La parole au surintendant Daniel Nussbaumer

2005 : fusion sans confusion

La parole au surintendant Daniel Nussbaumer
Pour ce numéro de rentrée, nous demandons au surintendant de nous faire en quelque sorte l'état des lieux de notre Eglise aux lendemains de la Conférence Annuelle à Thun ; en francophonie (France, Suisse et Algérie) et de nous donner son sentiment sur les rapprochements en cours entre l'UEEM et l'EMF.
Interview réalisée par jp.w



La vie de surintendant n'est pas de tout repos, je suppose, toujours en route, en de rares occasions seulement de repos à la maison. Est-ce exact?
C'est en effet beaucoup de mouvements et de va-et-vient, d'autant plus que le district va du nord au sud, de l'ouest à l'est aussi, puisque je suis régulièrement à Zurich également.
Cela fait deux ans que cela dure?
Oui, j'ai commencé maintenant la troisième année.
La nouveauté introduite depuis la Conférence Annuelle Suisse/France/Algérie 2003, était l'affectation d'un surintendant au district francophone pour assurer une meilleure cohésion de l'ensemble francophone, c'est bien ça?
C'était la volonté de favoriser et permettre la meilleure possible intégration de la partie francophone à la Conférence Annuelle.
Avec un rôle primordial de coordination dans l'Eglise algérienne en plein développement, n'est-ce pas?
Avec un rôle de modération, de coordination, de faire dialoguer les gens, oui tout à fait; cela fait partie de cette fonction de surintendant, de cette charge qui m'a été confiée par l'évêque plus particulièrement pour l'Algérie.
Une Eglise en plein développement, mais aussi une Eglise en pleine crise ... de croissance?
D'une manière générale, oui. En Algérie, il y a des communautés de tous bords, en Kabylie d'une part, et aussi dans le cadre de notre Eglise : il y a des lieux où la croissance est assez grande, je pense à Oran, par exemple. En Kabylie même nous avons ouvert le Centre de formation à Larbaa, qui commence à se mettre en place; cet été, la formation sera dispensée trois semaines de suite.
Justement, une des caractéristiques de cette Eglise, c'est sa jeunesse et son impératif besoin de formation. Quelle est la réponse apportée par l'Eglise Méthodiste à ce besoin urgent à court et à moyen terme?
Nous avons actuellement A. A., qui est responsable de cette formation en Algérie dans le cadre de notre Eglise. Il est plus qu'à mi-temps là-bas et visite non seulement nos communautés, mais aussi les autres communautés. 
La formation est une nécessité, mais nous ne pouvons pas tout faire. C'est la raison pour laquelle nous sommes aussi en dialogue avec d'autres églises, avec l'Eglise Libre, qui a un programme de formation décentralisée et qui est aussi disposée à s'engager là-bas. Nous mettons des choses en place, sans qu'il y ait encore actuellement du concret, mais c'est une réalité, le besoin est grand.


Ensuite, il faut aussi évoquer les trois Algériens en train de se former actuellement en Faculté de Théologie et c'est là un espoir pour l'Eglise d'Algérie?!
C'est non seulement un espoir, c'est un besoin. Je suis très heureux de savoir que H. G. qui étudie à Genève, lui, devrait terminer dans une année, l'été prochain. Il se réjouit beaucoup de retourner dans son pays pour s'engager comme pasteur dans les communautés. Nous avons également à Vaux-sur-Seine H. et D. K. qui sont heureux de se former, eux aussi avec pour seul objectif de servir l'Eglise en Algérie. Il y a d'autres jeunes en train de se former, pas seulement de notre Eglise, un jeune a fait ses études à Nogent et est déjà à l'oeuvre en Algérie et puis il y a Stéphane qui se prépare aussi; il ne sait pas encore exactement quand il pourra retourner en Algérie et travailler là-bas, mais il effectue actuellement un stage à Alger avec le pasteur Hugh Johnson; il y a des perspectives. Il est vraiment important que certains se forment et s'engagent dans l'Eglise là-bas.
Et c'est une Eglise minoritaire dans un pays à majorité musulmane. L'islam et l'islamisme, et donc l'extrémisme musulman, ne refroidissent pas le courage et l'ardeur des frères et des soeurs d'Algérie en particulier en Kabylie , toujours plus nombreux à former des communautés et c'est une leçon pour tous, pour les Français en particulier tentés de se terrer dans le silence à cause du laïcisme ambiant et rampant?!
Je pense que tous ceux qui vivent la foi chrétienne découvrent une réalité qui dès lors fait partie de leur vie et qui leur permet simplement de vivre. Ils savent qu'ils ont cette liberté de vivre leur foi et ce n'est pas du tout en opposition ou bien en lutte contre qu(o)i que ce soit qu'ils vivent joyeusement leur foi, la découverte de Jésus-Christ, la liberté que Dieu donne dans leur vie. Il y a bien entendu une différence entre l'ensemble de l'Algérie et la Kabylie. En Kabylie, certains articles font état de 30% de croyants dans la ville de Tizi-Ouzou ; j'ai un peu de la peine à croire ces chiffres, mais ils sont significatifs quand même et témoignent d'un réveil spirituel en cours là-bas.
La France est une terre de fraternité et d'égalité, -l'interview est réalisée le 14 juillet-, cette France assiste avec anxiété à la montée des extrémismes, de l'antisémitisme et de la xénophobie. Y-a-t-il lieu aujourd'hui de favoriser quelque part l'apprentissage de la tolérance, l'apprentissage du respect des autres, la connaissance des autres religions?
C'est une nécessité et nous ne l'éviterons pas, même si c'est dans la douleur. Ces manifestations de violence auxquelles nous assistons ne sont finalement que l'expression d'une réalité présente avec laquelle nous devons apprendre à vivre : la présence d'étrangers parmi nous. Je pense qu'en dépit de lois sur l'immigration, on n'arrêtera pas le mouvement et le flux de la mondialisation, -le brassage des populations est une réalité- nous devons apprendre à vivre les uns avec les autres et accepter cette dimension-là. Alors est-ce que c'est une question de tolérance, est-ce un apprentissage du respect les uns avec les autres? N'est-ce pas aussi une richesse ?
En quoi l'Eglise d'Algérie, nos frères et soeurs en Algérie, sont-ils susceptibles de nous aider à remplir notre mandat missionnaire dans notre pays : est-ce dans le sens qu'eux-mêmes sont confrontés à une religion dominante et apprennent à converser et à dialoguer?
Peut-être justement dans le fait que, dans la réalité qu'ils vivent, ils vivent leur foi simplement, joyeusement et sans crainte, étant dans un milieu où ils se savent quelque part différents, ils n'ont pas peur de simplement dire qu'ils appartiennent à Jésus-Christ et ils le vivent sans faire de grands discours ou de grandes campagnes, parce que surtout ce n'est pas autorisé ou tout simplement impossible ; mais là où ils sont, ils parlent et ils le vivent en invitant à droite et à gauche.
C'est un modèle de foi vécue au quotidien?
Oui, je le pense tout à fait.
Revenons en France ! Dans ce contexte, deux Eglises de tradition méthodiste s'apprêtent à fusionner, ou plus exactement dans un an s'achèvera par un vote le processus de rapprochement entre l'Eglise Méthodiste de France et l'UEEM: de part et d'autre on s'interrogera si on veut pérenniser l'union.
Tout à fait.
Alors moins un an de cette échéance, comment se présentent les choses? Favorablement?
Selon ma perception des choses, j'ai l'impression que les signaux sont au vert. Je ne pense pas que nous reviendrons en arrière. Les Eglises, les membres de nos églises, sont, on le sent très nettement, ouverts à cet aspect-là. Maintenant, ne nous leurrons pas : on rame de part et d'autre pour essayer de se mettre à niveau, d'essayer d'avoir quelquechose qui puisse être vraiment commun pour avancer ensemble vers le futur.
Les deux traditions se réclament toutes deux du méthodisme, les oppositions ne portent pas sur le plan spirituel et théologique...
Je ne pense pas que ce soit nécessairement deux mouvements méthodistes, deux Eglises méthodistes qui font que ces deux Eglises soient proches les uns vers les autres et peuvent marcher ensemble, mais bien plus le fait que ce soient deux Eglises évangéliques avec des racines communes dans le méthodisme qui nous a poussés l'une vers l'autre. Je crois que c'est sur ce terrain-là que nous nous retrouvons. De part et d'autre, notre histoire nous influence et c'est de là que viennent aussi les différences. Mais finalement, ces différences, nous pouvons les ressentir localement chacun dans sa propre Union.
Avec la devise éminemment méthodiste "unis sur l'essentiel et souples sur le secondaire" on peut avancer raisonnablement?
Exactement. Mais malgré tout, c'est justement là qu'il sera toujours à nouveau indispensable de discuter, de dialoguer, qu'on sent que nous aurons toujours et à nouveau des différences. La volonté n'en demeure pas moins d'être mieux ensemble, plus ensemble pour avancer, pour donner une parole unie ; c'est sur ce terrain-là que nous voulons nous retrouver. L'EMF et l'UEEM sont deux petites Unions, un peu marginalisées je dirais. Si nous travaillons davantage ensemble, nous parviendrons mieux à atteindre notre objectifs qui est de proclamer l'Evangile, de vivre l'Evangile ensemble, même si c'est un objectif à long terme, car nous sentons bien qu'il y aura bien du travail dans la vie commune pour que nous nous sentions un.
En particulier des problèmes d'ordre structurel, pratique, concret, matériel, qui conditionnent aussi tout progrès...
Parce que malgré tout nous avons des traditions différentes, des habitudes différentes,
des modes de gestion différentes aussi,
je crois que c'est indispensable de trouver un petit dénominateur commun. 
Quels seraient d'après toi le dénominateur commun, minimum, le principe de la solidarité par exemple entre les Eglises fortes et les Eglises faibles?
Nous voulons toujours à nouveau défendre ce principe de solidarité; c'est indispensable; on le sent très nettement dans notre Union;
parce que derrière cela il y a le principe de la connexio cher à l'Eglise Méthodiste
Tout à fait, c'est une réalité; il est indispensable de se donner les moyens nécessaires. Je ne crois pas qu'il y ait une volonté de casser ce principe-là. Nous investissons pour continuer de vivre ce que nous appelons la connexio, être ensemble et trouver les moyens pour poursuivre notre route ensemble. Il est important de trouver les moyens, par le soutien des églises-surs, pour maintenir des postes dans des lieux plus défavorisés, avoir des églises plus petites pouvant continuer leur témoignage dans ces lieux-là ; c'est ça, la connexio, le principe de solidarité.

En Route (ER): Et cela passe aussi par la défense du ministère pastoral, autre plus petit dénominateur commun à défendre...
Daniel Nussbaumer (DN) : tout en sachant que le ministère pastoral est en profonde mutation, qu'il nous faut accepter des changements sans remettre en question le ministère pastoral. Les pasteurs qui le désirent sont libres d'envisager le temps partiel en raison des difficultés financières que connaissent plusieurs de nos églises mais aussi si l'opportunité se présente. Comprenons-le bien, ce n'est pas une remise en cause du ministère pastoral et l'église continue d'avoir besoin d'hommes et de femmes engagés, consacrés ; c'est la chose la plus importante qui existe. 
ER : Que répond le surintendant aux inquiétudes exprimées par Marc Schmidt dans le Messager Chrétien du mois de juin 2004?
DN : Je n'y lis pas que des inquiétudes; j'applaudis Marc Schmidt quand il encourage chacun à se mobiliser, à vivre justement cet engagement financier dans l'Eglise et à y être un donateur joyeux et généreux, en sorte que les questions financières cesseront de limiter notre vie d'Eglise.
La crise du ministère pastoral, ou plutôt la crise des pasteurs -je suis convaincu qu'elle existe- connaît différents aspects. Entre autre, elle est un appel à la responsabilité des laïques, des personnes qui forment l'Eglise. Nos gens gagnent à en prendre conscience, à assumer les responsabilités de l'Eglise avec le pasteur: ce n'est plus le pasteur qui porte la responsabilité de l'Eglise, c'est l'Eglise dans son ensemble, les uns avec les autres.
ER :C'est éminemment biblique et une des redécouvertes du méthodisme.
DN : Absolument!
ER : Alors justement, le méthodisme en Europe marque un jubilé, 50 ans de Conférence Centrale du Centre et du Sud. Que nous apporte cette expérience à l'heure de l'ouverture de l'Europe aux 25: l'Europe méthodiste dépasse les frontières?....
DN : Aujourd'hui encore, où l'on ressent très fort la dimension de l'individualisme, du chacun pour soi, du besoin de se replier sur soi-même et protéger son bien, la question peut se poser : en quoi est ce que l'autre m'intéresse? Avons-nous à nous préoccuper de l'autre? Je crois que cette Conférence Centrale est un des signes du vécu que nous avons ensemble. Elle montre concrètement ce que signifie vivre avec des frères et des soeurs d'autres milieux, d'autres régions et d'autres pays. Il y a une richesse absolument extraordinaire dans cette dimension-là; aujourd'hui encore elle est marquée par ce partage de la solidarité dont on a parlé tout à l'heure, sans laquelle nos frères et surs de l'Est ne pourraient pas assumer beaucoup de leurs engagements. Il est bon que cet aspect là nous interpelle, nous qui demeurons tout de même dans des pays aisés.
ER : Merci Daniel pour cet entretien.
Interview téléphonique réalisée le 14 juillet 2004