La vie de notre Église

"Mon année en Algérie" par Soeur Vroni Hofer

Après son départ à la retraite, la Sœur Vroni Hofer, supérieure de la communauté des diaconesses de Bâle, a pris la décision de partir pour un an en Algérie. Elle s’est mise au service de la communauté d’Alger de l’Église Protestante d’Algérie. Dans l’article qui suit, Sœur Vroni partage ses expériences au milieu d'une église vivante, minorité agissante au milieu d'un peuple en majorité musulman. Une église fragile exposée à des dérives sectaires, - nous signale le pasteur Aït Abdenour Abdelmalek -, et à un début de persécutions, selon divers journaux locaux.
99 % de la population est musulmane. Avec le départ des Français, la population chrétienne s’est réduite en une petite minorité. En 1974, les communautés protestantes se sont jointes à l’Église Protestante d’Algérie (EPA). Aujourd’hui après un réveil spirituel en Kabylie, 28 communautés font partie de l’EPA. Ces communautés ainsi que l’Église catholique sont reconnues par l’État. À la date du 1er septembre 2006, une nouvelle loi religieuse est entrée en vigueur. Les cultes ne peuvent avoir lieu que dans des bâtiments religieux, l’évangélisation est strictement interdite. Les chrétiens doivent se comporter avec discrétion — mais l’église est vivante et des personnes viennent à la foi en Jésus-Christ. Certains chrétiens algériens souffrent à cause de leur foi. Récemment, Kamel, un étudiant au visage rayonnant, a été exclu de sa famille. Obéida avait pu se procurer une Bible ; ses parents l’ont découvert et déchiré la Bible.


 Maintenant, il vient presque tous les jours à l’Église pour prier, lire la Bible, chanter et jouer du clavier pendant des heures. Arezki et sa famille de 6 personnes sont les uniques chrétiens de leur village. Parents et voisins ne cessent de les harceler.Notre communauté à Alger est internationale. Ses membres proviennent d’au moins dix pays différents. Sur les 40-50 participants au culte, deux tiers sont Africains noirs, pour la plupart des étudiants venus faire des études à Alger avec une bourse très réduite.


Le travail parmi la jeunesse
Ce travail a commencé par un vendredi pluvieux au début du mois d’octobre 2005. Environ dix étudiants et étudiantes noirs africains étaient présents au culte. Nous avons parlé ensemble à l’issue du culte — avant de retourner dans leur petite chambre collective à l’université. « Nous devrions leur servir une soupe chaude et créer pour eux un local où ils puissent passer leur temps libre ensemble », me suis-je dit. Les responsables de la communauté ont donné le feu vert, avec les jeunes, nous avons vu quels étaient leurs besoins. Des amis de Suisse nous ont offert un téléviseur, une radio, un ordinateur et un clavier. Nous avons élu les responsables du groupe de jeunes et les bénissions au cours d’un culte. Dès le début s’est aussi créée une chorale. Les étudiants et étudiantes ont trouvé un home spirituel chez nous. La chorale s’exerce tous les jeudis au moins pendant trois heures et vendredi elle chante au cours du culte. Ensuite, les jeunes partagent le simple déjeuner que je leur ai préparé. Ils passent ici une partie de leur temps libre et viennent nous trouver avec leurs joies et leurs soucis. (Après mon départ, des femmes de la communauté ont repris cette tâche). A deux reprises, je me suis rendue avec 25 étudiants pour une retraite spirituelle dans un lieu dirigé par un jésuite. C’étaient des journées magnifiques, nous avons loué Dieu par nos chants et nos danses, nous avons vécu une communion fraternelle intensive, et Dieu a permis à plusieurs de prendre un nouveau départ dans la foi.
La situation des femmes
Fazia était une jeune chrétienne indépendante, active. Elle avait sa propre voiture et aimait sa liberté. Neuf ans auparavant, elle s’est mariée — et depuis ne peut plus quitter sa maison sans être accompagnée. Au cours des premières années, elle se croyait comme en prison et pleurait beaucoup. Grâce à son témoignage, son mari est aussi devenu chrétien et sa situation s’est améliorée. Et pourtant, elle ne peut jamais partir seule, son mari la mène partout dans sa voiture et ne lui accorde aucune liberté. B. travaille comme professeur, son mari a une affaire. Elle doit remettre tout son salaire à son époux et ne reçoit rien pour elle-même. À son insu, elle donne des cours privés de français pour disposer personnellement d’un peu d’argent.
Les chrétiennes dont les maris sont musulmans, doivent vivre leur foi en cachette et ne peuvent venir à l’église que secrètement. Beaucoup de femmes ont de 6 à 10 enfants. Si le mari est au chômage, la détresse est grande. « Tu sais, nous passons notre vie à obéir », dit Zohra (51 ans) au fil de notre conversation. « D’abord j’obéissais à mon père, à mes frères plus âgés et à mes oncles, plus tard j’ai obéi à mon mari, et maintenant j’obéis à mon fils ». Les étudiantes algériennes m’ont décrit leur vie en ces termes : « Nous allons à l’université, à la maison nous aidons au ménage, nous mangeons et nous dormons — c’est tout. Aucune sortie, pas de cinéma, aucune distraction en vue sinon la télévision ». « Les filles qui ne font pas d’études, restent à la maison et aident leur mère à faire le ménage jusqu’à leur mariage ». Un séminaire pour femmes en Kabylie a réuni plus de 30 femmes. C’était une expérience impressionnante. Ensemble, nous avons réfléchi à diverses figures de femmes dans le Nouveau Testament, nous avons chanté et prié ensemble.
La détresse des émigrants
Ils se tiennent chaque jour devant notre porte : maigres, aux yeux enfoncés, quelques-uns d’entre eux sont malades. Ils ont quitté leur pays natal — le Libéria, le Congo, le Tchad, le Nigéria ou le Mali — et se sont mis en route vers le nord dans l’espoir d’atteindre l’Europe, le but de leurs rêves. Ils échouent en Algérie (mais aussi au Maroc ou aux Canaries), sont arrachés à leur famille, sans travail, sans abri, sans argent et sans relations. Tout le monde dans leurs rangs a fini par savoir qu’il y avait à manger chez Sœur Vroni — parfois aussi un peu d’argent, du moment que l’histoire qu’ils racontent est assez crédible et fantastique. Je me suis certainement fait arnaquer par certains, mais pauvres, ils le sont tous. J’ai pu aider certains et leur donner un nouvel espoir. À la pharmacie, j’étais bien connue, parce que j’accompagnais souvent les réfugiés pour payer les médicaments que leur avait prescrits le médecin. J’ai accompagné Marco du Tchad pendant toute l’année. D’abord il m’a aidé à faire le grand nettoyage de l’église. Plus tard il passait régulièrement pour parler de ses soucis ou de son amie qui l’attendait au Tchad. Je l’ai toujours encouragé à revenir dans son pays natal, puisqu’il ne trouverait aucun travail en Algérie. Cependant pouvait-il se permettre de revenir les mains vides ? C’était impensable. Et, pourtant, il est venu me trouver au début du mois d’août et me dit : « Ma Sœur, je vais rentrer au Tchad ». Des semaines plus tard, j’ai reçu un appel téléphonique : « Je suis bien arrivé, mon voyage en bus, en auto-stop et à pied a duré plus d’une semaine. Et mon amie m’a attendu ! » Je m’en suis vraiment réjouie !
Le contact avec les musulmans


J’ai rencontré cette année des musulmans très aimables, croyants. J’ai participé à des groupes de dialogue entre musulmans et chrétiens et étais impressionnée par la qualité des discussions. J’ai gagné des amis et amies musulmans. Il est important de se rencontrer les uns les autres en tant que personnes, de ne pas considérer avec scepticisme ceux qui partagent une foi différente de la nôtre comme tenants d’une religion qui nous est étrangère, mais leur reconnaître estime et respect. Je ne dois pas tant défendre mes propres valeurs que de m’approcher de l’autre comme une personne, comme Jésus l’a fait, lui proposer mon amitié et lui transmettre l’amour de Dieu. Là où j’ai réussi à le vivre, j’ai été richement bénie.

Sœur Vroni Hofer 
Traduction : JP Waechter
Tiré de la revue Béthesda (Automne 2006)

Les paraboles fleurissent sur les toits d'Alger