Méditation (2)

Une vie dans la plénitude – pour tous ?

À propos de Jean 10.7-15
par Urs Schweizer


Depuis des années, notre frère Urs Schweizer, assistant de l’évêque Patrick Streiff après avoir été l’assistant de l’évêque Henri Bolleter, suit de très près le développement de l’Église méthodiste dans les pays de l’Est aux côtés des évêques successifs. À travers Connexio, il encourage l’établissement de partenariats entre églises de l’Est et de l’Ouest. Il témoigne de l’engagement de nos frères de l’Est les plus pauvres.


Histoire de billets

- > J’ai apporté un billet de banque merveilleusement beau et neuf. Il est encore complètement lisse et est comme si je venais juste de l’imprimer. Et qui plus est, sa valeur est assez considérable. Si je vous demandais si vous aimeriez bien l’avoir, vous ne diriez sans doute pas non, n’est-ce pas ?

Froisser le billet de banque

- > En quelques secondes, ce billet de banque merveilleusement beau s’est froissé. Dans le porte-monnaie, il gêne maintenant, parce qu’il prend plus de place. Mais que cela signifie-t-il pour sa valeur ? Si je vous offrais ce billet, aimeriez-vous toujours l’avoir ?

Piétiner le billet de banque – le tenir ensuite avec deux doigts seulement

- > Aïe, qu’est-il arrivé à ce billet… Il a été piétiné. Maintenant il est sale, presque un peu répugnant. On fait attention à le toucher le moins possible. Et de ce billet, personne n’en voudrait plus, même si je vous l’offrais encore, n’est-ce pas ?

Montrer un billet de banque neuf et le billet de banque piétiné

- > Mais honnêtement : Y a-t-il une différence de valeur entre ces deux billets ?

La valeur de l’être humain

Qu’est-ce qui fait la valeur d’un être humain ? Il y a des personnes merveilleusement belles et leur vie est parfaite. Et puis il y a les froissées. Et il y a ceux qui ont été piétinés dans leur vie – ou qui le sont encore et toujours. Des êtres humains qu’on préfère ne pas trop toucher. Mais est-il vrai que les uns valent plus que les autres en raison de leur apparence ou de leur vécu ?

Vie de plénitude

« Je suis venu, pour qu’ils aient la vie dans la plénitude. » C’est ainsi que nous sont transmises des paroles de Jésus dans le Chapitre 10 de l’Évangile de Jean. Vous l’avez remarqué : Jésus dit « pour qu’ils aient la vie dans la plénitude » et non pas « pour que certains aient la vie dans la plénitude ». Manifestement, Jésus ne fait pas de distinction entre les humains. Il sait que la valeur d’un être humain ne dépend pas du succès ou de l’échec, de la beauté ou de la brisure, de l’engagement ou de la fatigue, mais uniquement du Oui que Dieu prononce sur la vie de chaque être humain. Et c’est pour cela que tous les êtres humains sont égaux devant Jésus. Il est venu pour que tous aient une vie dans la plénitude.

Quand j’ai lu, dans la préparation pour ce jour, le passage dont nous avons aussi fait la lecture, j’ai remarqué une chose importante : En disant « vie dans la plénitude », Jésus ne parle manifestement pas de « vie dans l’abondance ». D’ailleurs, mes rencontres avec des méthodistes en Europe de l’Est et du Sud, qui sont pauvres comme Job mais vivent tout de même une foi profonde, m’ont rendu humble. Je ne peux pas prêcher ici un évangile de prospérité. Vous n’entendrez pas de moi : « Il te suffit de croire assez profondément et Dieu t’offrira l’abondance ». Si je parlais ainsi, je ne pourrais plus regarder en face ces hommes à l’Est, auxquels je me suis tant attaché.

Du lien reçu et partagé avec les autres

Non, dans Jean 10, ce n’est pas le fait que les brebis puissent se remplir le ventre jusqu’à l’éclatement qui n’est pas mis en avant. Jésus parle de la relation affective entre le berger et les brebis plutôt que de la relation de consommation entre les brebis et les verts pâturages. Et il relie concrètement « la vie dans la plénitude » à ce qui s’est passé sur la croix à Golgotha. C’est justement pour moi une ouverture importante sur un angle de vue tout à fait nouveau. Quand je sais que Jésus m’aime et quand je sais qu’il m’a ouvert une porte pour aller au Père, à la vie éternelle, les priorités peuvent alors commencer à se décaler. Ainsi, « la vie dans la plénitude » ne signifie plus forcément penser le plus possible à moi et en tirer un maximum, dans les 40, 60, 80 voire 100 années qui me sont données ici sur terre. Non, l’amour de Jésus pose ma vie sur un nouveau fondement et m’aide à ne plus regarder d’abord pour moi ou même penser exclusivement à moi, mais plutôt à m’engager pour que tous les humains puissent avoir une vie comblée, les froissés comme ceux qui ont été piétinés.

Histoire du paralysé

Vous savez, quand j’y réfléchis, cela m’évoque l’histoire du paralysé qui a été amené à Jésus par ses amis. Quand on raconte cette histoire, on souligne toujours l’action de ces amis qui sont allés jusqu’à faire un trou dans le toit pour descendre le paralysé à Jésus. C’est ainsi, en tout cas, que me le livrent mes souvenirs de l’école du dimanche. Mais en fait, pourquoi ne prend-on que si rarement en compte les gens qui se trouvaient autour ? Est-ce uniquement cette immense foule d’hommes qui était présente qui a poussé les quatre amis à aller jusque-là ? Ou se pourrait-il que tous ces gens ne voulaient tout simplement pas laisser le paralysé arriver jusqu’à Jésus ? Il est intéressant à noter qu’une fois guéri, il réussit manifestement à sortir sans problème de la maison – avec en plus tous ses bagages sous le bras. Pour cela, la foule n’était alors plus trop grande.

Tous ces hommes ne voulaient-ils pas tout à fait consciemment refuser au paralysé d’accéder à Jésus ? Comme ceux qui dirent à l’aveugle Bartimée qu’il devait se taire au lieu d’appeler Jésus à l’aide, ou comme les disciples qui voulaient faire repartir les enfants avec leurs parents. N’y avait-il pas là – du moins en arrière-plan – l’idée que des vies puissent être plus ou moins précieuses que d’autres ? Vraiment, qu’est-ce qu’un paralysé, un aveugle ou un petit enfant ?

Favoriser ou non l’accès à Jésus

Manifestement, il y a toujours des hommes qui, consciemment ou non, font obstacle à d’autres ! Par leurs paroles ou leur comportement, et ce également en ce qui concerne une relation avec Jésus impliquant le pardon des péchés, la guérison, la bénédiction et le changement de vie. En faisons-nous parfois partie ? Surtout quand l’amour de Jésus n’est plus visible dans notre vie ? Ou quand nous oublions que la valeur d’une personne ne dépend pas de son physique, de ses capacités, de son origine ethnique, de sa religion ni de quoi que ce soit d’autre ? Je crois qu’« équivalence » et « justice » sont des mots que nous devons sans cesse apprendre à épeler – justement en tant que chrétiens –.

L’EEM, une église minoritaire présente pour les minorités

L’Église Évangélique Méthodiste dans la Conférence Centrale du Centre et du Sud de l’Europe est une Église très variée – elle vit dans quatorze pays européens et deux pays nord-africains dans des conditions (générales) économiques, politiques culturelles et aussi religieuses tout à fait différentes. Elle est très clairement une Église minoritaire – et une Église pour des minorités. C’est justement pour cela aussi que ses cultes sont, dans un peu plus de 320 communautés, dispensés dans à peu près 20 langues différentes. Environ 36 000 personnes appartiennent à l’Église Évangélique Méthodiste – riches comme pauvres – et leur environnement religieux est, en fonction du pays, principalement orthodoxe, catholique, islamique ou athée. Ce qui me réjouit, c’est que son service a, malgré sa taille (ou plutôt petitesse…), un impact social étonnant. C’était ainsi autrefois (je pense par exemple à l’influence méthodiste sur la naissance de langues nationales aux Balkans grâce à la traduction de la Bible ou à l’importante contribution à l’enseignement générée par la création d’écoles pour tous). Mais il y a encore aujourd’hui des effets sociaux – pensons juste au président macédonien Boris Trajkovski, qui a, aux yeux de maints observateurs indépendants, préservé d’une guerre son petit pays situé au sud des Balkans.

Maintenant, je ne peux pas vous emmener en voyage dans tous ces pays, mais je veux vous faire part de trois exemples relatifs à nos communautés.

Parmi les Roms, minorité en souffrance

Dans les pays de notre Conférence Centrale vivent 1,7 million de Roms. Ils ont été sédentarisés, il y a des générations déjà, et on aurait tendance à penser qu’ils y ont leur place aujourd’hui. Or, il n’en est pas ainsi partout. Premièrement, ils vivent souvent dans leurs propres lotissements ou villages et, deuxièmement, ils sont encore et encore submergés de tout un assortiment d’expériences négatives. Ils souffrent de préjugés comme de la persécution, sans compter de la calomnie et de l’exclusion – notamment de la part de ceux qui devraient justement les protéger. Les enfants et adolescents Roms ont souvent une très mauvaise instruction scolaire (en Serbie, 10 % des adolescents Roms fréquentent les lycées, tandis que ce sont 84 % quand on se réfère à la population entière) et, par conséquent, plus tard, sur le marché du travail, ils en sont bel et bien pour leurs frais. Le chômage est ensuite l’une des causes de la grande pauvreté dans laquelle vivent beaucoup de familles Rom. Là où il y a de la pauvreté, là se développe souvent la petite criminalité, ce qui crée logiquement quantité de nouveaux problèmes. Et là où il y a de la pauvreté, là souffrent aussi les enfants. Ainsi, en Serbie, un enfant Rom sur trois est sous-alimenté ou physiquement attardé.

Beaucoup de gens sont contents de rien avoir à faire avec des Roms. Vous rappelez-vous ? (Montrer le billet de banque piétiné et le tenir avec deux doigts seulement.)

L’amour de Dieu les touche

Depuis longtemps, il y a des hommes, dans l’Église Évangélique Méthodiste, qui ne s’intéressent pas aux préjugés mais qui préfèrent partager plutôt l’amour de Dieu, notamment avec ces Roms. Ainsi est née, il y a plus de cinquante (50) ans, à Alsozsolca, au nord-est de la Hongrie, une communauté rom ; et aujourd’hui, il existe en tout environ 20 communautés roms constituées principalement ou presque uniquement de Roms, en République slovaque, Serbie, Hongrie, Macédoine et Bulgarie.

Mais les responsables de ces communautés sont conscients que leur service ne peut pas se restreindre à la transmission orale de l’Évangile, même si tel est leur grand souhait, que ce soit par le travail avec des enfants et adolescents, par la musique, dans des cercles privés ou lors des cultes. Or, il leur faut aussi fournir de l’aide pratique.

En mettant à la disposition des Roms un lopin de terre et des outils pour qu’ils puissent cultiver des légumes et se prendre en charge ; en leur procurant des instruments de musique pour qu’ils puissent jouer à des mariages ou des enterrements et gagner ainsi de l’argent ; en proposant de l’aide médicale et des conseils sur des questions d’hygiène et de santé ; en les soutenant dans le domaine scolaire ou en leur offrant tout simplement des vêtements ou un repas chaud.

Que l’amour de Dieu change les Roms est également perçu par l’entourage. C’est ainsi que des membres de la communauté à Alsozsolca se portent volontaires pour nettoyer régulièrement une partie de leur ville, en ramassant les ordures qui traînent – une action qui est bien appréciée par l’administration. Et un directeur d’école a dit récemment que les enfants de la communauté se comportent beaucoup mieux à l’école et qu’ils apprennent mieux que les autres enfants.

Parmi les enfants de la rue

Un autre exemple : Dans beaucoup de pays de l’Est, il y a des enfants qui ne grandissent pas du beau côté de la vie. Ils n’ont pas de parents ni de foyer, ou bien leurs parents ne veulent plus rien savoir d’eux. Souvent ils atterrissent dans la rue où le risque de tourner mal est grand. S’ils ont de la chance, ils peuvent grandir dans un foyer éducatif, encore que beaucoup ne considèrent pas vraiment comme une chance de devoir vivre dans un tel foyer. À côté de cela, il y a des enfants dont la situation familiale est extrêmement précaire, car l’un des parents (ou les deux) a des problèmes d’alcool. D’autres enfants sont cachés parce qu’ils sont handicapés.

Dans beaucoup de pays, des membres de l’Église Évangélique Méthodiste ont le cœur qui bat pour de tels enfants et adolescents. Ils veulent leur montrer qu’ils sont voulus et aimés de Dieu et qu’ils en fassent l’expérience. Pour réaliser ce plus cher désir, ils rendent régulièrement visite à des foyers pour enfants et adolescents, organisent des colonies de vacances pour des enfants qui ne font pas partie de la communauté ou des activités pour des enfants dont les parents ont des problèmes d’alcool, animent des centres d’accueil journalier avec des programmes variés pour des enfants, etc. Ils plantent, de cette manière, une graine dans les cœurs de ces enfants et adolescents. Si cette graine lève un jour et portera des fruits et où elle le fera, cela, ils ne peuvent que le laisser à Dieu, à ce Dieu pour qui tous les hommes ont la même valeur et ce Jésus qui est venu au monde pour sauver tous les hommes.

Attention pour les personnes âgées

Le troisième exemple : En Europe du Sud-Est, où des millions d’hommes ont émigré ces dernières années – des villages vers les villes ou de leur pays vers l’étranger – afin de rechercher du travail, de l’aisance et du bonheur, les personnes âgées sont souvent restés seules, pauvres sans nourriture ni attention suffisantes.

En Macédoine, la situation est rendue encore plus difficile par le fait que les cotisations pour l’assurance retraite des personnes qui sont aujourd’hui âgées ont, par le passé, été virées à Belgrade. Or, cette ville se situe aujourd’hui dans un autre pays, ce qui veut dire que toutes les cotisations sont maintenant perdues. Et, comme le jeune État macédonien ne brille pas non plus par ses caisses pleines, les vieilles personnes obtiennent une pension de quarante (40) ou cinquante (50) euros par mois. Même en Macédoine, cela ne suffit pas. Mais ce ne sont que de vieilles personnes ne valant plus grand-chose… Rappelez-vous le billet de cent froissé ?

C’est dans ce cadre qu’est né, en Macédoine, le programme « repas sur roues ». 120 personnes, vieilles et pauvres, reçoivent cinq fois par semaine un repas chaud et quelquefois des médicaments, des vêtements, une couverture et du bois de chauffage. Et ils ont surtout la possibilité de parler à une personne qui les respecte dans leur dignité, qui les prend au sérieux et qui est là pour eux. Cela a des effets. Les gens ne se laissent plus aller, et ils obtiennent, au milieu du manque, l’idée d’une vie dans la plénitude où ils puissent exister.

Je souhaite que Dieu change notre tendance à catégoriser les hommes en précieux et moins précieux. Il a besoin de nous pour montrer à des hommes le chemin qui mène à Jésus – et de ne pas le barrer par nos paroles et notre manière d’agir. Qu’il implante en notre cœur un désir ardent de justice, afin que nous cessions de ne penser qu’à notre propre aisance, car Dieu veut une vie de plénitude pour tous. Que ce désir ardent nous mène à des actions bien concrètes. Que Dieu transforme notre amour d’une étincelle en une flamme. Amen.

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Prédication présentée le dimanche 4 mars 2007 à l’église de Munster