Autrement dit, la tâche de missionnaire était à plus d’un titre risquée de son propre avis : « Je pense que c’était toujours risqué. Les missionnaires qui nous ont précédés ont beaucoup souffert et si nous avons pu connaître un certain succès, le succès provenait des efforts des premiers missionnaires méthodistes qui étaient là et je tire le chapeau à ces missionnaires. Ils avaient beaucoup de zèle et de science ».

Constitution de l’Église d’Alger

À l’indépendance du pays, l’Église réformée d’Alger fut confiée à l’Église méthodiste, autant la communauté locale que ses bâtiments, nous confirme Hugh : « c’est ça : l’Église réformée de France, au moment où je suis venu à Alger, a confié les bâtiments et la congrégation à l’Église méthodiste ». Composite était cette Église réformée naissante à Alger, nous détaille Hugh : « Les Européens partaient assez rapidement après la guerre d’indépendance tandis que certains restaient. Il y avait des Réformés pieds-noirs qui pensaient que l’Algérie était leur pays et ne voulaient pas partir. Parmi eux, il y avait quelques convertis issus des efforts missionnaires méthodistes et qui ont voulu, compte tenu de l’évolution de la situation, faire partie de l’Église réformée d’Algérie ». Les bases de cette communauté qui traversera les années troubles étaient jetées. La communauté cherchera à rassembler les chrétiens de toutes obédiences et de toutes origines : « Il y avait des chrétiens arabes et surtout kabyles. Ça a été mon souci principal de les réconcilier… », confirme Hugh.

Le pasteur aura donc pour souci principal de donner visibilité et lisibilité à cette Église protestante d’Alger, l’EPA, sans tourner pour autant le dos à la Kabylie qu’il avait fidèlement servie durant 13 ans. Il entendait servir de front la Kabylie et Alger avec l’aval même de son évêque : « s’il peut continuer à servir le peuple berbère tout en servant le peuple d’Alger, je l’approuve… ». « Ça a bien marché, nous confirme le pasteur Johnson, le peuple de la paroisse réformée d’Alger m’a accueilli à bras ouverts….»

Au fil des années, cette église se dote de statuts et s’enregistre auprès des autorités comme l’Église protestante d’Alger (EPA) : « En 1972, nous avons transformé les statuts de l‘Église réformée d’Alger en Église protestante d’Alger ».

Proche de la population

Cette église ainsi remaniée traversera les années de guerre civile. Son pasteur a fait le choix de rester sur place quels qu’en soient les risques : « on est tombé tellement amoureux du pays et du peuple qu’on est resté, et même si on a dû baisser la tête quand les balles sifflaient autour des oreilles, on est resté… »

Cette volonté de rester aux côtés du peuple en souffrance a gagné le cœur des Algériens. Le pasteur en a acquis une certaine popularité : « On a agi à Alger exactement comme on avait agi en Kabylie pendant la guerre civile. On a dit : « notre place est avec le peuple ». Ils ont apprécié le fait que je pouvais témoigner de ma foi sans les agresser ; ils l’ont beaucoup apprécié».

Proche de l’Église catholique

Et dans ces temps trouble, le pasteur ne cache pas que sa proximité avec l’archevêque Henri Teissier lui a été d’un grand secours et vice-versa : « Mgr Teissier et moi-même, nous nous sommes considérés comme deux représentants de l’Église en Algérie. Quand il avait un problème, il venait en parler avec moi. Et pour moi, c’était l’inverse aussi ».

Souci de fédérer

Au lieu de se disperser sous les feux de la guerre, les croyants se regroupaient et malgré l’adversité les communautés chrétiennes poussaient comme des champignons en Kabylie surtout ; et comme Hugh était habité par le désir de fédérer et d’unir, il a tâché de protéger l’ensemble de ces nouvelles communautés naissantes dans le cadre de l’EPA, qui, d’‘Église protestante d’Alger’ devenait ‘Église protestante d’Algérie’. C’était toujours le même sigle, mais la structure s’était ouverte à l’ensemble des communautés nées dans le pays au gré du réveil, nous explique Hugh : « Tout à fait.… Nous avons continué à utiliser le même sigle dans l’optique de rassembler tous les chrétiens… ». Un pasteur français, aumônier militaire, en sera le premier président de 1972 à 1980.

Président de l’EPA

Après quoi, Hugh Johnson prendra la tête de l’institution pendant quelques années : « Je faisais de mon mieux pour créer une église ouverte et accueillante, non seulement pour les populations d’Afrique du Nord mais aussi pour les populations d’Afrique et d’Europe, etc... pour que ce soit une église non pas internationale mais une église avec des composantes internationales », ouverte, pas seulement nationale et attentive à toutes les diversités et sensibilités théologiques : « Dans une église composée de gens de différentes origines il y a toujours une diversité absolue ; mais au début de mon séjour à Alger on a constaté qu’il n’y avait que six Réformés, mais peu à peu commençaient à venir des gens d’autres horizons. À un moment donné, on avait un assez grand nombre d’Africains, de presque tous les pays du sud du Sahara. Certains étaient des migrants économiques mais d’autres venaient pour étudier à Alger, parce que le gouvernement algérien avait des universités très calées pour former les gens de toute l’Afrique avec l’arrière-pensée qu’ils influeraient sur la politique des nations nouvelles libres ».

Chocs en série

Avec nous, Hugh Johnson évoque ensuite une page douloureuse de sa vie, l’agression qui a failli lui coûter la vie : « En 2005,… je suis sorti du portail de l’endroit où j’habitais sans regarder où je mettais les pieds. J’ai entendu des bruits de pas derrière moi, je me suis déplacé un peu vers le mur pour laisser passer cet homme apparemment si pressé. Mais cet homme se dirigeait vers moi pour planter une lame de couteau de 3 cm de largeur et d’une longueur de 20 cm au milieu de mon dos ». Si l’agresseur a disparu sans être inquiété, Hugh a été transporté d’urgence à l’hôpital proche de 500 m. Il sera sauvé de justesse. Non sans humour, il reconnaîtra la main du Seigneur : « Et je pense que le Seigneur en me regardant me disait : « je n’ai pas besoin de toi maintenant, mais plus tard. Retourne à ton service ». L’assistance du corps médical comptera pour beaucoup dans son rétablissement relativement rapide, comme il en témoigne : « Une infirmière restait près de moi jour et nuit pour veiller à tous mes besoins et aussi pour empêcher les gens de venir m’embêter et me fatiguer. Elle me disait dans l’ambulance qui me transférait d’un service à l’autre : « n’aie pas peur, tu as Mère Thérésa avec toi. C’est moi ». Le Seigneur a envoyé son ange…

La légionellose a failli aussi l’emporter quelques mois plus tard. Seule la présence d’esprit et l’efficacité d’un médecin consulté d’urgence lui ont permis d’échapper à la mort, grâce à Dieu selon ses dires : « Le pneumologue qui m’a soigné m’a dit que si j’étais venu un jour plus tard je serais sorti dans un cercueil ».

Le refus du renouvellement de sa carte de séjour provoquera chez lui un dernier choc et non des moindres, car il trouvait cette mesure profondément injuste : « Ma première réaction a été de dire que cela ne pouvait pas se faire, parce que je n’avais commis aucune entorse à la société algérienne. J’ai toujours respecté les options des autres. Je partageais honnêtement ma foi, mais sans l’imposer. Et je ne sais toujours pas jusqu’à présent par qui la décision a été prise ». Mais vivre aussi longtemps dans un pays et devoir le quitter prématurément laisse des traces jusque dans son sommeil, relève-t-il non sans humour : « J’aimais tellement l’Algérie que j’aurais voulu y rester. Il y a un autre truc : après, quand il fallait rester plus longtemps en France, c’était aussi peut-être l’inspiration du Seigneur, je suis allé en Algérie toutes les nuits quand je dormais ». Comme quoi on ne quitte jamais un pays que l’on aime. Et un pays, c’est des personnes en chair et en os et avec qui on partage son temps et l’essentiel de son trésor. Hugh acquiesce : « C’est ça ! Un pays, c’est son peuple ! Ce n’est pas sa géographie. Une église, c’est son peuple, mais pas les bâtiments et quand on a dans son cœur un pays et ses gens, une église et ses gens, ça ne vous quitte jamais !

OPA sur l’EPA

Un sujet fâche, on ne peut pas ne pas l’aborder en fin d’interview, à savoir la décision de l’Église protestante d’Algérie (EPA) de réclamer par voie de justice ses bâtiments à l’Église protestante d’Alger (EPA) qui les utilise pourtant légalement et légitimement. Le pasteur rappelle la chronologie des événements : « La paroisse avait parfaitement le droit d’occuper ces locaux. L’Église réformée de France les ayant confiés par legs à la paroisse sur place. Des gens qu’on avait accueillis à l’époque au sein de l’Église protestante d’Algérie, mais qui ne se réunissaient pas là, mais dans des garages et des salons, etc.... disaient que ce n’était pas juste qu’ils aient, eux, à souffrir d’un manque de locaux alors que nous, nous étions à l’aise. On ne peut pas dire que nous étions à l’aise, on disposait seulement d’un lieu et ce lieu que nous occupions était légalement le nôtre. À cette époque-là, je n’étais plus président de l’Église. Par le jeu démocratique, ils ont élu dans l’église de plus en plus d’Algériens pour être responsables de l’Église. À un moment donné, pendant que j’étais soigné de la légionellose, et que j’avais décidé de ne pas revenir très souvent en Algérie, ils ont décidé de me remplacer. Une fois que j’étais remplacé, ils se sont dit : « pourquoi, s’il n’est pas là, nous priverions-nous de cet endroit de choix en plein centre d’Alger ? » Ces dirigeants l’ont fait, ils ont fait une véritable OPA sur l’EPA ! Des négociations avaient été entamées mais sans succès : « ils réclamaient les lieux et finalement ils sont venus un jour avec un papier qu’ils avaient tiré du cadastre d’Alger disant que le bâtiment appartenait à l’Église protestante d’Algérie : « Maintenant, c’est nous qui sommes les responsables de l’Église protestante d’Algérie et il y a des étrangers ici, on n’a pas besoin d’eux, on va prendre les lieux, avoir notre culte à notre aise pour les chrétiens algériens ».

Ce geste a été un véritable crève-cœur pour le pasteur Hugh Johnson qui avait contribué à la naissance de cette fédération d’églises. Il était profondément triste que ce lieu de culte ait été détourné de sa destination d’origine : « Ça me crève le cœur encore maintenant, mais au moment où ils avaient fait cette action-là, je n’étais plus en Algérie ».

De cœur à cœur

Et quand je demande au pasteur Johnson ce qu’il aimerait dire aux protagonistes de ce drame, il répond sans amertume ni haine : « Ce que j’aurais à dire, c’est qu’ils n’avaient pas besoin de saisir un local, parce qu’ils avaient eux-mêmes des projets de nouveaux lieux de culte en d’autres endroits dans l’Algérois, projets de nouvelles activités, d’autres centres d’action et tout ça aurait pu être couvert par l’Église Protestante d’Algérie et même nous aurions cherché des fonds en Algérie ou à l’étranger ». Il est dommage que les voies de la collaboration fraternelle n’aient pas été empruntées jusqu’ici.

Aux victimes de cette expulsion «manu militari» des lieux séculaires de l’Église protestante d’Alger, il rappelle qu’avant d’être un bâtiment, l’Église rassemble des pierres vivantes : « l’Église, c’est les gens, c’est les fidèles, ce ne sont pas les lieux. Alors nous avons dû quitter ces lieux pour un autre, ailleurs. Nous avons demandé, quémandé un abri à l’Église catholique d’Alger laquelle a toujours été très accueillante, toujours bien disposée à l’endroit de l’Église méthodiste d’abord et ensuite vis-à-vis de l’Église réformée ».

Partenariat franc

À défaut d’une communion suffisante à ce jour avec l’EPA, l’Église protestante d’Alger poursuit son bout de chemin en étroite collaboration avec l’Église catholique sur le terrain, s’en réjouit le pasteur Hugh Johnson : « Et je dois rendre un témoignage franc et solide aux Catholiques qui ont manifesté une réelle ouverture. C’est d’autant plus remarquable que cela n’a pas toujours été le cas au cours de l’histoire. On était une minorité en Algérie. Après le rétablissement de l’Église en Algérie après 1830, la seule façon d’être chrétien quand on est une minorité minuscule, microscopique, c’est d’être chrétien ensemble et d’apprendre à conjuguer Église avec église ». Méthodistes et Catholiques ont vécu sur place un partenariat fraternel sans ombre..., «toujours », relève Hugh.

En conclusion, je rappelle au pasteur Hugh Johnson la devise de la Conférence annuelle 2012 « Agir avec courage » ; elle lui paraît de nature à lui réchauffer le cœur.